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Ce week-end de festival (21-23 février) constituait le climax de la saison de l’OPRL poursuivant son voyage vers Les Orientales.
Il est certainement impossible d'aborder de manière complète une thématique aussi vaste en l'espace d'une saison ou d'un week-end de festival, mais reconnaissons que l'orchestre a su rassembler les ingrédients d'un cocktail savoureux, apte à épancher les plus grandes soifs d'exotisme musical. Un programme exigeant proposant des pièces sortant des sentiers battus , n'oubliant pas la musique du XXème siècle ou les créations. La pédagogie était également de la partie, par une séance de concert commenté destinée au plus jeune public, autour de Shéhérazade de Rimski-Korsakov. Enfin, la star du piano contemporain Fazil Say, appelé à briller comme interprète du grand répertoire faisait également partie de l'affiche du festival pour ses talents de compositeur. La création belge de son concerto Gezi Park 1 pour deux pianos, a d'ailleurs offert l'occasion à l'O.P.R.L. d'inviter les soeurs Önder pour interpréter cette oeuvre, en complément d'une prestation en récital. Nous clôturons ici cette évocation non exhaustive de l'intéressante programmation proposée sur ces trois journées de festival à l'occasion duquel, c'est maintenant une tradition lors des festivals de l'O.P.R.L., le personnel de salle avait revêtu des costumes orientaux ajoutant un caractère festif à l'événement musical.
Le programme du vendredi soir confrontait habilement trois compositeurs autour de liens communs. C'est le Britannique William Walton qui ouvrait les festivités avec ses Variations sur un thème de Hindemith. De Paul Hindemith (qui a contribué à l'ouverture du conservatoire d'Ankara dans lequel étudiera Fazil Say) ont ensuite été jouées les Métamorphoses sur un thème de Weber, ce fameux Weber qui avait écrit en 1809 une musique de scène autour de la mythique Turandot (l'orchestre en jouera l'ouverture). Ce premier panorama musical embrasse ainsi près de cent cinquante années d'exercice de la composition. Le travail réalisé par Walton tient du laboratoire d'expérimentations, laissant se succéder de très courtes variations (le matériau thématique est extrait de son Concerto pour alto) explorant largement les possibilités de l'orchestre. Nous en retenons particulièrement l'Andante dans lequel hautbois et cor anglais dialoguent très élégamment. La confrontation de Weber et Hindemith est un exercice très amusant pour l'auditeur, tant le thème composé par Weber est trituré avec brio par le compositeur allemand et sinue intelligemment à travers l'entièreté de l'orchestre. La composition offre aux trombones d'intéressants solos, occasion assez rare pour cet instrument de l'orchestre de sortir du rang.
Mais la soirée du vendredi a surtout été marquée par l'incroyable prestation de Fazil Say. Son Concerto n°2 de Saint-Saëns était absolument décapant! Le personnage Fazil Say ne peut laisser indifférent. D'aucun vénèrent son audace sans limite, les autres sont parfois embarrassés par un artiste qui prend de telles libertés face à la partition qu'il va parfois bien au-delà de l'interprétation attendue. Car Fazil Say va tellement loin dans son travail qu'il tend parfois à réinterpréter l'œuvre au pupitre… Le presto final composé par Saint-Saëns lorgnait presque du côté de Georges Gerschwin lorsque le pianiste s'est emparé de sa tarentelle pour l'installer sur une rythmique presque jazzy… La démarche de l'artiste est extrême mais tellement engagée et sincère que nous y avons totalement adhéré. Le jeu de Say est d'une puissance implacable, mais non dénuée de subtilité. Les bis (rien de moins que trois de ses compositions soit une trentaine de minutes de jeu supplémentaires!) interprétés à l'issue du concerto en témoigne encore allègrement. Dans Black Earth (composition de 1997), Say joue bien entendu le clavier mais aussi directement les cordes, générant alors des sonorités rappelant le saz, instrument traditionnel turc. Dans les Paganini Variations (ses variations sur le 24e Caprice de Paganini) il démontre sa capacité à revisiter les classiques, comme avec Alla Turca Jazz, ses variations sur la Marche turque de Mozart, parfait clin d'œil à l'affiche du festival.
Le dimanche, la Péri de Paul Dukas était à l'affiche du concert clôturant le festival. Ce ballet pour lequel son compositeur avait si peu d'estime est aisément assimilable au Daphnis et Chloé de Ravel. Il en partage logiquement la palette de couleurs impressionnistes. Après l'impressionnante fanfare, interprétée avec brio par la section de cuivres, La Péri développe dans ses premières minutes un majestueux leitmotiv associé au personnage d'Iskender. Une très belle mélodie que n'aurait pas reniée Poulenc pour ses propres ballets… Christian Arming rend ensuite un bel hommage à cette agréable partition. On souhaiterait simplement par moment que les cordes gagnent en éclat et velouté ce que le pupitre des bois exprime si facilement.
Entre ensuite en scène les pianistes jumelles Ferhan et Ferzan Önder. Le concerto pour deux pianos Gezi Park 1 composé par Say se veut une évocation des événements des 30 et 31 mai 2013. Ils avaient vu une manifestation initiée pacifiquement dans le parc Gezi d'Istanbul être violemment réprimée par la police, marquant le départ d'un large mouvement protestataire en Turquie. Le concerto est structuré en trois parties. Il s'ouvre sur des miroitements des cordes, sur lesquels vient se poser un thème chargé d'espoir et de liberté joué par les deux pianistes. Cette plénitude incarnée par les talentueuses solistes s'estompe rapidement par la section médiane du concerto, évoquant la lune se levant sur la foule rassemblée dans l'ombre des arbres du parc. La troisième partie traduit l'offensive policière qui a coûté la vie à six personnes et laissé derrière elle près de quatre-mille blessés. Dans la rage que Say insuffle à l'orchestre, l'on ne peut s'empêcher d'apercevoir le même rouleau compresseur que celui qui traverse l'Allegro de la Symphonie n°11 de Shostakovich… L'œuvre trouve sa conclusion dans un long duo entre les sœurs Önder. L'atmosphère éthérée de ce duo avait été magnifiquement accentuée par une subtile mise en lumière des artistes. L'éclairage de la scène s'était soudainement réduite à l'issue des accents rageurs de l'orchestre pour ne plus révéler que les deux pianistes… L'on ne peut qu'aspirer à ce que ce concerto Gezi Park 1 connaisse de nombreuses nouvelles créations autour du monde. Tant pour les qualités musicales de la pièce que pour l'intérêt de son argument.
Ajoutons enfin que les deux concerts auxquels nous avons assisté ont été rehaussés de l'exécution d'une amusante « Turquerie« . L'orchestre avait en effet réservé une surprise aux auditeurs, en passant commande auprès du compositeur Cyrille Lehn d'un savoureux arrangement de la Marche turque, dans lequel le célèbre thème de Mozart s'efface rapidement pour laisser surgir les « tubes » les plus efficaces pour évoquer l'exotisme. Ont défilé entre autres: Tchaïkovski et son Casse-Noisette, Johan Strauss fils et sa Marche persane, jusqu'à Maurice Jarre auteur de la bande originale de Lawrence d'Arabie!
Crédits photographiques : A-S Trebulak, N.Horowitz, Fazil Say
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Ce week-end de festival (21-23 février) constituait le climax de la saison de l’OPRL poursuivant son voyage vers Les Orientales.