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La Tempête s’abat sur Bach, entre frénésie et langueur extatique

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Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Allegro extrait du Concerto pour clavecin en ré mineur, BWV 1052 ; Passacaglia en ut mineur, BWV 582 ; Allegro final extrait du Concerto pour clavecin en ré mineur, BWV 1052 ; Choral « Vor deinen Thron tret’ ich hiermit », BWV 668. Henryk Górecki (1933-2010) : Allegro molto extrait du Concerto pour clavecin, op. 40 ; Vivace marcatissimo extrait du Concerto pour clavecin, op. 40. Knut Nystedt (1915-2014) : Immortal Bach (Instrumental) ; Immortal Bach (Choral). John Adams (né en 1947) : Shaker Loops. Jehan Alain (1911-1940) : Litanies (1937). Louis-Noël Bestion de Camboulas, clavecin ; Compagnie La Tempête ; Simon-Pierre Bestion, direction et arrangements. 1 CD Alpha. Enregistré en avril 2022 à Paris, dans l’église luthérienne Saint-Pierre. Notice de présentation en français, anglais et allemand. Durée : 76:01

 

Fidèle à son idéal d'une interprétation toujours libre, le chef et arrangeur conçoit un programme en treize plages autour du Concerto pour clavecin en ré mineur de (BWV 1052). Pour ce faire, il convoque également , , et , dont il éparpille les mouvements des créations façon puzzle. « Bach minimaliste » : un disque, une œuvre !

Il y a quelque chose de vivaldien dans toute cette climatologie présentant les variations météorologiques de la matière son, laquelle enfle, gronde, s'électrise et se creuse toujours plus dans l'orage de la répétition, ou bien s'étire mollement à l'infini. L'importance des cordes, en boyaux de surcroît, y fait beaucoup aussi. Dans sa présentation, parle d'ailleurs de paysages, d'ambiances et de climats. Cela se perçoit très nettement à l'écoute, par exemple, de « Loops and Verses » et de « A Final Shaking », troisième et quatrième mouvements de Shaker Loops (1978) de  (né en 1947), caractérisés par les ostinatos des archets ultra véloces répétant leurs petites boucles, le grommellement en fond des contrebasses et la progression en volume ainsi qu'en vitesse de l'ensemble. Ces passages sont insérés entre l'indomptable second mouvement, « Vivace marcatissimo », du Concerto pour clavecin, op. 40 (fin des années 1970) d' (1933-2010) et le choral très serein de Bach (1685-1750) Von deinen Thron tret' ich hiermit, BWV 668, sur lequel se clôt le programme.

Pensé comme un geste unique et traversé par une même tension, ce disque sans pauses entre les plages s'écoute donc comme une suite de saisons, avec un souci permanent de la dramaturgie. Ainsi commencent par s'enchaîner l'« Allegro » du Concerto pour clavecin en ré mineur, BWV 1052 (1738-1739) de Bach, et l'« Allegro molto » du Concerto pour clavecin de Górecki dans une sorte d'élan impératif où l'on entend le timbre grêle d'un clavecin convulsif surnager sur un océan de notes tenues par les cordes. Sans doute pour justifier ses choix, qualifie ces deux mouvements de « sombres et tortueux », ce qui est assurément vrai du second, mais abusif s'agissant de Bach, plutôt théâtral, mais sans véritable coloration psychologique. Leurs vrais points communs sont leur effectif musical, leur dynamisme et leur tonalité, ré mineur.

Après cette tornade initiale, place au recueillement d'Immortal Bach (1988) de (1915-2014), à l'origine pièce pour chœur d'après le choral Komm, süsser Tod de Bach, ici arrangée pour cordes. L'effet est saisissant, Simon-Pierre Bestion voulant jouer aussi sur les climats psychiques. Cette respiration méditative revient plus tard dans le disque, mais chantée cette fois-ci. Le statisme et la ferveur de la prière se muent en énergie grossissante, voire sauvage, celle de « Shaking an Trembling », premier mouvement de Shaker Loops. C'est l'occasion de souligner ce qui vaut pour le disque entier : la somptuosité de la texture musicale entretenue par un ensemble totalement investi. Intégrité du groupe jouant comme un seul instrument, nuances subtilement rendues dans leur constance acharnée ou leur brusques changements, gestion très fine de l'étagement des différents registres : un travail phénoménal auquel ont dû prendre beaucoup de plaisir les musiciens de La Tempête. Ce que prouve, s'il en était besoin, les visages souriants du joli petit portfolio du livret. On reste soufflé par la vitalité de la musique. Autre pièce arrangée, Litanies (1937) de (1911-1940), lesquelles, après l'introduction du clavecin – l'autre vedette instrumentale –, entraînent l'auditeur dans leur irrésistible danse tournant autour de l'unique thème répété. Miraculeusement, les interprètes arrivent à faire entendre un moment le timbre de l'orgue initial… Le magnifique clavecin de revient en soliste dans la sublime Passacaglia en ut mineur BWV 582 (1706-1713) de , à l'incroyable diversité de combinaisons d'instruments qui s'enchaînent très naturellement, cela grâce à un arrangement qu'on dirait d'orfèvre.

En résumé, un scénario musical étonnant car jouant sur les combinaisons instrumentales, toujours très incarnées, et les passages d'atmosphères d'une temporalité intérieure, entre continuités et ruptures. S'il avait respecté l'intégrité des pièces, n'aurait-il pas paru plus fade, conventionnel, impersonnel ? Petite cerise sur le gâteau, la reproduction sur la pochette de The Nominal Three (1963) de Dan Flavin, œuvre montrant trois groupes d'un, deux et trois néons verticaux, et qualifiée de… minimaliste.

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