Plus de détails
Paris. Palais Garnier. 6-I-2014. Ballet du Théâtre Bolchoï : Illusions perdues. Compagnie invitée. Ballet en trois actes d’après le livret de Vladimir Dmitriev. Inspiré du roman éponyme d’Honoré de Balzac. Musique : Leonid Desyatnikov. Chorégraphie : Alexei Ratmansky. Décors et costumes : Jérôme Kaplan. Lumières : Vincent Millet. Consultant dramaturgique : Guillaume Gallienne. Orchestre Colonne, direction : Igor Dronov. Piano : Lukas Geniusas. Chant : Svetlana Shilova, Catherine Trottman. Avec: Evgenia Obraztsova, Coralie; David Hallberg, Lucien; Ekaterina Krysanova, Florine; Artem Ovcharenko, Premier danseur et la troupe du Corps de Ballet du Théâtre Bolchoï.
De cette soirée, on retiendra surtout les très belles performances des deux danseurs stars du Bolchoï : Evgenia Obraztsova et David Hallberg.
Pour le reste, l'adaptation du roman de Balzac sur la scène du Palais Garnier s'est avérée décevante. Et pourtant, le public attendait beaucoup de l'une des dernières créations d'Alexei Ratmansky. Celui-ci nous propose ici un ballet purement narratif qui, loin d'être une transposition fidèle du roman original de Balzac, propose un Lucien de Rubempré musicien, partagé entre deux danseuses rivales, Coralie et Florine, elles-mêmes courtisées par de riches protecteurs. Les thèmes chers à l'écrivain (l'ambition sociale, l'argent, la création, l'amour) se trouvent ainsi transposés sur la scène de l'Opéra durant la Restauration.
Première coupable sur le banc des accusés : la partition du compositeur russe Leonid Desyatnikov. Laissons la parole à ce dernier : « Dans ma version musicale des Illusions perdues, tout est stylisation et, en même temps, tout vient du cœur […] Le plus important pour moi fut de m'inspirer de larges pans de la musique française allant du XIXe siècle à Maurice Ravel et de la retranscrire dans mon langage. » Des ambitions louables, mais un résultat catastrophique. On a rarement entendu à l'Opéra une musique aussi dissonante et désagréable ! Difficile, dans ces conditions, de sauver un ballet du naufrage assuré.
Les décors sont eux aussi à pointer du doigt : d'un graphisme qui se veut faussement naïf, ils se révèlent ternes et tristes vus du parterre. Un parti-pris peu esthétique qui surprend d'autant plus que l'action est censée se situer durant la Restauration, cadre propre à la flamboyance et aux excès esthétiques.
La pantomime des personnages est outrancière et vire parfois au ridicule. Le ballet est mal ficelé et manque cruellement de tension dramatique. Et pourtant, Ratmansky s'est adjoint la collaboration du dramaturge et sociétaire de la Comédie-Française, Guillaume Gallienne. Un raté inexplicable.
La chorégraphie peut également surprendre. Certains mouvements sont peu esthétiques. La danse des Sylphides en coulisses avant leur entrée en scène (procédé bien connu du « théâtre dans le théâtre ») est un désastre. A cet instant précis, on se demande ce que la troupe moscovite est venue faire dans cette galère…
On note un léger mieux durant le deuxième acte, notamment pendant la scène du réveil des amoureux après leur première nuit ensemble. Obraztsova se montre absolument délicieuse dans cette scène primesautière. La scène du chapeau se révèle également réussie. Autre moment phare : la série de magnifiques fouettés d'Ekaterina Krysanova, en équilibre sur une table, qui démontre, s'il en était besoin, l'excellence technique du Bolchoï. La scène de la douleur, interprétée avec beaucoup de délicatesse, est ponctuée du chant d'une cantatrice. Une idée qui fonctionne plutôt bien.
L'ensemble donne cependant une impression de déjà-vu, avec des emprunts flagrants à d'autres ballets du répertoire. Le solo de Lucien rappelle étrangement la variation de la lettre d'Armand dans La Dame aux camélias. D'autres passages nous font penser aux Enfants du Paradis de José Martinez, à La Petite danseuse de Degas de Patrice Bart ou au Clavigo de Roland Petit.
Gardons le meilleur pour la fin : les interprètes. Impétueux, romantique, David Hallberg porte le ballet de bout en bout. Il est magnifique en jeune provincial avide de reconnaissance. Lucien veut le monde à ses pieds, mais son arrivisme ne lui apportera que désillusions et amertume. Le danseur américain, que l'on avait pu applaudir une semaine avant dans La Belle au bois dormant, confère une très belle dimension émotionnelle à son personnage.
Le chorégraphe ne trahit pas vraiment l'esprit du roman balzacien, mais ne nous convainc pas non plus. Un goût d'inachevé caractérise cette adaptation qui ne parvient pas à faire revivre le Paris et l'Opéra du XIXe siècle. Ce soir-là, les désillusions de Lucien de Rubempré étaient aussi celles du public.
Crédits photographiques : Evgenia Obraztsova – Artem Ovcharenko – Ekaterina Krysanova © Laurent Philippe / Opéra national de Paris
Plus de détails
Paris. Palais Garnier. 6-I-2014. Ballet du Théâtre Bolchoï : Illusions perdues. Compagnie invitée. Ballet en trois actes d’après le livret de Vladimir Dmitriev. Inspiré du roman éponyme d’Honoré de Balzac. Musique : Leonid Desyatnikov. Chorégraphie : Alexei Ratmansky. Décors et costumes : Jérôme Kaplan. Lumières : Vincent Millet. Consultant dramaturgique : Guillaume Gallienne. Orchestre Colonne, direction : Igor Dronov. Piano : Lukas Geniusas. Chant : Svetlana Shilova, Catherine Trottman. Avec: Evgenia Obraztsova, Coralie; David Hallberg, Lucien; Ekaterina Krysanova, Florine; Artem Ovcharenko, Premier danseur et la troupe du Corps de Ballet du Théâtre Bolchoï.