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Olivier Lexa, directeur du Venetian Center for Baroque Music

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L'apprentissage du violon (moderne au CRR de Toulon, baroque au CRC de Paris 12), des études d'histoire puis un DESS «Gestion de la musique» à Paris IV – La Sorbonne ont amené à la direction du futur Venetian Center for Baroque Music, après avoir été administrateur de l'ensemble «Les Folies Françoises» et directeur général de la Fondation Palazzetto Bru-Zane / Centre de musique romantique française. En ces temps financiers difficiles pour la culture, comment se bâtit un centre de recherche en musique…

« Nous sommes au niveau européen dans une période de transition. Dans vingt ans nous n'aurons plus les mêmes réflexes sur les financements publics ou privés »

ResMusica : Prochainement va ouvrir à Venise le Venetian Center for Baroque Music dont vous êtes le directeur. N'y a-t-il jamais eu de lieux de recherche musicologique dans cette ville ?

 : Bien sûr il, la Fondazione Cini, toujours en activité, qui ne se consacre pas qu'au répertoire baroque, et ne lie que trop rarement son travail de recherche ou d'édition à la production de concerts ou de disques. Par ailleurs existe la Fondazione Levi, qui travaille sur la musique italienne de la Renaissance. Mais rien de strictement vénitien pour ces deux organismes.

RM : On peut légitimement s'étonner que dans une ville au répertoire musical important et si particulier, même de nos jours, il n'y ait jamais eu de centre de recherche sur le patrimoine vénitien.

OL : Absolument. Les Italiens fuient Venise, la cité continue à attirer de plus en plus d'étrangers, dont beaucoup sont à l'origine de la restauration des patrimoines architecturaux et picturaux. La population vénitienne est vieillissante, les équipes jeunes de professionnels de la culture sont très peu nombreuses. Venise est aussi une ville complexe humainement et professionnellement. Enfin les Italiens, en dehors du Centre de musique baroque de Naples, la Pietà de' Turchini, n'ont pas l'habitude d'institutions liant recherche et concert.

RM : Il y aussi la Fondazione Isabella Scelsi à Rome pour la musique contemporaine. Mais comment créer et rendre pérenne une entreprise culturelle privée dans un pays qui au plus haut niveau de l'État délaisse sa propre culture ?

OL : Ce n'est pas paradoxal, c'est lié. Au Venetian Center for Baroque Music nous sommes tous très conscients de cet état de fait, et la création de cette structure est la conséquence directe de la tragédie culturelle qui se joue en Italie. Comme il n'y a plus d'argent public il est temps aujourd'hui de créer de nouvelles structures privées avec des missions patrimoniales.

RM : Le Venetian Center for Baroque Music a donc des fonds exclusivement privés.

OL : Exclusivement oui.

RM : Qu'un mécénat privé existe est salutaire mais ne craint-on pas un appauvrissement de l'offre culturelle ? Un mécène n'est pas toujours pérenne et toutes les fortunes susceptibles de donner des fonds ne sont pas toutes intéressées par la culture.

OL : L'appauvrissement est aujourd'hui dans les structures publiques de la péninsule. Si on fait un panorama des fondations artistiques privées en Italie, surtout en matière d'art contemporain, elles ne connaissent pas la pénurie que subissent aujourd'hui les structures publiques. Nous sommes au niveau européen dans une période de transition. Dans vingt ans nous n'aurons plus les mêmes réflexes sur les financements publics ou privés. Si on veut absolument trouver un avenir florissant pour la culture il faut se tourner vers le mécénat.

RM : La problématique du mécénat est la réticence des entreprises, malgré les facilités fiscales. La dépense pour de l'artistique est parfois vécu par les actionnaires d'entreprises privées comme l'entretien d'une «danseuse». En tous cas en France. Est-ce de même en Italie ?

OL : Oui. C'est pourquoi nous avons paradoxalement plus de facilités à convaincre des mécènes étrangers, alors que notre travail est exclusivement sur le patrimoine italien. D'autre part nous n'avons pratiquement pas de mécénat d'entreprise mais uniquement des personnes privées. Nous espérons une évolution de la part des sociétés.

RM : Parlons un peu du fond, la musique baroque vénitienne. Monteverdi et Vivaldi, l'alpha et l'oméga, on les connaît, a-t-on besoin d'un centre de recherche ?

OL : Pour eux non, évidemment. Mais entre les deux la vie musicale baroque est foisonnante. On connaît assez peu de compositeurs de cette époque, alors que le répertoire est immense, avec l'apogée de l'opéra vénitien, mélange de tragédie et de comédie, une débauche de moyens scénographiques, une importance du texte, car c'est d'avantage du théâtre musical que de l'opéra. Un équilibre parfait du genre. Le travail de recherche est énorme, nous partons de rien. Notre situation est similaire à celle du CMBV lors de sa création : tout est à faire. Nous sommes en présence de véritables chefs-d'œuvre à découvrir.

RM : Alain Duault avait déclaré « On nous ressort sans cesse tel ou tel opéra baroque dont la vertu semble parfois limitée au seul fait d'avoir été composé à l'époque baroque ». Ne court-on pas le risque d'entendre une fois encore ce genre de reproche ?

OL : Le seul juge sera le public. Il est trop tôt pour répondre à cette question, rendez-vous après quelques re-créations, dont celle de Coligola delirante de Pagliardi. On verra si ça vaut la peine, pour ma part j'en suis persuadé. La parole d'Alain Duault est une réaction à un effet de mode qui elle-même a des allures de formule à la mode. Nous ambitionnons de faire un vrai travail de fond qui n'a jamais été mené.

RM : Coligola delirante, rien que le titre fait envie. Est-ce dans le même esprit que La Calisto de Cavalli ?

OL : Tout à fait, c'est de l'opéra typiquement vénitien. Notre festival inaugural, titré Il risveglio degli affetti, l'Éveil des passions, sur la naissance de l'opéra, l'ouverture des théâtres privés, donc la transformation d'une esthétique destinée à attirer le public. Tout cela a engendré l'opéra vénitien dont ce Coligola est le meilleur exemple.

RM : Mais Il Ritorno d'Ulisse en patria ou L'Incoronazione di Poppea ne sont-ils pas des opéras vénitiens ?

OL : Certes, mais le premier opéra typiquement vénitien est La Finta pazza de Sacrati, créé en 1641 au Teatro Novissimo dans une mise en scène de Giacomo Torelli, l'inventeur du changement de décors à vue, du décor à point de fuite central et des machineries permettant de faire monter et descendre les personnages. Cela se résume à quelques principes de base : un sujet tragique entrecoupé de scènes comiques, l'utilisation satyrique des divinités, qui deviennent sarcastiques ou lubriques, etc. Bref de quoi faire recette. Venise a toujours su réaliser ce compromis entre excellence artistique et impératifs commerciaux. Ces principes continuent aujourd'hui dans l'art du divertissement.

RM : A propos de reconstitution, la grande marotte actuelle en France est de reprendre la prononciation d'époque. L'histoire linguistique en Italie est totalement différente : a-t-on ce besoin de prononciation reconstituée ? Et surtout en quelle langue sont les livrets ?

OL : L'italien ancien est très proche du moderne. Néanmoins à Venise le dialecte vénitien est très important. Les livrets sont en italien littéraire, avec quelques nuances. Les scènes de folie – chaque opéra vénitien en comporte au moins une – sont chantées en dialecte vénitien, voire en français dans quelques ouvrages. Les visiteurs étrangers les plus détestés étaient déjà les français au XVIIe siècle, c'était un moyen de se moquer d'eux. L'autre exception dans les opéras vénitiens pour l'emploi du dialecte local sont les barcarolles, puisqu'on touche à la musique populaire.

RM : On parle beaucoup d'opéra. Quid de la musique instrumentale ou de la musique sacrée ?

OL : Et c'est à Venise que la musique instrumentale a pris son essor à la période baroque. Il y a une séparation de l'Église et de l'État à Venise qui a permis l'émergence de tout un art profane. Les termes de sonata ou sinfonia apparaissent pour la première fois à Venise. La sonate en trio a été inventée à Venise, bien avant Corelli à Rome. Il y a tout un répertoire instrumental lié aux ospedali, ces couvents où étaient éduquées les jeunes filles. Venise est aussi la première grande école de violon.

RM : Une particularité vénitienne est aussi les piffari, l'orchestre du Doge, formé d'instruments à vent. La tradition est-elle restée ?

OL : Elle est restée à travers les effectifs instrumentaux, cornets et saqueboutes sont utilisés aussi bien à l'église qu'à l'opéra. Mais à partir de la seconde moitié du XVIIe les cordes dominent.

RM : Encore une particularité vénitienne, la polychoralité et les cori spezzatti. Cette écriture typique de la Renaissance trouve-t-elle des prolongements dans la période baroque ?

OL : Cavalli et Monteverdi sont les héritiers des Gabrieli. La polychoralité est utilisée pour clarifier la texture vocale, pas simplement pour donner un effet d'écho et de spatialisation. Faire chanter les groupes les uns après les autres fait que le texte est ainsi compréhensible. L'avènement de la basse continue et de la monodie vient de cette réflexion sur la compréhension du texte.

RM : Revenons à votre activité. Quelles seront les premières activités visibles pour le public du Venetian Center for Baroque Music ?

OL : Le festival Il risveglio degli affetti. Nous invitons les personnalités du monde musical ayant déjà travaillé sur la musique vénitienne : Jordi Savall, Rinaldo Alessandrini, Fabio Biondi, Gabriel Garrido, René Jacobs, Andrea Marcon, Pier Luigi Pizzi, les Arts Florissants, le Poème harmonique – ces deux ensembles là pour la première fois à Venise-, Benjamin Lazar, … Mais aussi des jeunes talents, avec l'ensemble Scherzi Musicali de Niocolas Achten, La Stella, Bruno Procopio, …

RM : Que les Arts Florissants ne soient jamais allé à Venise en dit long… Il y aura aussi des conférences ?

OL : Une dizaine est programmée, avec l'aide de l'Ateneo Veneto et l'Unesco, ouverte au public le plus large, confrontant musicologues et musiciens. Néanmoins nous ferons en continue un travail musicologique important avec Harvard, Yale, la Columbia Université, les universités de Saint-Étienne ou Weimar, etc.

RM : Et tout ceci sur des fonds exclusivement privés.

OL : Absolument.

RM : Est-ce qu'un travail à long terme sur des financements individuels est envisageable ?

OL : Nous verrons. Nous sommes conscients que c'est risqué et dangereux. Quoiqu'il en soit nous avons de bonnes raisons d'espérer que la nature actuelle de nos financements perdurera, sinon le Venetian Center for Baroque Music n'aurait pas été créé.

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