Éditos

De la permanence des orchestres

 
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Le remarquable Wagner Geneva Festival a permis d'entendre dans des programmes de haute exigence deux excellents orchestres, dont la réussite pose paradoxalement la question de la pertinence des orchestres permanents à l'heure de la raréfaction de l'argent public.

Ces deux orchestres sont l'Orchestre du Wagner Geneva Festival (formé des meilleurs musiciens qui étudient à la Haute école de musique de Genève, au CNSMD de Paris et à la Haute école de musique de Lausanne) et  la réunion de l'Orchestre de chambre de Genève et du Sinfonietta de Lausanne – l'Orchestre de la Suisse romande n'aurait pas fait mieux. Ils partagent une caractéristique majeure  avec d'autres ensembles de haute qualité tels que l'Orchestre des Champs-Elysées ou l' : ils ne sont pas permanents ; et ils battent rudement en brèche ce fameux adage selon lequel la permanence d'un orchestre est le socle minimal d'un haut standard de qualité.

Certes, deux chefs de grand talent (respectivement et ) ont su rassembler les énergies des musiciens – expérimentés ou bleus – dans ces deux manifestations d'outre-Léman ; mais il sera aisément supposé que, pour ne parler que d'eux, les orchestres français sont, eux aussi, conduits par des baguettes compétentes.

Ecartons les questions budgétaires (même s'il est peu compréhensible que, avec quarante concerts par ans, l'Orchestre des Champs-Elysées ait un budget de quinze fois inférieur à celui de l'Orchestre de Paris) et interrogeons la seule qualité artistique.

Les orchestres non-permanents compensent l'usuelle et quasi-automatique nombre de services dont disposent les orchestres permanents pour préparer chaque nouveau programme (environ six services, la répétition générale étant incluse ou non) par un temps de travail accru : au moins le double. Les chefs d'orchestre l'attestent : dans les orchestres non-permanents (qu'ils soient professionnels ou chargés de missions d'insertion professionnelle), les musiciens leur offrent une disponibilité au travail, une concentration auditive et un sens collectif qui se raréfient dans les orchestres permanents ; et en cas de production lyrique, les metteurs-en-scène qui proviennent du théâtre ou de la danse sont ébahis devant l'antédiluvienne vie institutionnelle de ces orchestres permanents. Pourtant, être musicien permanent dans un orchestre est un des plus admirables métiers qui soient ; ce n'est une vie ni de galérien, ni de soutier. Que se passe-t-il alors ?

Les observateurs de la vie artistique voient se creuser un fossé dangereux (puisse-t-il ne pas être un jour mortel) entre les orchestres permanents et les compagnies théâtrales ou chorégraphiques. D'un côté, des membres dont les pratiques se fossilisent chaque année davantage, de l'autre des interprètes qui, continument, réfléchissent à leur fonctionnement et les adaptent aux perpétuelles (et inévitables) évolutions des publics. Aucun doute, en son inadéquation au temps présent, l'institution orchestrale a deux générations de retard sur ses collègues en théâtre et en danse.

Puissent les comités artistiques et les équipes administratives au sein de chaque orchestre permanent ainsi que les représentants de l'État ou des collectivités territoriales qui siègent à leurs conseils d'administration, se réveiller avant qu'il ne soit trop tard !  Actuellement bienveillants lorsqu'ils considèrent ces injustifiables rigidités et la faible adaptation des orchestres permanents aux publics d'aujourd'hui, les assemblées – nationales, régionales, départementales et municipales – qui votent les budgets culturels pourraient un jour regarder, de près, si l'argent public versé l'est en contrepartie de missions de service public effectivement accomplies.

Un orchestre, comme une compagnie théâtrale, chorégraphique ou circassienne, ne devrait être permanent que si une ample activité justifie pleinement son annualisation statutaire ; l'argument de la qualité des orchestres permanents ne tient plus. Surtout rare en ce début de XXIe siècle, l'argent public oblige hautement quiconque en vit. La règle est la même pour tous, nul ne peut s'en exonérer, notamment les orchestres permanents.

Et si les musiciens et gestionnaires des orchestres permanents fréquentaient davantage les salles de théâtre, de danse et de cirque ?  Et s'ils conversaient, longuement et densément, avec ceux-ci de leurs collègues qui savent, bien davantage qu'eux, ce que sont les publics d'aujourd'hui ?

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