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Les Suites françaises de Bach par Marek Toporowski

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Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Suites françaises n° 1-6 BWV 812-817. Marek Toporowski, clavecins. 2 CD Musicon. Enregistrés en mai 2016 dans la salle de concert de l’Académie de musique Karol Szymanowski de Katowice (Pologne). Livret en polonais, anglais et allemand. Durée totale : 88:13

 

signe une interprétation convaincante des Suites françaises de Bach.

Bach_Suites francaises_Marek Toporowski_MusiconLes Suites françaises de constituent un des trois groupes de six suites pour clavier, à côté des Suites anglaises et des Partitas appelées Suites allemandes. Le compositeur écrivit ces Suites françaises vraisemblablement dans les années 1720-1725 à Köthen. Son amour éprouvé pour Anna Magdalena Wilcke, devenue madame Bach le 3 décembre 1721, fut probablement à l'origine de la composition des cinq premières suites, dont la version initiale fut inscrite en 1722 par lui dans un Klavierbüchlein de son épouse, soit un recueil de pièces pour instrument à clavier qu'il souhaitait lui faire apprendre. En effet, les Suites françaises – plus simples dans l'exécution que les suites des deux autres cycles, même si certains morceaux demandent du brio – étaient destinées à des fins éducatives. En témoigne également le fait que Bach les faisait jouer par ses élèves, ce qui est, d'ailleurs, la raison de l'existence de leurs nombreuses versions, différant particulièrement par leur ornementation, mais aussi, parfois, par leurs lignes mélodiques. Contrairement à François Couperin, Bach n'attachait pas d'importance quant à la façon d'orner ses partitions quand celles-ci étaient interprétées ou transcrites par ses disciples. Vu qu'il n'existe pas une édition définitive des Suites françaises, les interprètes peuvent aujourd'hui choisir entre plusieurs versions dont celle copiée par Johann Christoph Altnikol semble la plus aboutie. C'est sur celle-ci que s'appuie dans cet enregistrement (excepté la Suite française n° 4).

Les Suites françaises de doivent leur nom actuel à Johann Nikolaus Forkel, considéré comme l'un des fondateurs de la musicologie et surtout le premier biographe du cantor de Leipzig, qui popularisa cette dénomination utilisée pour la première fois par Friedrich Wilhelm Marpurg en 1762. Bien que Forkel estime qu'elles sont « façonnées dans un style français », elles ne sont – en vérité – pas plus « françaises » que les Suites anglaises, désignées ainsi car Johann Christian Bach rajouta sur sa copie de ces œuvres la mention « fait pour les Anglois ».

Avec leur structure renfermant toutes les quatre danses traditionnelles de la suite (allemande, courante, sarabande et gigue), les Suites françaises de présentent un caractère évident de musique à danser. En plus de cela, elles comprennent un nombre variable de pièces supplémentaires : menuet(s), air, anglaise, gavotte, bourrée, loure et polonaise. Elles se distinguent des Suites anglaises et des Partitas pour clavier par l'absence de préludes. Fait étonnant, le nombre total des mesures des six Suites françaises de la copie d'Altnikol, 1380, équivaut à celui des danses dans les six Suites anglaises, auquel il faudrait rajouter encore 690 mesures (soit la moitié de 1380) que comportent les Préludes.

Pour l'instrumentarium, choisit trois clavecins dissemblables. Pour les Suites françaises n° 1, n° 3 et n° 6, c'est un petit clavecin italien à un clavier (construit par Martin Schwabe, Leipzig, 2010), dont la sonorité est fraîche et directe, en permettant de savourer ces musiques à travers les détails d'articulation. Pour les Suites françaises n° 2 et n° 5, nous avons affaire à un clavecin français à deux claviers (construit par Martin Schwabe, Leipzig, 2007, d'après un original de Pascal-Joseph Taskin), offrant une résonance plus longue et un son plus mélodieux. Pour la Suite française n° 4, Toporowski joue sur un Virginalcembalo (ce qu'on peut traduire un « clavecin virginalisé », fabriqué par Michael Scheer sur la base des instruments de l'Allemagne du Nord du XVIIe siècle) procurant une sonorité diversifiée par le fait que l'un de ses registres se voit équipé de plectres métalliques, ainsi qu'en raison d'un placement inhabituel des sautereaux – stricto sensu, des becs de plume situés à leur extrémités –, pinçant les cordes à différentes distances du chevalet.

En touchant ces trois instruments, Marek Toporowski opta pour le tempérament mésotonique 1/5 comma (aux tierces et aux quintes légèrement élargies par rapport au tempérament mésotonique 1/4 comma). Exception faite pour la Suite française n° 3, pour laquelle le clavecin est accordé au tempérament Bach-Kellner, ainsi que pour la Suite française n° 6, pour laquelle Toporowski propose un élargissement supplémentaire de certaines tierces, en conséquence de quoi on obtient un tempérament mésotonique 1/5 comma tendant vers un tempérament inégal, et plus précisément vers un « bon » tempérament, où les notes peuvent être jouées pour leur enharmonie, néanmoins quelques-unes d'entre elles de façon plus acceptable que d'autres.

En ce qui concerne l'interprétation, Toporowski subjugue par la poésie, le sens de l'élégance et la musicalité. Par ses choix de tempo, par une respiration ample, il signe une des versions les plus « lyriques » de ces suites, une lecture aussi réfléchie que réflexive voire méditative, un peu moins flamboyante que celle signée Christophe Rousset. Si ce dernier nous plonge dans des atmosphères tantôt suaves et sensuelles, tantôt introverties, Toporowski, un brin plus objectif mais aussi moins mesuré dans son approche, cherche dans ces pages toute leur complexité, qu'il essaie de restituer par l'intermédiaire de procédés rhétoriques comme des petites suspensions du mouvement, autant qu'au travers d'une palette d'ambiances plus variée. Ainsi, le rythme ne paraît pas toujours si limpide que cela, les phrasés ne révèlent plus la régularité (et la simplicité) de la pulsation, en empruntant des accents plus ou moins forts, par instants comme spontanés, conformes à la spécificité des danses respectives, transformant cette interprétation en une sorte de conte qui – passant de la joie à l'hésitation – ne manque pas de charmer par sa profondeur, ni de surprendre par son intensité comme par l'ajout d'ornements de bon goût. Malgré ces caractéristiques, cette prestation ne perd nulle part son côté « naturel », rien n'est donc ici « forcé », comme ceci est le cas de l'exécution donnée par Blandine Rannou. En plus du raffinement agogique, Toporowski impressionne par des effets de couleurs sublimes parfois très éloquents, par exemple en introduisant le « jeu de luth », notamment dans les dernières mesures de la Suite française n° 6.

Avec une prise de son appréciable, laissant percevoir un large espace, une sonorité détaillée, riche en harmoniques, cet album est une belle alternative à la discographie déjà existante.

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Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Suites françaises n° 1-6 BWV 812-817. Marek Toporowski, clavecins. 2 CD Musicon. Enregistrés en mai 2016 dans la salle de concert de l’Académie de musique Karol Szymanowski de Katowice (Pologne). Livret en polonais, anglais et allemand. Durée totale : 88:13

 
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