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Beethoven, Schoenberg et Boulez sous l’archet des Diotima

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Paris. Théâtre des Bouffes du Nord. 25-XI-2012. Cycle Beethoven/Schoenberg/Boulez. Arnold Schoenberg (1874-1951): Quatuor à cordes n°2 en fa#mineur op.10 avec voix; Pierre Boulez (né en 1925): Livre pour quatuor (révision 2011-2012), Parties IIIa, IIIb, IIIc, et V; Ludwig van Beethoven (1770-1827): Quatuor à cordes n°13 en sib majeur op.130 avec la Grande Fugue. Juliane Banse, soprano; Quatuor Diotima: Yun Peng Zhao, Guillaume Latour, violons; Franck Chevalier, alto; Pierre Morlet, violoncelle

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Aux Bouffes du Nord le propose un cycle de quatre concerts où sont réunis en une confrontation passionnante Beethoven, Schoenberg et Boulez. Initié par ProQuartetCEMC, le projet est ambitieux et exaltant, à la hauteur de l'ardeur qui anime cette excellente phalange tournée vers le répertoire d'aujourd'hui mais pas seulement…

Sur la trace de leurs aînés, les membres du Quatuor Kolisch, qui créèrent en 1937 à Los Angeles le quatuor n°4 du Maître de l'Ecole de Vienne, les Diotima donneront l'intégrale des quatuors de Schoenberg associés aux derniers quatuors de Beethoven (n°12 à 15). A la suite des Parisi qui l'enregistrent en 2000, ils reprennent Le Livre pour quatuors de que le compositeur vient de réviser avec eux, à l'exception de la partie IV qui ne sera pas jouée comme prévue lors du dernier concert.

La soprano s'était jointe aux Diotima pour l'interprétation du quatuor n°2 (1907-1908) de Schoenberg, une oeuvre phare du compositeur viennois où il cherche à s'émanciper du cadre formel (ajout de la voix chantée dans les deux derniers mouvements) et surtout de la tonalité dont il se libère à la fin de l'oeuvre: « Je sens l'air d'autres planètes » lit-on dans Eloignement (second Lied) extrait du Septième anneau du poète allemand Stefan George. L'écriture d'une admirable concision et la richesse de la polyphonie sont servies avec beaucoup d'intelligence par les quatre archets même si leur sonorité n'est pas toujours suffisamment timbrée pour nourrir le lyrisme qui affleure dans les thèmes aussi intenses qu'elliptiques des deux premiers mouvements. On sait que les deux poèmes de George choisis par Schoenberg pour terminer son quatuor font écho à un épisode douloureux de son existence qui l'avait amené au bord du suicide. On aurait souhaité plus de projection et de relief dans la prestation de la chanteuse allemande dont la voix ample et chaleureuse confère cependant la couleur et la teneur expressive de ces sublimes instants.

Les cinq mouvements du Livre pour Quatuor – référence au « Grand oeuvre » mallarméen laissé inachevé – de (1948-49) forment autant de « feuillets » détachables que les Diotima ont choisi de répartir sur les quatre concerts. Synthèse ou plutôt convergence, dans le travail du jeune Boulez, des acquis rythmiques de Messiaen et des exigences formelles de Webern, le Livre pour quatuor, contemporain de la Sonate pour piano n°2, sera retiré du catalogue par Boulez qui décidera d'orchestrer (Livre pour orchestre) une pièce qui ne pouvait sonner au quatuor dans l'état de son écriture. Exhumée par les Parisii qui l'enregistrent en 2000 et la jouent en concert en 2001 dans le cadre de ProQuartet, la partition laisse toujours son auteur insatisfait: « Ce n'était jamais solide du point de vue de l'agogique rythmique; elle n'était pas convaincante » confie-t-il. C'est donc dans le sens de la simplification et de l'efficacité sonore que le travail s'effectue avec les Diotima durant les deux années de révision.

Nous entendions ce soir les « chapitres » III et V qui font office de mouvements « lents » dans la conception du tout. Dans la luxueuse brochure éditée par ProQartet-CEMC, on apprend que ces mouvements portent des titres: Mutations: éclats (IIIa), Mutations: fragments (IIIb), Mutation: état (IIIc), Mutation: échange (V). Avec une fluidité exemplaire et un élan donné au discours par delà l'éclatement de l'écriture, les Diotima rendent compte toute à la fois de la complexité d'une trajectoire balisée de signaux, relances, respirations et du raffinement des modes de jeu utilisés pour en varier la couleur. Le résultat est plus que convaincant: thank you Mister Boulez!

Les Diotima abordaient en seconde partie le quatuor n°13 en sib majeur de Beethoven dont les cinq mouvements couronnés par la Grande Fugue avaient fait l'objet d'un refus des éditeurs, demandant au compositeur, qu'ils traitaient de fou, d'écrire un autre Final. La grande forme du quatuor épouse librement les méandres de la pensée beethovénienne et alterne, sans logique apparente et dans les contrastes les plus abrupts, différentes facettes d'un discours qui semble s'immobiliser dans la Cavatine centrale, lieu de tous les vertiges. Les Diotima abordent cette première phase avec la versatilité du jeu qui convient à un tel imbroglio structurel et des tempi très judicieux qui relancent le mouvement avec une incroyable énergie ; certes la couleur viennoise vient parfois à manquer (Alla danza tedesca) et certains jeux d'accents sont parfois outrés, menaçant l'équilibre sonore (Presto) mais leur Cavatine, jouée sans débordement, procure « ce regard dans l'abîme » avant l'épreuve de la Grande Fugue; elle est en effet redoutable en fin de concert mais remarquablement tenue par des instrumentistes qui semblent à peine éprouvés par ce qu'ils viennent d'accomplir. Spectaculaire par l'entrechoc des lignes verticales et horizontales dont Beethoven tire tout le parti énergétique, la Grande Fugue sous l'archet volontaire des quatre protagonistes est conduite dans un tempo implacable et une intelligence du parcours qui sidèrent.

Crédit photographique : © DR

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