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Toulouse. Théâtre du Capitole. 10-X-2004. Leoš Janáček : Jenufa.. Barbara Haveman (Jenufa), Jorma Silvasti (Laca), Kevin Anderson (Steva), Hildegard Behrens (Kostelnicka), Helga Dernesch (Buryia), Chœurs et Orchestre National du Capitole de Toulouse, Jirí Kout (direction), Nicolas Joel (mise en scène), Ezio Frigerio (décors), Franca Squarciapino (costumes), Vinicio Cheli (lumière).
Après plus d'un an de travaux destinés à améliorer la fosse d'orchestre, le cadre de scène, les machineries, les coulisses, le public toulousain semblait manifestement ravi de réinvestir « son » théâtre.
Et l'idée était excellente de fêter cette réouverture avec une nouvelle production de Jenůfa, belle façon de célébrer le cent-cinquantième anniversaire de Janacek, loin des sentiers (broussailleux…) les plus rebattus du répertoire.
Avant tout, il faut saluer l'excellence de la direction de Jirí Kout, ancien chef du Théâtre national tchèque. Rarement la musique de Janacek aura sonné avec cette fluidité, cette évidence presque mozartiennes. Très attentif aux équilibres, le chef ne couvre jamais les chanteurs, sans pour autant brider la formidable dynamique de l'orchestre : la mesure n'empêche pas l'éclat. Car jamais le modernisme de Janacek n'apparaît euphémisé ; cette conception très musicale mais jamais prudente s'attache avant tout à souligner la dimension humaine des personnages, sans accentuer outre mesure le pathétique de l'action. L'orchestre suit magnifiquement, homogène, équilibré, avec des cuivres tenus et des cordes diaphanes qui donnent un deuxième acte d'une belle poésie. Il faut dire que les deux rôles principaux sont parfaitement au diapason de cette conception chaleureuse et humaniste. Jorma Silvasti, déjà très apprécié en Tamino l'année dernière, campe un Lac à la fois buté et tendre, aux accents tour à tour héroïques et élégiaques. Au-delà de la qualité de la voix et du timbre, cette versatilité est la marque tout à la fois d'un véritable tempérament dramatique et d'une parfaite maîtrise vocale.
Barbara Haveman était annoncée comme une révélation, elle n'a pas déçu. On ne sait qu'admirer le plus chez cette jeune chanteuse néerlandaise, élève de Carlo Bergonzi et Renata Scotto. La voix est magnifique, le timbre riche ; le chant jamais forcé se déploie avec une émotion intense, comme dans la prière du II° acte, berceuse intime, douce et désespérée. Et le jeu n'est pas en retrait ; si la puissance vocale est bien là, l'actrice privilégie l'intériorité et la vérité psychologique de cette jeune fille emprisonnée dans les préjugés étroits de cet univers borné. Son incarnation n'en est que plus juste et plus bouleversante. Le reste de la distribution, convaincant dramatiquement et vocalement correct, évolue cependant largement en-dessous de ce couple splendide, y compris le Steva un peu coincé de Kevin Anderson.
Reste « l'affaire Hildegard Behrens ». Il est indéniable qu'à ce stade avancé de sa carrière, la cantatrice n'est plus en mesure d'affronter la tessiture meurtrière de Kostelnicka. La voix, considérablement raccourcie, n'offre plus qu'un aigu au vibrato instable et un grave parlé, le souffle manque et le timbre éraillé est par moments bien pénible. Seules quelques phrases fortissimo du second acte paraissent véritablement chantées. Certains aiment, pour qui la forte présence et l'instinct théâtral toujours sûr de l'interprète excusent tout ; quelques moments sont, il est vrai, étouffants d'intensité. On peut aussi viscéralement détester -après tout, si Janacek a écrit ces notes sur la partition, c'est qu'il voulait qu'elle soient chantées- et s'attrister d'entendre dans un si triste état une voix hier glorieuse.
Le dépouillement de la mise en scène de Nicolas Joel met également l'accent sur le destin ordinaire, sur la médiocrité oppressante des personnages. Un haut mur de pierre grise enferme la scène, au milieu se détache la roue d'un moulin qui tourne lentement au rythme d'un filet d'eau. Les éclairages subtils de Vinicio Cheli varient l'atmosphère de ce dispositif très simple mais efficace, avec une belle idée de mise en scène lorsque, au II° acte – globalement le plus réussi -, un plafond de pierre descend lentement pour écraser finalement Kostelnicka. Nicolas Joel n'interroge peut-être pas autant le texte que Christoph Marthaler l'avait fait dans Katia Kabanova il y a quelques années, on peut peut-être le regretter dans l'utilisation un peu convenue des chœurs. Mais sa mise en scène, fidèle à la lettre du livret, se soucie avant tout d'efficacité et de lisibilité, une modestie qui donne la liberté aux chanteurs, surtout quand ils ont cette qualité, de donner vie à leurs personnages.
A propos de cette réouverture, un changement de taille à tous les sens du terme, puisque les programmes du théâtre, toujours dus à l'excellent Christophe Ghristi, se présentent sous un format nettement agrandi. Richement illustrés, ils contiennent, outre le livret intégral bilingue, une chronologie du compositeur, un beau choix de poèmes illustrant le thème de l'opéra, et quelques textes et analyses très éclairants de Christophe Ghristi, Janacek lui-même, et même un texte inédit en français d'Erwin Schulhoff. Un véritable livre d'art pour 9 euros.
Quelles que soient les opinions possibles sur la Kostelnicka d'Hildegard Behrens, incarnation qui ne laisse en tout cas pas indifférent, cette réouverture du Capitole se fait sous les meilleurs auspices et l'on ne peut qu'espérer voir la saison continuer à cet excellent niveau.
Crédit photographique : © Patrice Nin et Patrick Riou
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Toulouse. Théâtre du Capitole. 10-X-2004. Leoš Janáček : Jenufa.. Barbara Haveman (Jenufa), Jorma Silvasti (Laca), Kevin Anderson (Steva), Hildegard Behrens (Kostelnicka), Helga Dernesch (Buryia), Chœurs et Orchestre National du Capitole de Toulouse, Jirí Kout (direction), Nicolas Joel (mise en scène), Ezio Frigerio (décors), Franca Squarciapino (costumes), Vinicio Cheli (lumière).