Truls Mørk et Håvard Gimse jouent Bridge, Debussy, Janáćek et Britten

Le violoncelliste Truls Mørk et son complice de toujours le pianiste Håvard Gimse évoquent pour le label Alpha les différents paysages de la sonate pour violoncelle et piano du XX^e siècle à travers Bridge, Britten, Debussy et Janáćek.

Des paysages souvent hantés par la guerre, perçue de manière différente, qu'il s'agisse d'angoisse dont témoigne notamment celle de Frank Bridge composée entre 1913 et 1917, ou de lutte comme celle de Debussy écrite en 1915. Mais aussi, relevant parfois d'une toute autre inspiration, comme l'admiration que le compositeur, Britten, portait à son dédicataire Rostropovitch, ou encore participant d'une quête esthétique nationaliste et folklorique défendue par Janáćek, désireux de s'affranchir de l'influence germanique : de multiples motivations qui expliquent le polymorphisme de ces œuvres incontournables du répertoire pour violoncelle servies, ici, avec passion et élégance.

La Sonate en ré mineur, en deux mouvements, de Frank Bridge, le pacifiste, ouvre cet album sur des accents fortement romantiques portés par une effusion lyrique passionnée (Allegro) à laquelle fait suite une angoisse amère, plus désolée que méditative (Adagio), aux allures parfois élégiaques, dont violoncelliste et pianiste dessinent les contours avec émotion et pudeur, teintée par instants d'une pointe de véhémence vindicative.

Bien différente par le ton comme par sa structure en trois mouvements, la Sonate en ré mineur de Claude Debussy s'ouvre sur un Prologue fier et majestueux clamé par le piano, bientôt relayé par les arabesques mélancoliques du violoncelle à laquelle se mêle l'agitation inquiétante du clavier ; la Sérénade plus chaotique par ses pizzicati répond à l'image fantasque et capricieuse de Pierrot (fâché avec la lune) auquel elle doit son inspiration ; le Finale virtuose conclut sur des sonorités hispanisantes dans une gaité lunaire.

D'un tout autre genre, Pohádka fut composé en 1910 par Leoš Janáćek, quelques mois après la mort de sa fille, à partir d'un conte russe : Le Conte du Tsar Berendei de Vassili Joukovski. Après un premier mouvement tout habité d'une poésie mélancolique et rêveuse, le deuxième mouvement se montre plus tendu dans le dialogue entre les deux instruments avant que l'Allegro final ne renoue avec la slavitude par ses accents folkloriques bien contenus.

Benjamin Britten referme ce bel album avec sa Sonate en do majeur, écrite en 1961 à l'intention de Rostropovitch. Cinq mouvements pour faire montre de toute l'admiration de Britten pour le phénoménal violoncelliste et une œuvre haute en couleurs, laissant une large place au piano, dont la création au festival d'Aldenburg s'accompagna de force verres de whisky !! Une composition pleine d'ivresse sonore qui voit se succéder : un Dialogo très éloquent et expressif utilisant tout le registre du violoncelle, tantôt grave et grincheux, tantôt gai et insouciant ; un Scherzo impassible et mystérieux ; une Elegia limpide et affligée ; une Marcia éclatante et parodique ; un Finale conçu comme un hommage brillant à leur ami commun, Dimitri Chostakovitch et à sa signature harmonique (DSCH).

Un album riche, superbement interprété, tant au violoncelle qu'au piano, qui marque le retour de Truls Mørk à la musique de chambre. À consommer sans modération !