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Un Château totalement habité

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Paris. Salle Pleyel. 04-VI-2010. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Concerto pour piano et orchestre n°2 en si bémol majeur op. 19. Bela Bartók (1881-1945) : A Kékszakállú herceg vára [Le château de Barbe-Bleue], opéra en un acte sur un livret de Béla Balázs ; version concert. François-Frédéric Guy, piano ; Petra Lang, Judith ; Peter Fried, Barbe-Bleue. Orchestre Philharmonique de Radio-France, direction : Philippe Jordan

C'était le cinquième et dernier concert refermant l'intégrale des concertos pour piano de Beethoven que donnait à Pleyel aux côtés de l'orchestre Philharmonique de Radio-France dirigé pour l'occasion par , actuel directeur de l'Opéra de Paris. Cette intégrale invariablement couplée avec une œuvre de Bartók a débuté la saison dernière et a fait l'objet d'un enregistrement disponible aujourd'hui chez Naïve.

Nous entendions ce soir le Concerto n°2 qui est en fait le premier écrit par Beethoven, une œuvre de relative jeunesse donc qui ne porte pas encore la griffe originale du maître. Est-ce la raison pour laquelle ce fervent beethovénien qu'est semble s'y trouver un peu «à l'étroit», cherchant en vain dans le premier mouvement cette légèreté de touche et cette spontanéité qui relève davantage du naturel et de la grâce mozartiens. Le second mouvement est d'une belle intériorité qui n'évite pas cependant un certain maniérisme de la part du soliste. S'il insuffle une vive énergie dans le Rondo final, on attendait plus de verve pétillante de la part de l'orchestre qui, sous la baguette un peu convenue de , n'accède pas à la légèreté et la brillance de ce discours juvénile.

La seconde partie, en revanche, n'appelait que des éloges, à l'adresse des deux solistes et d'un chef dont on appréciait à sa juste valeur l'étonnante dimension dramatique. Unique opéra de Bartók, Le Château de Barbe-Bleue était donné ce soir en version de concert, une sorte de défi pour les deux chanteurs devant s'imposer face à un orchestre des plus luxuriants. Conçue en un acte d'environ une heure de musique, l'œuvre de Bartók se concentre sur le dialogue entre Barbe Bleue et sa dernière épouse – dernière victime – Judith, aveuglée par l'amour qu'elle porte à cet être sanguinaire. Tout «suinte de sang» dans cette grande salle ronde du château, lieu unique de l'opéra où le librettiste hongrois Bela Balázs met à l'œuvre l'évolution psychologique des deux personnages dans un temps rythmé par l'ouverture des sept portes dont Judith réclame obstinément chaque clé. L'œuvre se déploie en une grande forme symétrique qui culmine avec l'ouverture de la cinquième porte, «un déluge de lumière aveuglante» qui, ce soir, embrasait littéralement l'espace de la salle Pleyel à la faveur des quatre pupitres de cuivres installés en galerie. La conduite très investie de nous immerge dans ce huis-clos terrifiant jouant sur les contrastes tout en violence de l'ombre et de la lumière. Barbe-Bleue est un rôle sur mesure pour la basse profonde du hongrois dont les éclats fauves de la première partie évoluent vers un timbre plus rond et chaud dans l'apaisement final. La longue voix wagnérienne de , d'une vaillance étourdissante, incarne une Judith idéale dont la présence fascinante et le timbre toujours nuancé exaltent la richesse du personnage. Ardente et sensuelle, puissamment timbrée jusqu'à l'ouverture de la cinquième porte, la voix peut devenir quasiment blanche, comme égarée par tant de lumière : «Oui, ton pays est beau et grand». A ce «point crise» de l'ascension, l'héroïne, consciente désormais de sa destinée prochaine – «J'offre ma vie, j'offre ma mort, Barbe-Bleue» -, se livre en victime à son époux tortionnaire.

Crédit photographique : Philippe Jordan © JF Leclerc

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Paris. Salle Pleyel. 04-VI-2010. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Concerto pour piano et orchestre n°2 en si bémol majeur op. 19. Bela Bartók (1881-1945) : A Kékszakállú herceg vára [Le château de Barbe-Bleue], opéra en un acte sur un livret de Béla Balázs ; version concert. François-Frédéric Guy, piano ; Petra Lang, Judith ; Peter Fried, Barbe-Bleue. Orchestre Philharmonique de Radio-France, direction : Philippe Jordan

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