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Marquante 14e de Chostakovitch par Mikko Franck, Asmik Grigorian et Matthias Goerne

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Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n° 14 op. 153 ; Cinq fragments op. 42. Asmik Grigorian, soprano ; Matthias Goerne, baryton ; Orchestre philharmonique de Radio France, direction : Mikko Franck. 1 CD Alpha. Enregistré en juin 2021 et août 2022 à l’auditorium de Radio France. Notice de présentation en anglais, allemand et français, poèmes en langue originale traduits en anglais et français. Durée : 61:47

 

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Avec cette Symphonie n° 14 de , démontre que le Philharmonique de Radio France – en osmose avec et – s'inscrit parmi les meilleures formations internationales dans ce répertoire. Et c'est nouveau pour un orchestre français.

Dans un genre symphonique scruté de très près par les autorités politiques soviétiques, Chostakovitch a mené des combats héroïques pour garder sa liberté d'artiste. Le corpus des quinze symphonies est, par son ampleur et sa diversité, un témoignage fascinant des combats d'un artiste pour exister malgré tout, tour à tour engagé, rebelle, dans le double jeu. Les deux dernières symphonies sont les plus intimes, hantées par la mort, la Symphonie n° 14 se distinguant par son originalité chambriste, proche d'un cycle de mélodies mais sur des poèmes de divers auteurs.

Quand on pense aux formations qui interprètent Chostakovitch, on pense aux orchestres de Saint-Pétersbourg (le philharmonique de Léningrad et le Mariinsky), de Berlin (les Philharmoniker mais aussi le Berlin Sinfonie-Orchester), Amsterdam, Londres et New-York, mais pas aux orchestres français. La pertinence de cette publication n'était donc pas évidente a priori, même si nos colonnes se sont faites l'écho des qualités de et de sa formation dans la Symphonie n° 5 de Chostakovitch entendue en concert en avril dernier en ces termes : « Une interprétation d'une exceptionnelle acuité, à la typologie bien affirmée qui réussit l'impossible synthèse entre lectures russes et visions plus occidentalisées, tout à la fois lyrique, douloureuse et affligée, mais sans l'urgence, ni l'âpreté d'un Kondrachine ou d'un Gergiev« .

L'enregistrement proposé ici est quelque peu plus ancien, réalisé en 2021, avec une formation chambriste, mais nous ne saurions mieux caractériser cette interprétation, aussi bien sur le plus instrumental que vocal. Coté solistes vocaux, la soprano , en affinités affirmées avec le chef comme cela a pu encore être constaté cet automne dans les Quatre derniers Lieder de Strauss, et en baryton-basse – qui n'est pas le plus idiomatique mais impressionne par ses couleurs les plus sombres – sont aussi dans cet entre-deux, entre Russie et Occident, entre mélodie et opéra. On ne cherchera pas ici le caractère hallucinatoire des interprétations « canal historique » de Galina Vichnevskaïa avec Rudolf Barshaï (enregistrement de la création) ou Mstislav Rostropovitch, ni la rugosité des interprétations par les chefs russes historiques (Barshaï – Melodiya, Kitaenko – Cappricio) ou jeunes (Teodor Currentzis – Alpha, Vladimir Jurowski -Alto, Vassily Petrenko -Naxos…). Chez Franck, moins de théâtre et d'urgence, plus de lyrisme, et un fil conducteur tout aussi tenu, instrumentistes et chanteurs faisant corps et semblant profondément à l'écoute les uns des autres. Pour prendre un seul exemple, le quatrième mouvement, Le Suicidé, nous paraît exemplaire de cette approche, avec une superlative, au timbre luxueux et chaleureux dans toutes les nuances, accompagnée avec chaleur et sensibilité par le violoncelle (de Nadine Pierre, selon toute vraisemblance). L'ombre de Lady Macbeth de Mzensk plane de manière particulièrement prégnante dans cette interprétation qui marque la discographie. Ce n'est pas un mince exploit pour un ensemble français de s'imposer dans cette œuvre, et dans ce mouvement.

Les rares Cinq fragments op. 42 apportent un complément très judicieux. D'une durée de 10 minutes, composés en 1935 comme ébauches à un futur ouvrage de grand format qui ne sera jamais composé, Chostakovitch accepta avec réticence qu'ils soient créés en… 1965, et en fut finalement satisfait. Se succèdent un Moderato à l'humeur rêveuse, indéfinie et divagante annonciatrice du final de la Symphonie n° 8, un Andante comme un cirque entendu de loin (effet très malhérien), un Largo annonciateur des espaces désolés de ses symphonies n° 4 à 8, un second Moderato de même veine mais légèrement plus optimiste et un Allegretto de violoneux, là aussi malhérien au possible. tire tout le suc de ces ébauches annonciatrices, sans forcer le trait, à sa manière toute de sensibilité.

Prochaines étapes dans l'œuvre de Chostakovitch, toutes deux avec : la Symphonie n° 13 et sa dénonciation de l'antisémitisme soviétique et la crépusculaire Suite sur des poèmes de Michelangelo Buonarroti op. 145. Nous avons hâte de les entendre !

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Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n° 14 op. 153 ; Cinq fragments op. 42. Asmik Grigorian, soprano ; Matthias Goerne, baryton ; Orchestre philharmonique de Radio France, direction : Mikko Franck. 1 CD Alpha. Enregistré en juin 2021 et août 2022 à l’auditorium de Radio France. Notice de présentation en anglais, allemand et français, poèmes en langue originale traduits en anglais et français. Durée : 61:47

 
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