Somptueux retour de Christian Zacharias aux sonates de Haydn

Après s'être éloigné de ce répertoire en solo pendant plusieurs décennies, le pianiste allemand Christian Zacharias nous offre quatre sonates de Haydn de la période intermédiaire.

On n'associe pas immédiatement la musique de Joseph Haydn au piano, comme on le fait avec celle de Bach, Mozart, Beethoven ou Brahms. C'est pourtant le premier instrument qu'il ait appris, en ayant acquis une maîtrise certaine et il utilisa des instruments à clavier tout au long de sa vie pour improviser, donner des concerts et composer. Parmi son œuvre monumentale, on recense quelques soixante à soixante-cinq sonates pour clavier, sans compter des variations, fantaisies, pièces à quatre mains, divertimenti et concertos pour clavier.

« Haydn, plus encore sans doute que Mozart et Beethoven, exige ce genre d'émerveillement cultivé et enfantin dans l'exécution où chaque tournant, au cours du voyage où nous entraîne sa musique, révèle des endroits inattendus ». C'est ce qu'écrivait Kristian Bezuidenhout il y a quelques années à l'occasion ce son enregistrement d'un premier disque dédié à des sonates de Haydn. Et il ajoutait : « la préparation de cet enregistrement m'a rappelé à quel point il est difficile de bien jouer Haydn, mais aussi qu'avec assez de soin et d'attention au détail, sa musique est capable de bondir littéralement hors de la page… La pure beauté, l'humanité, l'esprit et la délicieuse ironie de cette musique m'ont rendu assez humble pour éprouver un irrépressible désir de continuer ». Il est possible qu'à son tour Christian Zacharias ait éprouvé le même sentiment alors qu'il ne s'était plus consacré à la musique pour piano de Haydn depuis quarante-cinq ans et c'est bien dommage avec ce que nous entendons là.

Ce disque présente quatre sonates de la période médiane (1767-1780) lorsque Haydn était maître de chapelle au service du prince Esterházy dans ses résidences d'Esterházy, Eisenstadt ou Vienne. On peut leur trouver un trait commun par rapport à leur caractère de monologue très prononcé selon un ton badin presque chantant au niveau des voix supérieures. Elles n'ont pas encore la stature des dernières sonates dites « de Londres », mais elles témoignent d'une inventivité libre et révolutionnaire que Haydn a pratiqué tout au long de sa vie.

On apprécie la plénitude sonore de la Sonate en do majeur Hob. XVI : 21 avec un adagio déchirant d'une forte spiritualité, tandis que semblables à une aria, les grandes phrases de la Sonate en sol mineur Hob. XVI : 44 puisent dans une palette empruntée à la symphonie et à l'opéra. La liberté d'esprit de Haydn s'exprime avec éclat dans la Sonate Hob. XVI : 39 aux reliefs scintillants, dont le discours se fait tantôt insouciant, tantôt poignant, mais toujours élégant. Dans l'automnale Sonate Hob.XVI : 46, le chant se déploie selon une ampleur et une générosité accentuées par le legato chaleureux de Christian Zacharias.

Fidèle à lui-même, le pianiste et chef allemand montre une probité et une sobriété exemplaires avec un bel équilibre et une fluidité constante, dans le plus grand respect de la partition. Loin des approches fantasques d'un Glenn Gould, Christian Zacharias se rapproche plutôt de la rigueur épurée d'une Catherine Collard, voire de la perfection stylistique d'un Alfred Brendel. La sonorité charnue de son grand Steinway de concert de 1901 nous permet d'ancrer le génie de Haydn entre les trouvailles de Carl Philip Emmanuel Bach et les fulgurances du romantisme à venir.

Avec ce beau disque, nous espérons d'autres incursions de ce grand artiste dans le corpus pianistique de Haydn où il a de belles choses à nous dire.