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Paris. Théâtre des Champs Elysées. 17-VI-2004. Wolfgang Amadeus Mozart : Les Noces de Figaro, opera-bouffe en quatre actes K 792 (1786) sur un livret de Lorenzo da Ponte, d’après La Folle Journée ou le Mariage de Figaro de Pierre Caron de Beaumarchais. Mise en scène : Jean-Louis Martinoty. Décors : Hans Schaernoch. Costumes : Sylvie de Segonzac. Lumières : Jean Kalman. Chorégraphie : Cooky Chiapalone. Chef de Chœur : Irène Kudela. Le Comte Almaviva : Pietro Spagnoli. La Comtesse Almaviva : Annette Dasch. Susanna : Rosemary Joshua. Figaro : Luca Pisaroni. Cherubino : Angelika Kirchschlager. Marcellina : Sophie Pondjiclis. Antonio : Alessandro Svab. Bartolo : Antonio Abete. Don Basilio : Enrico Facini. Barbarina : Pauline Courtin. Don Curzio : Serge Goubioud. Direction : René Jacobs. Concerto Köln. Chœur du Théâtre des Champs Elysées.
S'il est désormais acquis que l'on puisse jouer indifféremment sur instruments anciens ou modernes les opéras de jeunesse du Maître de Salzbourg comme Mitridate, Zaïde, La Finta Giardiniera, ainsi que les singspiel : L'enlèvement au Sérail, La Flûte Enchantée, sans oublier des opera seria comme Idoménée et La Clémence de Titus, le débat demeure toujours ouvert en ce qui concerne la fameuse « trilogie da Ponte », chef d'œuvre significatif de la maturité du compositeur.
Le premier opéra de cette trilogie, Les Noces de Figaro, inspiré de la pièce La Folle Journée ou le Mariage de Figaro de Beaumarchais, et aussi sans doute le plus célèbre, a été beaucoup enregistré et représenté. Dirigé par les plus grands chefs, et interprété par les chanteurs les plus éminents. Au disque, on n'oubliera pas les versions de référence comme celles d'Erich Kleiber, de Karajan et de Karl Böhm. A la scène, la vision presque « idéale » qu'en avait donnée Giorgio Strehler pour la réouverture de l'Opéra de Paris en 1973 restera à jamais gravée dans nos mémoires …
De nos jours, la tendance est au dépoussiérage, à l'allégement, voire au « décapage » et dénote une volonté affirmée de se démarquer des « versions du passé », jugées dorénavant trop « marmoréennes » (Klemperer, certes…) ou trop romantiques. Cependant, d'après ce que l'on sait de l'esprit novateur et inventif, très en avance sur son temps, de Mozart, on peut se demander si lui-même n'aurait pas préféré, s'il les avait eu à sa disposition, utiliser des instruments modernes et mettre à profit leurs possibilités. La version représentée actuellement au Théâtre des Champs Elysées, qui est en fait la reprise, avec une distribution différente, d'une production créée en 2001 en ce même lieu, coïncide par ailleurs avec la parution récente chez Harmonia Mundi d'un enregistrement plutôt bien accueilli par la critique. Mais un disque est une chose, une version scénique en est une autre, et force est de reconnaître que cette nouvelle série se révèle dans l'ensemble plutôt décevante.
Dans un texte de plus de sept pages figurant dans le programme et intitulé « Un compositeur subversif », René Jacobs s'emploie à exposer les grandes lignes de sa démarche. Il nous a semblé fort surprenant que, même s'il mentionne Karajan, il ne cite ni Kleiber ni Böhm, effleure le « cas Harnoncourt » et ignore souverainement certains de ces collègues qui ont peu ou prou, fait œuvre de pionniers en entamant un dépoussiérage et un retour au sources, aussi bien sur des instruments anciens que modernes : le grand Hans Rosbaud, déjà, à Aix, dans les années cinquante, et avec rien moins que Teresa Stich Randall et Rita Streich, Colin Davis, dont on ne peut passer sous silence la démarche novatrice, Neville Marriner et son Academy of Saint-Martin-in-the-Fields, pour en arriver au plus récent, et non des moindres, à savoir le travail très abouti mené par John Eliot Gardiner à la tête de ses English Baroque Soloists. René Jacobs n'en dit tout bonnement pas un mot, ce qui est plutôt inquiétant, voire suspect, surtout quand « au finish », on juge, en ce qui le concerne, du résultat….Car, il faut bien l'avouer, ces Noces de Gardiner au Théâtre du Châtelet, en juin 1993 (DVD sorti récemment chez DG), nous paraissent dans l'ensemble infiniment plus convaincantes, tant musicalement que scéniquement, que celles vues et entendues pendant près de quatre longues heures — interminables — ce soir-là au Théâtre des Champs Elysées.
Dés l'ouverture, tout est dit : battue brutale et sèche, manque de souplesse et de mœlleux des cordes, vents souvent approximatifs. Nul doute que tout le spectacle sera « plombé » par une direction d'orchestre aussi pesante et peu accorte et ce, malgré le talent de quelques bons chanteurs et les qualités d'authentique homme de théâtre de Jean-Louis Martinoty. Ce dernier nous a donné de formidables spectacles : une mémorable Ariane à Naxos, salle Favart, avec Caballé et Troyanos, un superbe Chevalier à la Rose et un délectable Opera Seria dans cette même salle du TCE. Oui mais voilà, il y a deux sortes de mises en scènes : celles qui se bonifient avec le temps, comme les grands crus, et celles qui, ne tenant pas sur la durée, se délitent complètement lors d'une reprise, et c'est, hélas, le cas pour celle-ci, malgré des éclairages plutôt réussis et des costumes assez seyants.
D'autant plus que, dans cette production, Martinoty succombe à l'un de ses péchés mignons en utilisant pour tout décor l'accumulation, sur un plan incliné d'assez belle facture, de reproductions de tableaux célèbres, allant du XVe au XIVe siècle, de grands maîtres français, flamands et autres, sorte de bric-à-brac « esthético-philosophico-humaniste », dont le moins qu'on puisse dire est qu'il n'amoindrit pas le déroulement de l'action. La direction d'acteurs manque de fluidité et de finesse, faisant basculer le libertinage du dix-huitième siècle dans un vaudeville bourgeois digne du dix-neuvième. Tous les protagonistes semblent alors être lestés de semelles de plomb, et l'humour frondeur et malicieux cher aussi bien à Mozart qu'à Beaumarchais et à da Ponte cède alors le pas à la gaudriole lourdingue….
Quant aux chanteurs, ils sont très inégaux, et le pire côtoie le meilleur… De tous les rôles principaux, la seule interprète qui semble miraculeusement émerger de la mêlée est la délicieuse Rosemary Joshua en Suzanne : stylée, fine, pétillante, en un mot remplie de charme, et faisant entendre un art très accompli du chant mozartien. Pour ce qui est du reste de la distribution, c'est la Comtesse « hors sujet » d' Annette Dasch qui est la plus affligeante et constitue une véritable erreur de casting. Ce jeune soprano allemand de vingt-neuf ans, dont la carrière a débuté en 2000, a encore beaucoup à apprendre. Dotée de moyens vocaux assez conséquents, elle pèche par manque de maturité, de technique et de style : le chant est peu raffiné, le legato problématique et l'investissement dramatique quasiment inexistant. On se prend à penser qu'il eût fallu inverser les interprètes de ces deux rôles et que Dasch, malgré ses défauts, aurait été plus à sa place en Suzanne, et Joshua en Comtesse….
On remarque chez Luca Pisaroni, à un degré moindre, certes, les mêmes travers que chez Dasch. Le baryton italien possède incontestablement une belle pâte de voix et de la puissance, mais son chant est souvent fruste, en un mot « brut de décoffrage », et manque assurément de ce mordant, de cette souplesse, de ce tempérament subversif et roué qui fait les grands Figaro. De la même façon, le Comte de Pietro Spagnoli, souvent « bien chanté » au sens littéral du terme, mais manquant de relief et de panache, n'est guère convaincant, pas plus que le Chérubin, impeccable vocalement, mais très ennuyeux, d'Angelika Kirchschlager, qui oublie de nous séduire et de nous charmer malgré son joli minois. Comme c'est souvent le cas lorsque les rôles principaux — à une exception près — s'avèrent défaillants, ce sont les rôles dits « secondaires », qui triomphent, ou presque : Sophie Pondjiclis (Marcellina), Alessandro Svab (Antonio), Antonio Abete (Bartolo) — déja remarqué dans Serse cet automne — Enrico Facini (Don Basilio) Pauline Courtin (Barbarina) et Serge Goubioud (don Curzio) sont tous excellents.
A la décharge de tous les interprètes, on ne peut pas dire que la direction hachée et lourde, les tempi hyper rapides, et les ornementations excessives des arias décidés par René Jacobs leur aient facilité la tâche. Paradoxalement, ces Noces prétendument remises au goût du jour semblent bien « démodées » par rapport à des versions plus anciennes, qui, elles, n'ont pas pris une ride.
Crédit photographique : Annette Dasch – Angelika Kirchschlager © DR
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Paris. Théâtre des Champs Elysées. 17-VI-2004. Wolfgang Amadeus Mozart : Les Noces de Figaro, opera-bouffe en quatre actes K 792 (1786) sur un livret de Lorenzo da Ponte, d’après La Folle Journée ou le Mariage de Figaro de Pierre Caron de Beaumarchais. Mise en scène : Jean-Louis Martinoty. Décors : Hans Schaernoch. Costumes : Sylvie de Segonzac. Lumières : Jean Kalman. Chorégraphie : Cooky Chiapalone. Chef de Chœur : Irène Kudela. Le Comte Almaviva : Pietro Spagnoli. La Comtesse Almaviva : Annette Dasch. Susanna : Rosemary Joshua. Figaro : Luca Pisaroni. Cherubino : Angelika Kirchschlager. Marcellina : Sophie Pondjiclis. Antonio : Alessandro Svab. Bartolo : Antonio Abete. Don Basilio : Enrico Facini. Barbarina : Pauline Courtin. Don Curzio : Serge Goubioud. Direction : René Jacobs. Concerto Köln. Chœur du Théâtre des Champs Elysées.