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L’étonnant et détonnant Beethoven d’Olga Pashchenko

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Ludwig van Beethoven (1770-1827) : sonates pour pianoforte n°21 en ut majeur op. 53 « Waldstein », n°23 en fa mineur op. 57 « Appassionata », et n°26 en mi bémol majeur op. 81a « Les adieux ». Olga Pashchenko, pianoforte. 1 CD Alpha. Enregistré en la Beethovenhaus de Bonn en novembre 2016. Durée : 69’50

 

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Le nouveau disque de la pianofortiste , consacré une fois de plus à Beethoven, est une vraie bombe : non seulement la multiclaviériste russe manie avec une prise de risque maximale le pianoforte Conrad Graf (1824) de la Beethovenhaus de Bonn, mais repense articulations, tempi et couleurs : le mélomane est invité à la redécouverte de chefs-d'œuvres qu'il croyait pourtant bien connaître dans des interprétations plus clémentes ou consensuelles.

Jadis pianiste enfant prodige, Olga Paschchenko s'est très vite intéressée aux pratiques sur claviers historiques, étudiant à Moscou le clavecin avec Olga Martynova ou le piano-forte avec le génial électron libre Alexei Lubimov, puis s'est dirigée vers Amsterdam où elle a suivi l'enseignement de Richard Egarr et de nombreux intrumentistes prestigieux lors de masterclass, dont Andreas Staier. Son premier disque pour Fuga Libera, « Transitions »,  paru voici cinq ans, a été très remarqué à la fois par le renouvellement subtil des interprétations et par la singulière trajectoire qu'il imposait de Dussek à Mendelssohn en passant déjà par Beethoven (Bagatelles op. 33 et surtout l'ultime Sonate op. 111). Après un album très réussi de Variations (en compagnie des deux « petites » sonates de l'opus 49) paru chez Alpha, ce nouveau disque révèle une vision décapante, percutante, affirmée (mais ô combien raffinée) de trois célèbres sonates à titre.

Certes, il  y a d'abord un instrument historique exceptionnel, legs de la famille Hummel, proche de conception du dernier clavier prêté par le même facteur Conrad Graf à Beethoven deux ans plus tard, très bien capté par Franck Jaffrès : robuste et fin, incroyablement dynamique mais divinement contrasté et coloré. Peut-être eût-il pu être encore mieux accordé dans l'extrême aigu ? Les différentes pédales, outre la « due corde » et « forte » analogues à celles de nos modernes claviers, actionnent aussi une autre dite « de basson» où une bande de parchemin et de soie tendue sur baguette modifie le timbre des notes graves, évoquant celui de l'instrument à vent, ou une « de sourdine » avec ce morceau d'étoffe altérant le son de manière brumeuse poétique et évocatrice sur de longues sections. Ainsi, l'instrument, délibérément, ne se veut ni homogène ni standardisé. Et c'est avec  beaucoup d'à-propos qu' utilise ces différents registres : le début de l'Andante con moto de l'Appassionata fait penser à un choral harmonisé pour les instruments à vents, la coda très poétique du premier mouvement des « Adieux » évoque à la fois la sonorité du cor de postillon et de sidérant effets de sons lointains.

Mais l'instrument permet aussi à cette interprète inspirée de repenser le jeu et la conception des œuvres du tout au tout : la rapidité de réponse de la mécanique, amplifiée par la réelle virtuosité d', restitue à merveille l'effervescence de l'Allegro con brio initial de la Waldstein, ce qui n'empêche pas l'évocation poétique de la genèse d'un nouveau monde sonore au fil de l'Adagio molto et du Rondo final à la coda irrésistible. Toute l'Appassionata, au sous-titre pourtant apocryphe, est haletante, tragique et inquiète jusqu'à l'inconfort psychologique pour l'auditeur et renvoie au « torrent de feu dans un lit de granit » décrit par Romain Rolland dans une page célèbre de sa biographie beethovénienne. Toutefois, il nous semble qu'au cours de sa récente prestation au festival Musiq3 de Bruxelles, la pianofortiste russe, comme dopée par l'ivresse de l'instant, allait peut-être encore plus loin, tant dans le paroxysme de l'expression que dans la conduite parfois plus unitaire du discours. C'est donc peut-être dans la plus secrète et énigmatique sonate les Adieux que la ductilité et la fantaisie descriptive de l'œuvre sont les plus probantes dans cette session d'enregistrements.

Mais à n'en pas douter, voilà un très grand disque Beethoven, qui à l'égal des variations Diabelli par Andreas Staier (Harmonia mundi) ou l'ultime trilogie de sonates par Alexei Lubimov (Zig-Zag territoires-outhere), prouve que les interprètes historiquement informés apportent comme « modernes anciens » une fraîcheur inattendue et un renouvellement d'écoute à ces œuvres justement célèbres du panthéon pianistique et musical, au moins à l'égal de leurs illustres aînés ou confrères contemporains tâtant exclusivement du piano moderne. Replacer les œuvres dans leur contexte sonore et organologique remet aussi grandement en question l'image d'Épinal d'un Beethoven pianiste composant pour un instrument idéal à venir.

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Ludwig van Beethoven (1770-1827) : sonates pour pianoforte n°21 en ut majeur op. 53 « Waldstein », n°23 en fa mineur op. 57 « Appassionata », et n°26 en mi bémol majeur op. 81a « Les adieux ». Olga Pashchenko, pianoforte. 1 CD Alpha. Enregistré en la Beethovenhaus de Bonn en novembre 2016. Durée : 69’50

 
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2 commentaires sur “L’étonnant et détonnant Beethoven d’Olga Pashchenko”

  • Michel LONCIN dit :

    Interpréter Beethoven « sur clavier historique » est une HERESIE (tout particulièrement pour sa « troisième manière ») : ne déclarait-il pas avec fierté qu’il composait pour l’Avenir (ce qui implique AUSSI la facture de piano) … outre le fait qu’on a toujours la très désagréable impression, à l’écoute du « piano forte), que l’instrument est « désaccordé » … PIRE : qu’on a affaire à un « piano bastringue » !!!

    • Alphée dit :

      Il faut toujours se méfier des déclarations des compositeurs, surtout celles de Beethoven, qui maniait un humour assez féroce. A des admirateurs qui voulaient a tout prix « comprendre » la pensée du compositeur, ce dernier, au lieu de leur dire qu’ils sont des ânes bâtés, botte en touche vers l’avenir.
      Pour Mlle. Pashenko, c’est très bien, même étonnant pour une jeune personne, mais ça ne renouvelle pas la vision qu’on peut avoir de ces œuvres. Il me manque quand même la tension, et le souffle, le pneuma sans lequel l’œuvre ne vit pas. J’attends toujours qui ira plus loin que Schnabel et Serkin.

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