Plus de détails
Paris. Opéra Bastille. 22-I-2013. Modeste Moussorgski (1839-1881): La Khovantchina, drame musical en cinq actes, livret du compositeur et de Vladimir Stassov, orchestration de Dimitri Chostakovitch; mise en scène de Andrei Serban; décors et costumes, Richard Hudson; lumières, Yves Bernard; chorégraphie, Laurence Fanon. Gleb Nikolsky, basse, Prince Ivan Khovanski; Vladimir Galouzine, ténor, Prince Andrei Khovanski.Vsevolod Grivnov, ténor, Prince Vassili Golitsine; Sergey Murzaev, baryton, Chakloviti; Orlin Anastassov, basse, Dosifei; Larissa Diadkova, mezzo-soprano, Marfa; Marina Lapina, soprano, Susanna; Vadim Zaplechny, ténor, Le Clerc; Nataliya Tymchenko, soprano, Emma; Yuri Kissin, basse, Varsonofiev; Vasily Efimov, Kouzka; Vladimir Kapshur, basse, Strechniev; Igor Gnidii, baryton, Premier Strelets; Maxim Mikhailov, Deuxième Strelets; Se-Jin Hwang, ténor, Un confident de Golitsine. Orchestre et choeur de l’Opéra National de Paris; chef de choeur, Alessandro di Stefano; Maitrise des Hauts-de-Seine / Choeur d’enfants de l’Opéra National de Paris; direction Michail Jurowski.
La Khovantchina est une grande fresque historique dont Modeste Moussorgski, inspiré par son ami Stassov – à qui il dédie l'ouvrage avant d'en avoir écrit une seule note! -, conçoit lui-même le livret.
Après Boris Godounov, il se replonge en 1872 dans l'histoire de la Russie des tsars qui le passionne et, sans aucun antécédent littéraire cette fois, fait revivre la résistance d'une Russie féodale, authentique et pure – celle qu'il aime en bon « slavophile » et qu'il défend – face aux tenants d'une Russie moderne et ouverte à l'Occident qui finira par avoir le dessus.
La « Khovantchina », mot lancé par le tsar Pierre le Grand, désigne les émeutes provoquées durant le printemps 1682 par le Prince Khovanski et l'armée des mousquetaires (streltsy) dont il a pris la tête et qui lui permet de renverser l'équilibre politique après la mort du dernier tsar Théodore. D'autres princes, les Boyards, moins puissants mais tout aussi intrigants, convoitent le pouvoir: Vassili Galotsine, ancien amant de la tsarevna Sophie qui est devenu régente et Chakloviti, le plus inquiétant, qui dénoncera le complot d'Ivan Khovanski et précipitera la mort de celui-ci. Ces affrontements politiques se doublent d'un conflit religieux attisé par les « Vieux croyants »; conduits par le fanatique Dosifei et soutenus par les Boyards, ces fervents de la « Vieille Foi » veulent restaurer les rites de la Russie orthodoxe face aux réformes et à ce qu'ils nomment l'Antéchrist. Au côté de Dosifei, Marfa, le seul personnage féminin d'importance dans l'opéra, est habitée du même idéal religieux et conduira les « Vieux Croyants » au martyr et à la mort. C'est sur cette scène apocalyptique d'autodafé que s'achève l'opéra dans la production d'Andrei Serban – Moussorgsky n'ayant jamais fixé la fin du cinquième acte – reprise par l'Opéra Bastille et donnée jusqu'au 9 février.
Si Moussorgski conçoit assez rapidement les esquisses pour chant et piano des cinq actes de son « drame musical populaire », l'élaboration de la partition est en effet beaucoup plus laborieuse, l'oeuvre restant inachevée à la mort de Moussorgski en 1881. Rimsky Korsakov se chargera de l'orchestrer en faisant d'importantes coupures. Elle sera créée en 1886 à Saint-Pétersbourg. En 1959, Chostakovitch réhabilite l'oeuvre dans son intégralité et l'orchestre à son tour; c'est cette version qui fait autorité aujourd'hui.
Andrei Serban conçoit une mise en scène à la hauteur épique de ce drame foisonnant et offre un spectacle rien moins qu'impressionnant, sollicitant de manière très efficace la couleur et les lumières sur le plateau de Bastille qui prend ici sa juste dimension. La scénographie monumentale autant qu'économe recèle des trouvailles, dans le second acte notamment, où l'espace coupé en deux met en perspective deux panneaux noir et blanc et permet de créer l'intimité des appartements du Prince Galitsine, le boyard éclairé et raffiné qui n'interroge pas moins les forces occultes en se faisant lire l'avenir par Marfa la divine. Tout en contraste, les scènes de foule (Streltsy, Moscovites ou « Vieux croyants ») suscitant une partie chorale extrêmement riche, sont magnifiquement conduites. Le grand divertissement du quatrième acte où les esclaves persanes dansent autour d'Ivan Khovanski, sorte de Sardanapale aussi brutal que lascif, bascule dans un orientalisme du meilleur goût, fort bien assumé par le corps de ballet. La dernière scène ouvre une profondeur de champ encore inexploitée; reviennent les fumigènes – « brûlement » oblige – qui évoquaient le lever du jour sur la Place Rouge de Moscou au tout début de l'opéra, pour représenter sans pathos, mais avec une force saisissante, le martyr des « Vieux croyants ».
Le casting majoritairement russe et pléthorique – 15 solistes dans la Khovantchina! – constitue un plateau relativement homogène que domine assez largement la basse ample, vaillante et bien timbrée d'Orlin Anastassov; Bulgare quant à lui, il campe avec beaucoup d'autorité et de justesse le moine Dosifei auquel Moussorgski donne la primeur même s'il n'y a pas de personnage principal dans l'opéra. Tenant aussi le devant de la scène, la mezzo-soprano Larissa Diadkova, artiste du Théâtre Mariinski, est une Marfa très fervente, envoûtante même dans sa scène de divination où elle déploie les couleurs somptueuses de son registre grave. L'abattage scénique de Gleb Nikolsky/Prince Ivan Khovanski, véritable « bête de scène » très charismatique n'égale pas sa prestation vocale; la voix est usée et la justesse plus qu'approximative mais le personnage est étonnant! Face à lui, le baryton Sergey Murzaev incarnant le traitre Chakloviti manque un peu d'envergure. Des deux ténors, Vladimir Galouzine/Prince Andrei Khovanski et Vsevolod Grivnov/Prince Vassili Golitsine, c'est la voix plus rayonnante et souple du premier qui s'impose. Dans le rôle du Clerc, le troisième ténor Vadim Zaplechny tient magnifiquement sa partie, tant vocale que scénique. Moins sollicités, la basse Yuri Kissin/Varsonofiev et le ténor Vasily Efimov/facétieux Kouzka n'en retiennent pas moins toute l'attention. Si la soprano Nataliya Tymchenko dans le petit rôle de l'Allemande Emma n'est pas inoubliable, Marina Lapina se révèle une Susanna au caractère bien trempé lors de sa courte apparition du troisième acte.
A la tête d'un orchestre exemplaire mis au service de la vocalité moussorgskienne toujours à fleur d'émotion, Michail Jurowski conduit cet immense vaisseau avec une autorité certaine, à défaut d'une énergie galvanisante, maintenant l'équilibre des forces et l'intensité de l'action durant les trois heures trente du spectacle. Comme le fait Moussorgski dans Boris Godounov, Dimitri Chostakovitch met à l'oeuvre l'art campanaire typiquement russe, réservant quelques belles envolées de cloches et des couleurs flamboyantes à la partition de ce « slavophile » épris d'authenticité dont il restitue, sinon la lettre, du moins l'esprit.
Crédits photographiques : vue d'ensemble © Opéra national de Paris/ Ch. Leiber ; Vasily Efimov (Kouzka), Gleb Nikolsky (Prince Ivan Khovanski) et les Choeurs de l'Opéra national de Paris © Opéra national de Paris/ Ian Patrick
Lire aussi le compte-rendu de la reprise 2022 :
Plus de détails
Paris. Opéra Bastille. 22-I-2013. Modeste Moussorgski (1839-1881): La Khovantchina, drame musical en cinq actes, livret du compositeur et de Vladimir Stassov, orchestration de Dimitri Chostakovitch; mise en scène de Andrei Serban; décors et costumes, Richard Hudson; lumières, Yves Bernard; chorégraphie, Laurence Fanon. Gleb Nikolsky, basse, Prince Ivan Khovanski; Vladimir Galouzine, ténor, Prince Andrei Khovanski.Vsevolod Grivnov, ténor, Prince Vassili Golitsine; Sergey Murzaev, baryton, Chakloviti; Orlin Anastassov, basse, Dosifei; Larissa Diadkova, mezzo-soprano, Marfa; Marina Lapina, soprano, Susanna; Vadim Zaplechny, ténor, Le Clerc; Nataliya Tymchenko, soprano, Emma; Yuri Kissin, basse, Varsonofiev; Vasily Efimov, Kouzka; Vladimir Kapshur, basse, Strechniev; Igor Gnidii, baryton, Premier Strelets; Maxim Mikhailov, Deuxième Strelets; Se-Jin Hwang, ténor, Un confident de Golitsine. Orchestre et choeur de l’Opéra National de Paris; chef de choeur, Alessandro di Stefano; Maitrise des Hauts-de-Seine / Choeur d’enfants de l’Opéra National de Paris; direction Michail Jurowski.