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Luxembourg. Grand Auditorium de la Philharmonie. 14-XI-2010. Nicola Porpora (1686-1758) : sinfonias extraites de Meride e Selinunte, Germanico in Germania et Il Gedeone/La Gelosia, airs « Come nave in mezzo all’onde » et « Usignolo sventurato » extraits de Siface, air « Nobil onda » extrait de Adelaide ; Riccardo Broschi (1698-1756) : air « Chi non sente al mio dolore » extrait de Merope ; Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : air « Lascia la spina » extrait de Il trionfo del Tempo e del Disinganno HWV 46° ; Francesco Maria Veracini (1690-1768) : ouverture n°6 en sol mineur ; Leonardo Vinci (1690-1730) : air « Cervo in bosco se l’impiaga » extrait de Medo, air « Chi vive amante » extrait de Alessandro nell’Indie ; Leonardo Leo (1694-1744) : air « Qual farfalla innamorata » extrait de Zenobia in Palmira ; Francesco Araja (1709-1770) : air « Cadrò, ma qual si mira » extrait de Berenice ; Carl Heinrich Graun (1704-1759) : air « Misero pargoletto » extrait de Demofoonte ; Domenico Scarlatti (1685-1757) : Sinfonia di concerto grosso n°5 en ré mineur ; Antonio Caldara (?1671-1736) : air « Quel bon pastor son io » extrait de La morte d’Abel. Cecilia Bartoli, mezzo-soprano. Kammerorchesterbasel, direction et violon : Julia Schröder.
En dépit de l'intérêt et de l'abondante recherche qu'ils ont suscités ces dernières années, nul ne saura jamais à quoi ressemblait réellement la voix des grands castrats du passé.
Quelle que soit la part de mythe et de réalité que l'on associe à ces phénomènes de l'art vocal, il est difficile d'imaginer que leur virtuosité ait pu être supérieure encore à celle de Cecilia Bartoli, laquelle a donné une fois de plus, à l'intention du public de la Philharmonie de Luxembourg, son éblouissante leçon de chant. Tout au plus peut-on supposer – car dans ce domaine il ne peut guère y avoir de certitudes – qu'en termes de purs décibels, ces chanteurs d'autrefois l'emportaient en puissance sur la mezzo-soprano italienne, dont le volume vocal n'a jamais été exceptionnel même si, en termes de rondeur de timbre, d'égalité de registres et de longueur vocale, l'instrument de la Bartoli est résolument un des plus beaux et des plus accomplis qu'il soit permis d'entendre aujourd'hui.
Mais c'est essentiellement par son incomparable science du chant, par sa musicalité sans faille et surtout par ses inépuisables ressources d'imagination expressive que Cecilia Bartoli a conquis le public luxembourgeois. On ne saurait répéter assez avec quel art et quelle adresse elle donne vie à ses trilles et ses traits ainsi qu'aux vocalises les plus folles, rendues à vitesse supersonique sur près de trois octaves, mettant ainsi en valeur des qualités de souffle et de respiration qui demeurent à la limite de ce qu'il possible d'imaginer. Mais si Bartoli excelle évidemment dans les pages les plus rapides, qui lui permettent de donner libre cours à sa virtuosité vocale et à sa technique sans faille, elle est encore bien supérieure dans les airs lents, qui lui permettent de déployer, dans ces longues phrases infinies, la morbidezza qui n'appartient qu'aux plus grandes. Ainsi, l'air de Broschi «Chi non sente al mio dolore», extrait de Merope, aura sans aucun doute été un des clous de la soirée.
Dans le contexte d'un programme extrêmement fourni – une douzaine d'airs, sans compter les pièces instrumentales et les bis…–, tant de virtuosité finirait sans doute par devenir lassant s'il fallait compter sans les capacités de Bartoli à varier l'expression et à saisir à chaque fois le caractère particulier de ses airs. Dans ce domaine aussi, la chanteuse agit en «maître», et sait assortir aux morceaux qu'elle interprète le ton et l'expression idoines. Rien à voir, donc, entre les fracas débridés du «Cadrò, ma qual si mira» de Francesco Araja, les tendres roucoulements de l'»Usignolo sventurato» de Porpora, l'émouvant dépouillement du «Quel bon pastor son io» de Caldara ou encore la farouche détermination du sublime «Nobil onda» extrait de l'Adelaide de Porpora ; même le grotesque fait son apparition en fin de programme avec l'air d'Erissena «Chi vive amante» extrait de l'Alessandro nell'Indie de Vinci, pièce dans laquelle un castrat interprétait un personnage féminin. C'est jusqu'à la manière dont elle ajuste son costume, du plus simple – avec La morte d'Abel de Caldara, où elle apparaît vêtue d'un simple chemisier blanc – au plus extravagant et au plus empanaché – notamment pour le dernier bis, le désormais légendaire «Son qual nave» tiré de l'Artaserse de Broschi –, que Bartoli maîtrise les codes et le arcanes d'une théâtralité qu'il n'est pas toujours aisé de cerner et de définir, et encore moins de suggérer.
À ses côtés, le Kammerorchester de Bâle semble être la formation idéale pour accompagner la cantatrice. Dirigés avec vivacité par la violoniste Julia Schröder, les instrumentistes, souvent sollicités pour des interventions solistes, rivalisent eux aussi de verve, d'énergie et de virtuosité. La sinfonia extraite de Il Gedeone/La Gelosio aura ainsi enthousiasmé un public déjà passablement «chauffé», aux trois quarts du programme, par les fastes vocaux de la chanteuse italienne. Le soleil napolitain aura décidément illuminé cette soirée de novembre luxembourgeoise.
Crédit photographique : Cecilia Bartoli © Philharmonie de Luxembourg
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Luxembourg. Grand Auditorium de la Philharmonie. 14-XI-2010. Nicola Porpora (1686-1758) : sinfonias extraites de Meride e Selinunte, Germanico in Germania et Il Gedeone/La Gelosia, airs « Come nave in mezzo all’onde » et « Usignolo sventurato » extraits de Siface, air « Nobil onda » extrait de Adelaide ; Riccardo Broschi (1698-1756) : air « Chi non sente al mio dolore » extrait de Merope ; Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : air « Lascia la spina » extrait de Il trionfo del Tempo e del Disinganno HWV 46° ; Francesco Maria Veracini (1690-1768) : ouverture n°6 en sol mineur ; Leonardo Vinci (1690-1730) : air « Cervo in bosco se l’impiaga » extrait de Medo, air « Chi vive amante » extrait de Alessandro nell’Indie ; Leonardo Leo (1694-1744) : air « Qual farfalla innamorata » extrait de Zenobia in Palmira ; Francesco Araja (1709-1770) : air « Cadrò, ma qual si mira » extrait de Berenice ; Carl Heinrich Graun (1704-1759) : air « Misero pargoletto » extrait de Demofoonte ; Domenico Scarlatti (1685-1757) : Sinfonia di concerto grosso n°5 en ré mineur ; Antonio Caldara (?1671-1736) : air « Quel bon pastor son io » extrait de La morte d’Abel. Cecilia Bartoli, mezzo-soprano. Kammerorchesterbasel, direction et violon : Julia Schröder.