Les sons de Pierre Henry

L'art de Pierre Henry se résume dans le début de l'ouvrage Journal de mes sons : « Tout ce que je sais, tout ce que je vois, tout ce que j'écoute, je le choisis et le structure comme un temps de sons ». C'est donc de l'expérience directe, du vécu quotidien, des sons et des bruits qui l'entourent que Pierre Henri tire sa musique, fruit d'un lien constant entre le passé et le futur.

Le coffret de 10 disques édité par Decca, réunit moins d'une vingtaine d'œuvres composées entre 1958 (Coexistence) et 2011 (Paroxysmes) réalisées et remasterisées par le compositeur lui-même. La nouveauté est présente grâce à de nombreux inédits d'œuvres comme la plus ancienne Granulométrie (de 1967) avec la voix et les cris-rythmes de François Dufrène ou la plus récente Pulsation (2007) qui contient de courts extraits de Psyché rock composé avec Michel Colombier. A travers les 10 disques on assiste à l'évolution des sons du répertoire et de l'esthétique de Pierre Henry.

Coexistence, la plus ancienne des œuvres composées, présente par exemple une esthétique pauvre et dépouillée ; un « timbrage » graduel des sons, une sorte de méditation sur la durée qui correspond à une dramatisation du temps. C'est dans cette œuvre qu'on peut repérer les principes de composition de Pierre Henri qui s'épanouissent jusqu'à ses créations plus récentes. Le concept de musique pauvre, de discontinuité et d'articulation qui s'étend jusqu'à La Noire à soixante est bouleversé avec Voyage qui, inspiré du Livres des morts tibétain, est un voyage dans les recoins les plus intimes de l'homme, de la perte de son souffle (donc de la mort) jusqu'à son entrée « dans le corps du Renaissant ». Entre les deux moments un parcours d'errance dans l'infini virtuel exprimé à travers la bande magnétique et des sons qui semblent venir de nulle part.

Aux antipode de Voyage l'original Variations pour une porte et un soupir qui résulte de l'enregistrement de la vie sonore d'une ferme de l'Aude avec les cris des cochons et des poules, le bruit des insectes, le son de l'écoulement de l'eau et celui de l'instrument fantastique de Pierre Henry : la porte d'un grenier qu'il s'exerce à jouer deux heures par jours. Le timbre de la porte exploré dans toutes ses caractéristiques est une sorte de parodie de la voix du compositeur organisée selon la forme de la variation avec une écriture en contrepoint. Tout au long de l'écoute des dix disques, on s'aperçoit que cette composition déclenche une nouvelle écriture plus maitrisée dans le développement formel qui est particulièrement évidente dans les œuvres plus récentes.

Document historique de grande valeur, ce coffret réunit un ensemble hétérogène d'œuvres qui montrent toutes les facettes de Pierre Henry : son goût pour l'expérimentation, son génie créatif, sa recherche constante et sa foi dans l'expérience du passé qui revit renouvelée dans le présent pour devenir musique du futur.