L’impeccable et implacable Beethoven de Filippo Gorini
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Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonates pour piano n° 29 op. 106 « Hammerklavier » et n° 32 op. 111. Filippo Gorini, piano. 1 CD Alpha Classics. Enregistré à la Beethoven Haus de Bonn, Allemagne, en août 2019. Notice en français, allemand et anglais. Durée : 73:15
Alpha« Impeccable et implacable »… C'est justement cela qui pose problème dans cette interprétation des deux sonates : deux monuments de l'Histoire du piano qui engagent le pianiste non seulement intellectuellement et physiquement, mais aussi spirituellement.
Achevée au début de l'année 1829, à l'époque de l'écriture de la Missa Solemnis, la Sonate Hammerklavier est consécutive à la réception d'un superbe piano des ateliers de Johann Andreas Streicher. Le célèbre facteur d'instruments autrichien réalisa un pianoforte suffisamment puissant pour que le son soit encore audible pour Beethoven. Audible certes, mais on peut l'imaginer, personnalisé. Ce n'est certes pas le cas de l'instrument utilisé par Filippo Gorini dont on ne sait rien hormis ce que l'on entend : longueur de son médiocre, uniformisation des timbres criards dans les grandes dynamiques, registre du médium plat, absence de basses…
Filippo Gorini nous propose la même approche que celle qui prévalait dans ses Variations Diabelli, son premier enregistrement pour Alpha Classics. Il joue « à bout de souffle », perdant en chemin ce que la Sonate Hammerklavier révèle de grandiose (Beethoven souhaitait utiliser le thème pour une cantate destinée à l'archiduc Rodolphe d'Autriche). Pourtant, le pianiste possède une technique remarquable et une structure mentale impressionnante : tout ce qui est nécessaire pour magnifier l'architecture des deux premiers mouvements. Pourtant, le Scherzo manque passablement d'ironie ou, plus exactement de variété d'expressions. Filippo Gorini respire fort bien l'immense Adagio sostenuto tout en lui retirant sa dramaturgie. Les différentes nuances (espressivo, smorzando, molto espressivo) deviennent indistinctes. Dans le déferlement des idées du finale, Beethoven a concentré une série d'improvisations. Avouons notre admiration pour la réalisation de l'interprète. La netteté du toucher, la clarté des plans sonores à ce tempo est rare. Il reste que le message musical – l'expression de la puissance prométhéenne et le caractère désespéré de l'œuvre – est occulté.
Le constat est identique avec la dernière Sonate en ut mineur. Sa dimension inéluctable théâtrale, solennelle ne peut pas être résumée à tous les effets techniques, à un pur jeu intellectuel. La rage, l'expression même de la vie se transposent sous les doigts du pianiste qui devrait dépasser le propos de l'instrument pour imaginer un véritable orchestre. Ici, tout paraît assuré, « lisible ». L'Arietta manque de mystère, d'élévation. Le choral, ce moment de recueillement se dilue sans force, dans une immobilité banale. Comment préparer les métamorphoses à venir ? L'accroissement des dynamiques, de la vélocité, de rythmes de plus en plus irréguliers se produit subitement sans que l'on ressente cette libération, cette ouverture de l'espace sonore. Les scintillements de notes dans l'aigu deviennent mécaniques. Peut-être aussi parce que le piano ne projette que peu de son. Au finale, on admire sans être ému. Dans une discographie gigantesque, il nous faut revenir aux témoignages de Pollini, Richter, Pogorelich, Serkin, entre autres.
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Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonates pour piano n° 29 op. 106 « Hammerklavier » et n° 32 op. 111. Filippo Gorini, piano. 1 CD Alpha Classics. Enregistré à la Beethoven Haus de Bonn, Allemagne, en août 2019. Notice en français, allemand et anglais. Durée : 73:15
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