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Toulouse. Halle aux Grains. 29-II-2004. Giuseppe Verdi : Aida. Michèle Capalbo (Aida); Ignacio Encinas (Radamès) ; Dolora Zajick (Amnéris) ; Carlos Almaguer (Amonasro) ; Giorgio Giuseppini (Ramfis) ; Luigi Roni (Il Re). Chœur et orchestre du Capitole de Toulouse, Maurizio Benini (direction). Pet Halmen (Mise en scène, décors, costumes et lumière)
Alors que débute le prélude, nous découvrons une salle du musée du Caire. Quelques visiteurs admirent les vitrines où s'entassent divers objets et deux statues grandeur nature, un pharaon et une femme tout d'or vêtue, protégées par une balustrade.
Une mendiante est prostrée dans un coin, on remarque deux soldats en tenue coloniale ; l'un semble accablé. Il se tourne et découvre le bandeau qui lui cache les yeux : il est aveugle. Verdi entre à cet instant et contemple la scène. Tous sortent, laissant le soldat seul alors que tombe l'ombre. L'horloge, dont les aiguilles s'étaient immobilisées sur cinq heures, bascule ; les chiffres apparaissent à l'envers et les aiguilles sont remplacées par une croix ansée. Anubis, le Dieu des morts à tête de chacal, paraît alors et, au moment où débute l'action, enlève les bandeau des yeux du soldat. C'est Radamès. Les deux statues s'éveillent, d'abord le Roi, puis Amnéris. Les balustrades disparaissent, les colonnes s'animent et dessinent un nouvel espace : le drame peut commencer.
À la fin, tous les éléments regagnent leur place. Aida et Radamès disparaissent à l'intérieur d'un grand sarcophage, Amnéris et le Roi rejoignent leur socle, l'horloge indique de nouveau cinq heures, la mendiante réapparaît. Verdi entre et découvre, abandonnés à terre, les seuls restes de ce songe : le casque et le bandeau de Radamès.
Par cette très belle idée de mise en scène, Pet Halmen place son Aida sous le signe du rêve : rêve de l'aveugle condamné à revivre sans fin la même aventure, rêve de Verdi fantasmant son Aida comme un bric-à-brac archéologique où s'entassent tous les fantasmes d'un orient imaginaire. Et l'on voit de tout, dans cette Aida : des derviches tourneurs, des odalisques voilées fumant le narguilé et déshabillant leur eunuques à chéchias, un combat de samouraïs à tête d'Apis, deux Touéris, déesse-hippopotame, de quatre mètres de haut qui se révèlent être des acrobates déguisés, des hommes bleus à cornes tels Amon… Brassant les époques, les cultures, toutes les images des mythologies et les chimères de l'exotisme, Pet Halmen créé des scènes d'une grande beauté, tire de la magie des transformations à vue : les colonnes bougent d'elles-même, des Anubis spectraux animent les statues, le tout dans des costumes très recherchés et des éclairages soignés qui baignent l'opéra dans une ambiance lapis-lazuli, couleur du mystère des Dieux. Un rêve de spectateurs émerveillés.
Si l'on ne peut que louer l'élégance de la scénographie et la cohérence de la vision du metteur en scène, on peut regretter, toutefois, que la force de cet imaginaire poétique s'accompagne de quelques statismes. Ainsi, le deuxième acte manque un peu de vie et le triomphe de Radamès paraît bien sage. Il faut dire que Pet Halmen n'a peut-être pas été aidé, en l'occurrence, par des chanteurs solides mais pas toujours charismatiques.
Dolora Zajick renouvelle ici son admirable Amnéris, bien connue depuis son enregistrement sous la direction de James Levine (Sony). Même si elle a perdu en onctuosité, le phrasé, le contrôle de la puissance et la qualité de la voix restent remarquables. Mais l'actrice, pas toujours très expressive, reste en-deçà. Le timbre d'Ignacio Encinas, Radamès trop juste, n'est pas sans intérêt mais il se serre bien souvent dans l'effort ; inutile en outre de demander un pianissimo diminuendo dans « Celeste Aida »… Surtout, sa présence apathique ne saurait compenser ce manque de vaillance vocale, d'autant que, face à lui, l'Aida de Michèle Capalbo fait montre, au contraire, d'un vrai tempérament dramatique. Si la voix bouge beaucoup dans les deux premiers actes -son « Ritorna vincitor » la montre tendue- les choses s'améliorent considérablement par la suite, le timbre s'arrondit, l'intonation se fait plus précise, et la scène du Nil la montre très touchante et vocalement à l'aise. Giorgio Giuseppini est un Ramfis vocalement imposant, Carlos Almaguer un Amonasro convenable même si l'on entendu plus percutant. Seul, en fait, le Roi d'un Luigi Roni bien usé dépare véritablement ce plateau honorable quoique sans éclat.
Les chanteurs auraient peut-être gagné à être soutenus par une direction plus alerte et théâtrale que celle, peu enthousiasmante, de Maurizio Benini. Plus à l'aise dans les moments d'intimisme que dans les grandes scènes chorales, le chef italien se montre bien mou et inexact dans le Triomphe, assez confus, ou la scène du jugement, un peu étirée. Ce manque de vivacité et d'énergie n'a sans doute pas été sans influence sur les chanteurs ; il n'a, en tout cas, pas dû les aider à extérioriser leurs personnages.
Il est un peu dommage que la relative modestie de la distribution n'ait pas permis à cette mise en scène originale et très réussie -mais les avis des Toulousains semblaient partagés- de s'imposer véritablement. Restent en mémoire de magnifiques images et la magie d'un spectacle qui montrent, après le succès de Lulu comme de ses créations plus anciennes, en Pet Halmen un metteur en scène fort original, dont le sens de l'esthétique se double d'une vraie vision des œuvres qu'il sert.
Credits photographiques : © DR
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