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Vienne. Theater an der Wien, 17-XI-2013. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Idomeneo, dramma per musica en trois actes sur un livret de Giambattista Varesco. Mise en scène : Damiano Micheletto. Décors : Paolo Fantin. Costumes : Carla Teti. Lumières : Alessandro Carletti. Avec Richard Croft, Idomeneo ; Gaëlle Arquez, Idamante ; Sophie Karthäuser, Ilia ; Marlis Petersen, Elettra ; Julien Behr, Arbace ; Mirko Guadagnini, Gran Sacerdote di Nettuno. Arnold Schoenberg Chor, chef de chœur : Erwin Ortner. Freiburger Barockorchester, direction : René Jacobs.
C'est une nouvelle production de l'Idomeneo de Mozart signée pour la mise en scène par Damiano Micheletto et pour la direction musicale par René Jacobs que le très historique Theater an der Wien ajoutait à son répertoire en ce mois de novembre 2013.
La promesse d'une vision scéniquement et musicalement renouvelée alliée à un alléchant casting ne pouvait qu'attirer les amoureux de l'opéra de Mozart généralement considéré comme son premier chef-d'œuvre majeur. Et de fait la salle était comble d'un public certes fortement viennois, mais pas seulement.
S'il y a une caractéristique de cet ouvrage qui n'a pas échappé aux responsables de la scénographie c'est bien qu'il s'agit d'un opera seria, « dramma per musica ». Dès le levé de rideau, et même avant grâce à une projection vidéo sur ce même rideau, on comprit que le ton allait être sombre, tragique, désespéré. A l'évidence les tourments des personnages confrontés chacun à leurs plus ou moins cruels dilemmes, en premier lieu desquels Idoméneo lui-même devant sacrifier son propre fils à la satisfaction des Dieux, allaient être au cœur d'une représentation qui n'hésitait pas à utiliser la laideur comme moyen expressif, quitte à oublier le plaisir des yeux des spectateurs. Car les trois actes se dérouleront dans un décor peu reluisant, désolé voire lugubre au sol recouvert d'un sable sombre envahi de grossières et sales paires de chaussures abandonnées par leurs propriétaires. Un espace qui aurait tout aussi bien pu être les restes du champ de bataille où les walkyries seraient venues récupérer les héros morts pour les emmener au Walhalla, ne laissant derrière elles que ces souliers orphelins.
Les prisonniers troyens apparaissent crasseux, pieds nus et en guenilles, tout droit sortis du fond de leur lugubre cachot, venant chercher à leur libération par Idamante des vêtements décents posés à terre, alors qu'Ilia, à peine mieux lotie car au moins chaussée et portant robe mais tout aussi pouilleuse, apparaît enceinte sans doute des œuvres d'Idamante (qui d'autre !) ce qui modifie légèrement la relation des deux personnages tout en introduisant un rapport cyclique entre la mort et la vie puisque donnant naissance à l'héritier à la fin de l'ouvrage, entre père et fils, Idamante devenant alors lui-même père, l'histoire pouvant ainsi recommencer.
Si elle n'est pas enthousiasmante à regarder car se plongeant trop volontiers dans la misère, cette vision n'en est pas moins parfaitement cohérente et superbement portée et défendue par chacun des protagonistes. Évidemment relocalisé ailleurs qu'en ses lieux et époques originelles, en l'occurrence dans le monde contemporain, l'opéra n'en souffre ni n'en bénéficie vraiment, si on fait abstraction du rôle des Dieux qui peut paraître assez anachronique ainsi déplacé dans le temps. Car le reste des ressorts de l'intrigue fonctionne très bien avec un Roi complètement déboussolé, traumatisé jusqu'au bord de la folie, un Idamante sensible autant que tiraillé entre amour et devoir sacrificiel, entre Ilia et Elettra à qui il est à deux doigts de céder, une Ilia humiliée qui cherche à retrouver sa dignité et son aimé, autant de choses très intemporelles parfaitement utilisées ici. La surprise du chef ou l'élément inattendu dans ce contexte est bien sûr le personnage d'Elettra, sorte de frivole hollywoodienne vêtue de robes à paillettes, dévalisant les boutiques de Rodeo Drive. Son physique à la Marylin Monroe n'est pas le fruit du hasard, partageant avec son modèle une instabilité psychique qui en fait le personnage le plus excentrique, extraverti et coloré, apportant ainsi un contraste avec les autres personnages. Marlis Petersen y fut impressionnante de battage et de présence et il le fallait pour rendre ce personnage instable convaincant.
Musicalement sa prestation fut presque aussi enthousiasmante, on regretta seulement qu'assumant jusqu'au bout le caractère constamment changeant de cette Elettra son grand air du III, D'Oreste, d'Ajace, ne soit pas aussi tendu et dignement dramatique que possible. Gaëlle Arquez fit un sans faute absolu et s'imposa comme une évidence dès sa première intervention pour ne jamais quitter les cimes ensuite. La voix de mezzo idéale de densité et de puissance pour ce rôle masculin, savait trouver toutes les nuances pour rendre son Idamente crédible et attachant. Si Sophie Karthäuser donnait à Ilia toute la fragilité et la vulnérabilité voulue, elle manquait parfois de puissance vocale et donc de présence, en particulier face à Elettra et Idamante. Richard Croft connait bien son Roi de Crête, et si la voix reste agile le timbre était en ce vendredi soir légèrement terne et effacé, composant un Idomeneo plus théâtral que chantant. Alors que Julien Behr réussit parfaitement à marier incarnation dramatique et vocale pour son excellent Arbace.
Dans la fosse nous retrouvions le Freiburger Barockorchester déjà partenaire de René Jacobs pour leur enregistrement de 2008. Moins follement staccato, sec et tranchant qu'en disque, chef et orchestre nous parurent plus doux sur les transitions et les gradations dynamiques, nous épargnant certains coups de boutoirs du CD sans perdre en vivacité ni intensité et offrirent une prestation, quoiqu'un peu prévisible par moment, finalement plus simplement musicale et naturelle. Un évident progrès qui rend à nos oreilles cette prestation live bien plus convaincante que « l'essai » de 2008. D'autant que l'orchestre était ce soir en belle forme et qu'il n'avait aucunement besoin de se forcer pour emporter l'adhésion.
On ne dira pas qu'il s'agissait visuellement d'une belle représentation puisque justement elle était tout sauf « belle et confortable » au profit d'un dramatisme exacerbé mettant l'accent sur les états extrêmes par lesquels passent les personnages remarquablement incarnés par le beau casting réuni ici où les plus belles réussites furent incontestablement offertes en premier lieu par Gaëlle Arquez et Marlis Petersen dont l'Elettra mériterait un Oscar. Soutenu par un remarquable orchestre et un chef qui, mettant de l'eau dans son vin habituel, se fit moins démonstratif qu'en disque et du coup trouva plus facilement le chemin d'un naturel musical qui le fuit parfois, cette nouvelle production tenait quasiment les promesses de son affiche.
Crédit photographique : Richard Croft, Idomeneo et Marlis Petersen, Elettra / Vue d'ensemble / © Werner Kmetitsch – Theater an der Wien
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Vienne. Theater an der Wien, 17-XI-2013. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Idomeneo, dramma per musica en trois actes sur un livret de Giambattista Varesco. Mise en scène : Damiano Micheletto. Décors : Paolo Fantin. Costumes : Carla Teti. Lumières : Alessandro Carletti. Avec Richard Croft, Idomeneo ; Gaëlle Arquez, Idamante ; Sophie Karthäuser, Ilia ; Marlis Petersen, Elettra ; Julien Behr, Arbace ; Mirko Guadagnini, Gran Sacerdote di Nettuno. Arnold Schoenberg Chor, chef de chœur : Erwin Ortner. Freiburger Barockorchester, direction : René Jacobs.