Lumineuses mélodies de Rachmaninov par Asmik Grigorian et Lukas Geniušas

Réunir Asmik Grigorian et Lukas Geniušas autour d'un programme de mélodies de Rachmaninov était une excellente idée, et le duo remporte la palme haut-la-main avec cet enregistrement lauréat des ICMA 2023.

La soprano lituanienne a une voix merveilleuse. Le timbre est rond, charnu et crémeux, les registres sont parfaitement homogènes depuis des graves capiteux jusqu'aux aigus lumineux, exaltés par un chant pleinement habité. Elle a une façon de gérer sa ligne de chant, ses nuances et ses couleurs qui donne à l'auditeur l'impression qu'elle va au bout de l'émotion, au bout d'elle-même, et ceci la rend particulièrement touchante à la scène comme au disque. Au piano, le russo-lituanien Lukas Geniušas superpose ses talents à ceux de sa partenaire. Capable de distiller des presque-silences évanescents comme de déchainer des torrents de violence, il participe à créer les ambiguïtés, les failles de l'âme, à faire apparaitre les immensités steppiques comme les jardins mouillés, et à restituer pleinement la poésie des mélodies de Rachmaninov. Magnifique, l'ardeur juvénile de « Je t'attends », et déjà marquée par la déception à venir. Superbe, le « Crépuscule », rempli de couleurs solaires devenant nocturnes. Sublime, le « Ne chante pas en ma présence », tendu au bord de la fêlure. Chaque mélodie de ce recueil est rendu avec une justesse admirable, et sans aucune affectation, sans donner l'impression d'avoir été excessivement pensée. La réussite est totale, et on espère que ce tandem va continuer à fonctionner ensemble : le répertoire des mélodies russes ou slaves est vaste, passionnant et somme toute peu desservi.

Il ne serait pas juste de dire qu'Asmik Grigorian supplante Galina Vichnevskaïa et Elisabeth Söderström dans les mélodies de Rachmaninov. Chacune éclate par ses talents propres. Vichnevskaïa triomphe par le métal tragique intrinsèque à sa voix et son tempérament de feu, Söderström par l'intelligence de ses incarnations, et Grigorian triomphe par le cœur. Ce qu'on peut dire, c'est qu'elle se hisse sans peine au même niveau de qualité de ces grandes dames, et que son premier récital est un pur joyau.