Les concertos de Dutilleux et Dusapin sous l’archet du violoncelliste Victor Julien-Laferrière

Le violoncelliste Victor Julien-Laferrière est en vedette au côté de l'Orchestre national de France dans cet album réunissant deux concertos majeurs du répertoire des cinquante dernières années captés en concert à l'Auditorium de Radio France.

Écrit entre 1967 et 1970, le Concerto pour violoncelle d'Henri Dutilleux Tout un monde lointain…, dont le titre se souvient de Baudelaire, répond à la commande de Mstislav Rostropovitch qui le créa en juillet 1970 dans le cadre du Festival d'Aix-en-Provence, révélant un des chefs d'œuvre du répertoire concertant inscrit dans la galaxie Dutilleux. On est d'emblée séduit par la clarté du jeu de Victor Julien-Laferrière dans une introduction saisissante mêlant bruit blanc et résonance profonde. S'instaure très rapidement la complicité entre le soliste et l'orchestre dans un premier mouvement (Énigme) très facétieux. La ligne de violoncelle est ductile, sensible autant qu'énergétique (Regard), ourlée très délicatement par l'orchestre dans un équilibre des forces idéal. Le troisième mouvement (Houles) fait apprécier la palette somptueuse des couleurs, celle de l'Orchestre national de France en grande forme, où ressortent toutes les subtilités d'une percussion travaillant sur la résonance. Le violoncelle émeut aux larmes dans le quatrième mouvement et plus encore l'osmose qui s'instaure avec l'orchestre au creux duquel se love la ligne fragile du soliste. Miroir est sans doute une des plus belles pages jamais écrites par le compositeur, ici magnifiée par la direction de David Robertson. Hymne couronne ce concerto en cinq mouvements, laissant apprécier l'énergie et le talent fou du jeune violoncelliste boosté par un orchestre chauffé à blanc.

Outscape (2015) que tout oppose, en apparence du moins, au concerto de Dutilleux, est la deuxième pièce pour violoncelle et orchestre de Pascal Dusapin après Celo écrit en 1996. Loin d'affronter ou de faire dialoguer l'orchestre et le soliste, Dusapin dit vouloir « guider les deux partenaires l'un vers l'autre », les amener à « imaginer de multiples voies pour fuir et inventer ensemble une autre « nature » ». Ainsi le violoncelle de Victor Julien-Laferrière et la clarinette basse du « National » semblent-ils s'aimanter l'un l'autre dans une introduction aux lignes sinueuses que vient égayer le piccolo, dans un jeu de registre habile autant qu'expressif que l'on réentendra en fin de parcours. Une autre stratégie familière au compositeur, dans cette pièce d'un seul tenant, réside dans les trames entretenues par l'orchestre qui s'étirent en second plan et sur lesquelles vont s'inscrire voire se fondre parfois les sonorités du soliste jusqu'à créer l'ambiguïté des sources. Dusapin laisse à plusieurs reprises s'exprimer seul le violoncelle au sein d'une écriture très texturée. Ourlé par les cordes, au mitan de l'œuvre, le soliste aborde des régions plus claires, emmenant avec lui un orchestre qui finit par se déchaîner et le submerger. Il en ressort galvanisé, mû par une pure énergie qui va contaminer tous les pupitres de l'orchestre. Victor Julien-Laferrière est souverain, déployant les ressorts et la maîtrise de son jeu (homogénéité du registre, ampleur des graves et souplesse de l'archet) pour donner corps et vie à une trajectoire dont il souligne tous les rebondissements. C'est Kristiina Poska qui est à la tête de l'Orchestre national de France, dans cette exécution live gravée en première mondiale.