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Rouvali ébouriffant dans la Symphonie n° 4 et la Nymphe des bois de Sibelius

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Jean Sibelius (1865-1957) : Symphonie n° 4 op. 63 ; La Nymphe des bois op. 15 ; Valse triste op. 44. Orchestre symphonique de Göteborg, direction : Santtu-Matias Rouvali. 1 CD Alpha. Enregistré au Concert Hall de Göteborg, en novembre 2021 (op. 63), juin 2022 (op. 44) et mai 2023 (op. 15). Notice de présentation en français, anglais et allemand. Durée : 64:29

 

L'enthousiasme que suscite l'intégrale symphonique de Sibelius en cours par avec l' ne faiblit pas avec cette quatrième livraison, mais la surprise majeure vient de la Nymphe des bois.

Distillée au compte-gouttes, chaque volume de l'intégrale en cours n'a recueilli que les éloges, dans l'ordre de publication : la Symphonie n° 1 avec En Saga (Clef d'Or), la Symphonie n° 2 (couplée avec le Roi Christian II), le couplage lumineux des Symphonies n°3 et 5 avec une Fille de Pohjola d'une poésie intoxicante. Si ce nouvel album maintient le même niveau interprétatif, c'est curieusement par son complément de la rarissime Nymphe des bois qu'il se distingue.

Commençons par le morceau de résistance du programme, l'austère Symphonie n°4 créée en 1911 et dont Beecham s'était fait un champion (lire la riche analyse « Thomas Beecham et Sibelius » de notre confrère Jean-Luc Caron). Austère ? Eh bien, pas si sûr. La preuve avec Rouvali, qui y injecte une vie constante, multipliant les détails pour accrocher l'auditeur sans perdre le sens de la direction. Dans cette œuvre qui a ses inconditionnels en raison de son économie de moyens, il y a ceux qui prennent le versant escarpé, tel un Beecham avec l'Orchestre philharmonique de Londres en 1937 (EMI) ou un Osmo Vänska avec Lahti (Bis) qui jouent pleinement la carte de l'allègement et du non-dit, et il y a ceux qui s'attachent à faire avancer le discours avec confiance en eux-mêmes et classicisme, tel Klaus Mäkelä dans son intégrale avec Oslo (Decca). Beecham et Rouvali s'opposent en ce que le premier explorait la dimension minérale de cette symphonie quand le second injecte de la vie à chaque note, mais les deux interrogent le texte, ne prennent rien pour simple ni acquis, et font œuvre de poésie.

A l'autre bout du disque, la célèbre Valse triste offre une conclusion populaire, comme une gourmandise. Dans la même approche pleine de vitalité et de relief, Rouvali fait danser la valse – ce qui n'est pas si souvent le cas ! Dans cette pièce qui chez nombre de chefs glisse sans guère faire impression, c'est encore Beecham qui tient le haut du pavé, et auquel Rouvali peut être comparé avantageusement, excusez du peu ! Beecham tient son orchestre fermement là où Rouvali l'enflamme, deux écoles, deux styles, mais au final la même réussite.

Venons-en enfin à la révélation de cette publication, le poème symphonique La Nymphe des bois op. 15. A l'époque de sa composition en 1894-1895, Sibelius n'avait à son actif que deux pièces d'importance, le poème symphonique En Saga et la symphonie avec voix Kullervo, encore celle-ci avait été retirée par le jeune compositeur de son catalogue dès 1893. Pratiquement jamais enregistrée depuis presque 130 ans, les rares gravures n'avaient guère fait impression, pourtant signées Osmo Vänska (neutre et empesé, avec Lahti, Bis) ou John Storgård (au final trop lent, avec le BBC Philharmonic, YouTube). La qualité de l'œuvre était pourtant connue et reconnue par les spécialistes, pour son ouverture épique et plein d'espérance, tour à tour conquérante et combattive, quasi-triomphale, sa partie centrale élégiaque, douloureusement tendre, empreinte d'érotisme et palpitante, et sa dernière partie dramatique, noire, funèbre qui évolue dans un crescendo de cordes tournoyantes et obsessionnelles de plusieurs minutes se débattant dans des colonnes verticales des cuivres.

Avec Rouvali, les qualités de dynamisme, de vie constante, de sensibilité évoquées plus haut se retrouvent et font entendre ce poème comme il n'a vraisemblablement jamais été entendu. Chaque épisode est restitué avec une justesse qui touche au miracle. Rouvali est épique mais ni pesant ni clinquant Il est profondément émouvant et sensuel mais jamais mièvre ni larmoyant, et le crescendo final est une folie. Dès la première écoute on est bouche bée devant l'imagination du compositeur qui repousse sans cesse les limites des cordes, se débattant vainement dans la verticalité mortelle marquée par les vents. La manière dont Rouvali met en relief les motifs des cordes fait entendre l'allegro frenetico d'Harold en Italie, là où Berlioz avait mis en œuvre le même procédé : une hallucination de cordes dans un corset de cuivres. Et juste après Berlioz, quand les cordes montent dans l'extrême aigu, c'est la douleur si humaine d'Allan Pettersson que l'on entend. Sachant que Rouvali a mis le farouche compositeur suédois à son répertoire, il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'il ait vu dans La Nymphe des bois une anticipation de celui qui peut être considéré comme l'autre grand symphoniste scandinave du XXᵉ siècle.

Avec cette Nymphe des bois fascinante, épique et envoûtante, marque la discographie sibélienne de manière indélébile et signe – à date – son plus grand enregistrement.

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Jean Sibelius (1865-1957) : Symphonie n° 4 op. 63 ; La Nymphe des bois op. 15 ; Valse triste op. 44. Orchestre symphonique de Göteborg, direction : Santtu-Matias Rouvali. 1 CD Alpha. Enregistré au Concert Hall de Göteborg, en novembre 2021 (op. 63), juin 2022 (op. 44) et mai 2023 (op. 15). Notice de présentation en français, anglais et allemand. Durée : 64:29

 
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