Quand Het Collectief transfigure la seconde école de Vienne
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Arnold Schoenberg (1874-1951) : Verklärte Nacht, op. 4 (1899), transcription d’Eduard Steuermann ; Kammersymphonie, op. 9 (1906), transcription d’Anton Webern. Alban Berg (1885-1935) : Klaviersonate, op. 1 (1907-1908), transcription de Tim Mulleman ; Adagio aus dem Kammerkonzert (1935). Het Collectief : Toon Fret, flûte ; Julien Hervé, clarinette ; Wibert Aerts, violon ; Martijn Vink, violoncelle ; Thomas Dieltjens, piano. 1 CD Alpha. Enregistré en décembre 2020 au De Biljloke Gent et au Concertgebouw Brugge, en juin 2021 au Concertgebouw Brugge et en septembre 2021 au Desingel Antwerpen. Notice français-anglais-néerlandais. Durée : 72:43
AlphaLe quintette bruxellois fondé en 1998 sous le nom de Het Collectief – Le Collectif – se singularise par l'alliage original de sonorités produites par des vents, des cordes et un piano. En témoigne ce « Transfigurations/Schoenberg, Berg » très rafraîchissant.
Verklärte Nacht (1899), le quatrième opus d'Arnold Schoenberg, compositeur par ailleurs assez peu joué, hante toujours les musiciens, puisque le label Stradivarius a sorti en 2017 un « Arnold Schoenberg/Pierre Boulez » avec cette œuvre dans sa version originale pour sextuor à cordes par le Prague Modern, et que la revoici gravée cinq ans plus tard chez Alpha, mais dans l'arrangement pour trio avec piano (1932) dû au pianiste et compositeur Eduard Steuermann. Qu'il paraît frêle ce piano solitaire et feutré ayant pris la place des violoncelles et des altos aux premières mesures du premier mouvement – Sehr langsam –, si denses, si pesants, si solennels, si chargés d'émotion ! Tout comme l'instrumentarium réduit de moitié, alors que le Maître avait postérieurement gonflé le sextuor aux dimensions de l'orchestre ! Cela dit, passé la surprise d'entendre « trahie » la première mouture – celle qu'on a dans l'oreille –, il faut tâcher de dépasser la déception et d'être capable de réentendre l'œuvre en mettant si possible son souvenir entre parenthèses et en se défaisant du soupçon d'irrévérence qui pourrait parasiter l'écoute (nul doute que Steuermann recherchait avant tout la reconnaissance de son professeur de composition). Et par conséquent, tenter de mieux saisir ce qui fait la spécificité, la richesse et le génie d'une pièce. Gageons que, par-delà le jeu de mots, « Transfigurations » offre cette chance. Voilà donc au tout début un piano sonnant le glas, mais bientôt rattrapé dans le fameux thème en ré mineur par le violoncelle puis le violon, lesquels, on le comprend vite, incarnent l'homme et la femme du texte de Richard Dehmel à l'origine de la musique. Ainsi, un piano-orchestre relativement discret, qui s'intègre (les accords arpégés, le soutien harmonique, les motifs doublés à l'unisson) ou converse (les commentaires concourant à la tension dramatique, les relances du discours dans les transitions thématiques). Et il faut passer au-delà de l'impression d'ascèse de l'ensemble pour goûter ce dialogue épuré, plus intime et fragile que jamais, et qui répond finalement à l'esprit du poème : « Deux personnes vont dans le bois nu et froid ; / la lune les accompagne, ils la regardent. […] Une voix de femme dit : / Je porte un enfant, et il n'est pas de toi, je marche à côté de toi, dans le péché. » Extrêmement attentifs à créer et maintenir une atmosphère élégiaque, les interprètes – Wibert Aerts au violon, Martijn Vink au violoncelle et Thomas Dieltjens au piano – étirent leurs phrases comme on hale un bateau – un bateau tantôt bilieux, tantôt ivre – et sont parfaitement unis dans la conduite du drame qui se déroule. La même symbiose au plus près du texte s'entend dans le ré majeur signalant le retour à un climat de confiance entre les amoureux. Bref, on est embarqué et l'on retient surtout la pureté des lignes que dessinent ensemble ou séparément les trois comparses. Finalement, l'arrangement de Steuermann convainc, qui resserre le propos au lieu de céder à la tentation de l'élargissement brillant.
La même clarté polyphonique apparaît d'emblée dans la superbe Kammersymphonie op. 9 (1906) de Schoenberg, à l'origine pour quinze instruments et transcrite en 1923 par Anton Webern pour une formation réunissant les cinq instruments du Collectif : violon, violoncelle, flûte (Toon Fret), clarinette (Julien Hervé) et piano. Œuvre charnière dans l'histoire de la musique, puisqu'elle introduit l'intervalle de quarte, rompt avec l'orchestre traditionnel et se concentre sur 22 minutes, cette symphonie de poche offre un moment de musique pure qui convient parfaitement au compositeur-chercheur. Œuvre incroyablement jeune par son caractère expressif voire explosif, et que servent cinq solistes virevoltants et mariant leurs timbres dans une belle intelligibilité.
Contemporaine du précédent morceau est la Klaviersonate op. 1 (1907-1908) d'Alban Berg, ici transcrite pour cinq instruments par Tim Mulleman (né en 1993) à la demande du Collectif. Les deux opus ont en commun leur tonalité vacillante et une grande expressivité thématique. Ce qui faisait dire de la sonate à Glenn Gould, qui l'avait enregistrée, qu'elle amenait au seuil de la musique dodécaphonique et qu'elle procurait un sentiment de plénitude apporté par l'équilibre parfait entre une série de points culminants et de moments de repos. Le même émoi nous emporte tout au long des 11 minutes de son unique mouvement grâce à la virtuosité d'un Collectif particulièrement attentif à exploiter les registres instrumentaux ouverts par la transcription tout en respectant l'esprit de la partition initiale.
L'Adagio aus dem Kammerkonzert d'Alban Berg est le deuxième mouvement arrangé par le compositeur en 1935 pour violon, clarinette et piano de son Kammerkonzert de 1923-1925 pour piano, violon et treize instruments à vent. Une fois encore, Het Collectief rend à merveille la limpidité d'ensemble de ce subtil mélange entre concerto (ce qu'est l'œuvre première) et musique de chambre. On est très sensible à la ligne du violon, véritable leader du trio, chanteur tour à tour mélancolique et exalté.
Incontestablement, l'excellence de l'interprétation du Collectief, dans ce programme très réfléchi, va dans le sens de Gérard Pesson : « la transcription est consubstantielle à l'écriture ».
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Arnold Schoenberg (1874-1951) : Verklärte Nacht, op. 4 (1899), transcription d’Eduard Steuermann ; Kammersymphonie, op. 9 (1906), transcription d’Anton Webern. Alban Berg (1885-1935) : Klaviersonate, op. 1 (1907-1908), transcription de Tim Mulleman ; Adagio aus dem Kammerkonzert (1935). Het Collectief : Toon Fret, flûte ; Julien Hervé, clarinette ; Wibert Aerts, violon ; Martijn Vink, violoncelle ; Thomas Dieltjens, piano. 1 CD Alpha. Enregistré en décembre 2020 au De Biljloke Gent et au Concertgebouw Brugge, en juin 2021 au Concertgebouw Brugge et en septembre 2021 au Desingel Antwerpen. Notice français-anglais-néerlandais. Durée : 72:43
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