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Montpellier. Opéra National. Opéra Comédie. Le 18-IV-2004. La Vedova Scaltra, comédie lyrique en 3 actes d’Ermanno Wolf-Ferrari sur un livret de Mario Ghislaberti d’après Carlo Goldoni. Mise en scène : René Koering. Décors et costumes : Jean-Louis Povéda. Lumières : Patrick Méeüs. Rosaura : Anne-Lise Sollied ; Il Conte di Bosco Nero : Francesco Piccoli ; Monsieur Le Bleau : Giorgio Trucco ; Milord Runebif : Franck Leguérinel ; Don Alvaro di Castiglia : Jonathan Veira ; Marionette : Henriette Bonde-Hansen ; Arlecchino : Evgeni Alexiev ; Birif : Gilles Hubert ; Folletto : Nicolas Todorovitch ; un servo : Olivier Thiery ; Chœur de l’Opéra National de Montpellier (chef des chœurs : Christophe Talmont), Orchestre National de Montpellier, direction : Enrique Mazzola.
Que connaît-on de la production lyrique italienne du tournant du siècle ? Entre les derniers Verdi, l'œuvre de Puccini, Leoncavallo ou Mascagni, les ultimes avatars post-véristes de Zandonai, Montemezzi ou Alfano et la renaissance symphonique de Respighi ou Casella la figure d'Ermanno Wolf-Ferrari paraît tel un météorite, une île isolée de sa lagune vénitienne natale.
Le personnage, protéiforme, est à l'image de sa musique. Tiraillé entre ses origines germano-italiennes — il partagé sa vie entre Venise et Munich — il a étudié les beaux-arts à Rome avant de se tourner définitivement vers la musique. Directeur du Conservatoire de Venise, il démissionna rapidement pour ne se consacrer plus qu'à la composition et fut l'un des premiers — avant son compatriote Gianfrancesco Malipiero — à se préoccuper du passé musical de son pays, redécouvrant ainsi nombre d'œuvres du Settecento telle la Serva Padrona de Pergolèse dont il fit un pendant contemporain avec il Segreto di Susanna. Curieusement alors que certains de ses opéras connaissaient un succès grandissant en Allemagne, aidé en cela par Richard Strauss et Gustav Mahler, l'Italie ne daigna que rarement célébrer ce compositeur hors normes, qui cherchait son inspiration du coté de Vivaldi, Mozart, Rossini, Massenet ou Debussy plutôt que vers Verdi ou Wagner.
Carlo Goldoni fut une source constante d'inspiration pour Wolf-Ferrari puisqu'il mit en musique pas moins de cinq de ses comédies — la Vedova Scaltra (la Veuve Rusée) étant l'avant-dernière. Sans être un chef d'œuvre « honteusement oublié » cette pièce est une badinerie au ton léger, agréable et rafraîchissant. Rosaura, jeune veuve, se fait courtiser par quatre galants de quatre nationalités différentes : italienne, française, britannique et espagnole. Mais le seul à être constant et à gagner le cœur de la principale protagoniste est son compatriote, malgré sa jalousie maladive. L'orchestration légère mais riche en cuivres et percussions ainsi que le langage tonal utilisé teinté de chromatismes discrets trahissent l'appartenance de cet opéra au XXe siècle. La partition — fort bien écrite malgré quelques longueurs — met constamment en valeurs les voix et témoigne du métier de son compositeur, rehaussé en cela par la direction sûre et précise d'Enrique Mazzola qui évite comme il peut de noyer les chanteurs dans un flot orchestral parfois déchaîné. A l'exception de Giorgio Trucco (Le Bleau) au timbre terne et aux aigus coincés et de Franck Leguérinel (Runebif) à l'émission engorgée, l'ensemble du plateau n'appelle que des éloges. Jonathan Veira excelle dans son rôle comique de basso buffo, Don Alvaro de Castiglia étant un parent proche de Don Bartolo ou Don Pasquale. Francesco Piccoli possède la voix de ténor lirico-leggiero du Conte di Bosco Nero, proche en cela du personnage de Fenton dans Falstaff de Verdi. Le rôle-titre, plutôt important, est tenu avec maestria par Anne-Lise Sollied, soliste à la ligne de chant impeccable et homogène. Mais les « triomphateurs » de la soirée auront été les deux maschere Henriette Bonde-Hansen (Marionette, la servante française de Rosaura) et Evgeni Alexiev (Arlecchino), alliant la virtuosité vocale et présence scénique, aidés en cela par la direction d'acteur du maître des lieux, René Koering. Sa mise en scène commence sagement, chacun des prétendants rappelant dans son costume tel personnage de bande dessinée ou série télévisée… Ainsi Milord Runebif a un curieux air de ressemblance avec John Steed (le flegmatique héros de Chapeau melon et bottes de cuir) quant à Bosco Nero il portait le costume de Corto Maltese — autre vénitien célèbre. Puis progressivement les gags ; lazzi et quiproquos s'enchaînent : les servantes de l'auberge sont des « lapin-up », l'intérieur de Rosaura est peuplé de faux Andy Warhol — dont un reprenant le portait sérigraphié de Marilyn Monroe remplacée par… René Koering. Mais tout cela resterait badin et gentillet si ce n'était doublé d'une critique de notre société grâce à l'intrusion d'un écran de télévision dont les images ressemblaient fort à feu la Cinq, éphémère chaîne italienne francophone dont le créateur fut un certain… Silvio Berlusconi et un des figurants sur scène un certain… René Koering.
Crédit photos : © Marc Ginot / Opéra National de Montpellier
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Montpellier. Opéra National. Opéra Comédie. Le 18-IV-2004. La Vedova Scaltra, comédie lyrique en 3 actes d’Ermanno Wolf-Ferrari sur un livret de Mario Ghislaberti d’après Carlo Goldoni. Mise en scène : René Koering. Décors et costumes : Jean-Louis Povéda. Lumières : Patrick Méeüs. Rosaura : Anne-Lise Sollied ; Il Conte di Bosco Nero : Francesco Piccoli ; Monsieur Le Bleau : Giorgio Trucco ; Milord Runebif : Franck Leguérinel ; Don Alvaro di Castiglia : Jonathan Veira ; Marionette : Henriette Bonde-Hansen ; Arlecchino : Evgeni Alexiev ; Birif : Gilles Hubert ; Folletto : Nicolas Todorovitch ; un servo : Olivier Thiery ; Chœur de l’Opéra National de Montpellier (chef des chœurs : Christophe Talmont), Orchestre National de Montpellier, direction : Enrique Mazzola.