Bach à la « croisée des chemins » de l’accordéon de Ksenija Sidorova

L'accordéoniste lettonne Ksenija Sidorova consacre son nouveau disque Crossroads à des œuvres de, ou inspiré par Bach, et transposé pour son instrument. Le « piano du pauvre » est aussi un merveilleux instrument de concert.

Johann Sebastian Bach a connu tellement de transcriptions, pour tant d'instruments et dans des genres tellement différents, que s'attaquer au Cantor de Leipzig à l'accordéon n'apparaît pas comme une incongruité. L'instrument à soufflets ne se rapproche-t-il pas finalement de l'orgue, et ses deux claviers ne permettent-ils pas de multiplier les voix et les harmonies ?
D'origine lettone, et véritable ambassadrice de l'accordéon classique, Ksenija Sidorova a donc choisi comme « souffle conducteur » de son dernier album des transcriptions de Johann Sebastian Bach et des œuvres contemporaines inspirées par Bach.

Le célèbre Concerto en ré mineur BWV 1052 est la porte d'entrée de ce récital. A l'origine composé pour orgue, puis transcrit pour clavecin, popularisé aujourd'hui au piano (il existe même paraît-il une version pour guitare heavy metal…), cet imposant concerto ne souffre pas des nouvelles couleurs que lui apporte l'accordéon.

Sans doute l'instrument à soufflets offre-t-il moins de souplesse dans l'articulation et moins de dynamisme que le clavecin ou le piano, mais la belle musicalité de Ksenija Sidorova compense ce manque de mordant, notamment dans les attaques. Le Sinfonietta Riga, sous la direction de Nordmunds Snè offre un accompagnement probe, très classique. L'intérêt grimpe avec la suite du programme du disque, l'accordéon étant mieux adapté à la musique de notre temps, avec des œuvres écrites plus spécifiquement et exploitant toutes les possibilités de l'instrument.

C'est le cas des pages du Russe (d'origine ukrainienne) Sergey Akhunov (né en 1967), avec un délicat Sketch III arpégé comme un prélude de Bach, et surtout avec l'impressionnant Concerto Chaconne de 2018. L'accordéon se fond à merveille dans la masse orchestrale, apportant notamment ses couleurs mystérieuses quand il dialogue avec les cordes ou les percussions. C'est particulièrement le cas dans le dramatique troisième mouvement et le violent quatrième mouvement où est citée la célèbre Chaconne de la Partita pour violon BWV 1004 de Bach. Ksenija Tabakova nous propose à la suite une transcription de l'émouvant choral Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ BWV 639. Le parallèle avec l'orgue est tout naturel, la sonorité particulière de l'accordéon offrant une intimité supplémentaire à cette page magnifique.

Retour à la musique contemporaine avec l'hypnotique The Quest : Horizon de Dobrinka Tabakova (née en 1980). Adaptation du deuxième mouvement de son Concerto pour piano, cette page prend, sous les doigts de Ksenija Sidorova, une dimension cosmique grâce aux sonorités en suspension de l'accordéon.

L'album se clôt sur un dernier hommage à Bach, avec Beyond Bach, au départ simple improvisation de la pianiste Gabriela Montero dans son album Bach and Beyond. L'accordéon permet à toutes les voix de cette page de se déployer sereinement. Conclusion émouvante d'un album réussi qui permet à bien des chemins de se croiser, sans heurts.