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Nancy. Opéra national de Lorraine. 4-X-2013. Giacomo Puccini (1858-1924) : Turandot, drame lyrique en trois actes sur un livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni, d’après la pièce Turandotte de Carlo Gozzi. Mise en scène, décors et costumes : Yannis Kokkos. Lumières : Patrice Trottier. Chorégraphie : Natalie Van Parys. Dramaturgie : Anne Blancard Avec : Katrin Kapplusch, Turandot ; Rudy Park, Calaf ; Karah Son, Liù ; Miklós Sebestyén, Timur ; Chang Han Lim, Ping ; François Piolino, Pang ; Avi Klemberg, Pong ; John Pierce, Altoum ; Florian Cafiero, un Mandarin / le Prince de Perse. Chœurs de l’Opéra national de Lorraine (direction : Merion Powell) ; Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole (direction : Nathalie Marmeuse) ; Orchestre symphonique et lyrique de Nancy ; direction : Rani Calderon.
C'est avec la fable de Turandot, dernier ouvrage de Giacomo Puccini, que l'Opéra national de Lorraine inaugure sa saison 2013-2014. Laissée inachevée par la mort du compositeur, l'oeuvre est ici classiquement complétée par le final composé par Franco Alfano à la demande de Toscanini et de l'éditeur Ricordi.
L'histoire cruelle de cette princesse chinoise, qui se refuse aux hommes et fait décapiter ses prétendants après les avoir soumis à l'épreuve de trois énigmes, a inspiré au metteur en scène Yannis Kokkos, également auteur des décors et des riches costumes, une Chine stylisée et fantasmatique, parfaitement en accord avec le caractère de conte du livret, dans les tons noirs de la laque et rouges du sang. Il réussit remarquablement les atmosphères poétiques (le lever de la lune) ou nocturnes (le début du troisième acte), se montre moins convaincant dans les déambulations de la foule chorale, un peu à l'étroit dans l'espace restreint de la scène nancéenne. Yannis Kokkos soigne tout particulièrement le trio des ministres Ping, Pang et Pong, dont les interventions chorégraphiées bénéficient d'une touche d'humour bienvenue et en situation. La scène du début du second acte, où ils évoquent leurs résidences de campagne respectives tout en s'adonnant à l'opium, est notamment très séduisante. En revanche, les protagonistes principaux, Turandot et Calaf, sont dirigés avec parcimonie et hiératisme, en en faisant des figures archétypales sans grande profondeur psychologique. On peut regretter que cette superbe mise en images, d'un esthétisme abouti, ne dessine pas plus nettement les caractères et n'explore pas les arrière-plans psychanalytiques du conte[1].
L'Opéra national de Lorraine a su réunir des voix puissantes et de grand format, adaptées à l'ardue vocalité de leurs rôles. Katrin Kapplusch campe ainsi une solide Turandot, à l'émission tranchante et impérieuse et à l'aigu assuré, confinant parfois au cri. Elle sait toutefois adoucir son timbre d'airain pour son abandon final à l'amour. Le Calaf de Rudy Park est encore plus impressionnant ; son médium barytonal monte tout d'une pièce et sans passage audible vers un aigu rayonnant et d'une intensité décoiffante. Le ténor coréen mériterait toutefois de mieux canaliser ses moyens conséquents, afin de pouvoir varier une émission trop uniformément en force et une dynamique cantonnée au fortissimo. Dans le rôle payant de Liù la victime, Karah Son surprend d'abord par un timbre inhabituellement corsé pour ce rôle mais qui s'épure dans un registre aigu lumineux et habité, assurant ainsi l'émotion de ses deux airs et tout particulièrement de sa mort. Moins marquant et moins exposé, le Timur de Miklós Sebestyén tient néanmoins sa partie avec efficacité et intensité. Le trio des ministres Ping, Pang et Pong pêche quelque peu par une homogénéité vocale perfectible et surtout par une mise en place rythmique mal assurée et fréquemment en décalage avec l'orchestre, conséquence probable de la lourdeur de la chorégraphie qui lui est demandée par la mise en scène ; tout cela devrait se roder lors des représentations suivantes.
Il faut à sa décharge reconnaître que la direction de Rani Calderon ne lui facilite pas la tâche. Comme nous l'avions déjà constaté lors d'un Simon Boccanegra à Strasbourg, le chef israélien use en effet de variations intempestives voire erratiques du tempo, d'accélérations soudaines en alanguissements brutaux. Si dramatisme et dynamisme sont ainsi exacerbés de façon assez remarquable, la cohésion fosse-plateau peut s'en trouver affectée, en dépit d'une battue claire et énergique. Par contre, le travail avec l'Orchestre symphonique et lyrique de Nancy sur la pâte orchestrale, alternativement dense ou transparente selon les situations, et sur les variations des coloris instrumentaux est superbe de précision et de résultat. Personnage à part entière du drame, le chœur de l'Opéra national de Lorraine, renforcé par celui de l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole qui coproduit le spectacle, mérite tous les éloges pour sa vigueur, sa plénitude et son engagement.
Le public a fait un accueil quasiment triomphal à cette Turandot, fêtant tout particulièrement Calaf et Liù, l'orchestre et son chef et – c'est devenu plus inhabituel – même le metteur en scène. Cette production plutôt « premier degré » mais soignée et constamment respectueuse, ne s'encombrant de subtilités ni dans la direction scénique ni dans l'interprétation vocale, a su le conquérir en magnifiant toute la force et la puissance du dernier chef d'œuvre de Puccini.
[1] Rappelons notamment sur ce sujet l'éclairante étude de Catherine Clément dans la première édition de l'Avant-Scène Opéra consacrée à Turandot et ses analogies avec le mythe du « vagin denté »
Crédit photographique : Turandot © Opéra national de Lorraine
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Nancy. Opéra national de Lorraine. 4-X-2013. Giacomo Puccini (1858-1924) : Turandot, drame lyrique en trois actes sur un livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni, d’après la pièce Turandotte de Carlo Gozzi. Mise en scène, décors et costumes : Yannis Kokkos. Lumières : Patrice Trottier. Chorégraphie : Natalie Van Parys. Dramaturgie : Anne Blancard Avec : Katrin Kapplusch, Turandot ; Rudy Park, Calaf ; Karah Son, Liù ; Miklós Sebestyén, Timur ; Chang Han Lim, Ping ; François Piolino, Pang ; Avi Klemberg, Pong ; John Pierce, Altoum ; Florian Cafiero, un Mandarin / le Prince de Perse. Chœurs de l’Opéra national de Lorraine (direction : Merion Powell) ; Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole (direction : Nathalie Marmeuse) ; Orchestre symphonique et lyrique de Nancy ; direction : Rani Calderon.