Pour lancer sa nouvelle collection, « Ut Musica Poesis », Alpha choisit la musique de chambre de Gabriel Fauré. Dans le premier volet de cette intégrale, ce sont les œuvres pour piano et violoncelle, ainsi que l'unique Trio, interprété ici avec clarinette, que MM Le Sage, Salque et Meyer nous proposent.
Disons-le tout de suite : ce disque, qui rassemble des miniatures (Romance, Elégie, Sérénade, Papillon, Berçeuse) et des œuvres plus conséquentes (les deux Sonates et le Trio), offre la vision la plus fine, la plus charmante, la plus heureuse de ce répertoire qui se soit vue depuis longtemps. Modèle d'équilibre, le duo Le Sage/Falque fonctionne à merveille, arborant une large palette de registres et d'émotions. Au violoncelle, François Salque nous fait entendre une voix vraie, inscrite dans l'existence, portée par des sentiments authentiques. La vie n'est pas uniquement tragique, comme dans la poignante Elégie, mais elle n'a pas non plus toujours la légèreté du Papillon : elle est tout cela à la fois et il revient à l'artiste d'exprimer cette ambivalence. L'archet de Salque suscite ainsi en nous des impressions mêlées, sans cesse contredites et réaffirmées. Maître de l'atmosphère, il passe de la mélancolie à l'espièglerie, de la douceur à la nervosité avec un naturel déconcertant. Au piano, Eric Le Sage, toujours à propos dans les nuances, apporte un beau soutien harmonique, un sens remarquable de la scansion (Papillon) et de belles envolées lyriques (Elégie, Sérénade).
Dans les Sonates (op. 109 et 117), œuvres de la maturité, on apprécie une lecture très « vingtième siècle » de la partition, mariant vigueur et mélancolie. Salque et Le Sage sortent Fauré du salon où l'on a parfois tendance à le confiner et lui donnent une portée supérieure, mettant en évidence la richesse du matériau et la complexité de l'écriture mélodique et harmonique. Leur virtuosité permet d'obtenir une sonorité crépitante dans les scherzos, vibrante dans les mouvements lents, qui fait dire à chaque mesure exactement ce qu'elle signifie.
Tout fait sens également dans le Trio pour clarinette, violoncelle et piano. Le chant de Paul Meyer s'élève avec simplicité et efficacité dans l'Allegro non troppo, soutenu avec fluidité par Salque et Le Sage. L'Andantino, par ses longues phrases épurées, invite davantage au flottement. La mélodie se perpétue avec grâce et volupté, sans que les interprètes ne parviennent jamais à nous ennuyer, jusqu'au merveilleux chavirement des ultimes mesures, savamment préparé. On admire dans le Final un piano particulièrement bien tenu, qui pulse avec maestria cet Allegro vivo. Eric Le Sage s'y montre puissant et fulgurant, entraînant ses partenaires dans des virevoltes hautement spirituelles. Une bien belle conclusion pour cet enregistrement. On attend la suite avec impatience !