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Laurent Petitgirard, compositeur

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C'est à Rennes, pendant les répétitions du Château des Carpathes de , que nous a reçu pour évoquer l'ouvrage qu'il dirige dans la capitale bretonne, mais aussi ses multiples engagements au service de la musique et des musiciens.

« J'ai l'impression d'avoir réussi le fait que Colonne ait retrouvé l'ambition et l'état d'esprit qui étaient ceux de son fondateur »

Compositeur éclectique, il a en effet régulièrement écrit pour le cinéma et la télévision, sans jamais négliger la musique classique comme en témoigne sa généreuse discographie mêlant musique de chambre, œuvres symphoniques et concertantes. Pour la scène lyrique, il a composé Joseph Merrick dit Elephant Man, créé à Prague en 2002, et achève Guru qui sera représenté à l'Opéra de Nice en novembre 2010. Il mène par ailleurs une carrière active et internationale de chef d'orchestre, en particulier avec l'Orchestre Colonne dont il est le directeur musical depuis 2004. Enfin, est un compositeur institutionnel, membre de l'Académie des Beaux-Arts et président de la SACEM. Il a accepté d'évoquer avec nous les différentes facettes de son activité, sans aucune langue de bois.

ResMusica : Votre actualité immédiate, ce sont les répétitions du Château des Carpathes de à l'Opéra de Rennes. Comment se déroulent les répétitions ?

 : C'est d'abord un plaisir de retrouver l'Orchestre de Bretagne, que je n'avais plus dirigé depuis six ou sept ans et que j'ai trouvé en pleine forme. Les musiciens font preuve de beaucoup d'engagement, mais surtout d'un très bon niveau technique et d'une excellente préparation individuelle. L'ambiance de travail est très agréable. Nous avons également une très belle distribution avec notamment François Le Roux et une jeune soprano très étonnante, Karen Wierzba. Michel Rostain a réalisé une mise en espace à la fois très originale et très fine, avec un usage intelligent de la vidéo.

RM : Quel regard portez-vous sur la partition ?

LP : L'œuvre est magnifique, c'est vraiment de la très belle musique. est l'un de nos grands compositeurs. Je suis très heureux que cet opéra soit joué ici, mais aussi de l'avoir programmé dans le cadre de la saison de l'Orchestre Colonne, au regard de la qualité de la partition, de celle du livret et de la personnalité de Philippe Hersant. Je suis assez scandalisé qu'il n'ait pas été donné à Paris en version scénique et je trouve anormal qu'il soit aussi difficile de faire représenter de tels ouvrages. La recherche de la modernité à tout prix conduit trop souvent à chercher des opéras au livret incompréhensible et tellement peu écrit pour la voix que les chanteurs ont besoin d'une machine à calculer pour savoir où placer leur premier temps. Le Château des Carpathes est tout le contraire : très finement orchestré, avec une excellente dramaturgie et de l'humour, très bien écrit pour les voix. Les chanteurs sont ravis d'interpréter cette musique. La condensation de toutes les angoisses dans le rôle de l'aubergiste est par ailleurs une idée très intéressante.

RM : Il y a par ailleurs ce superbe prologue, avec le lamento de la Stilla.

LP : C'est très intéressant en effet, parce que Hersant y est tout à fait dans son langage mais, en même temps, il y a le clin d'œil puccinien. Il ne s'agit pas d'un pastiche, je dirais plutôt qu'il a récupéré le cadre mais que dedans, il a mis du Hersant. Il possède une telle culture musicale et littéraire qu'il a su s'enrichir de beaucoup de choses, ce qui lui permet d'avoir une palette très large tout en étant parfaitement authentique.

RM : Vous consacrez une part importante de votre activité à l'Orchestre Colonne, dont vous êtes le directeur musical.

LP : Je tiens à préciser que je suis un directeur musical élu, puis réélu. Je suis arrivé avec un programme : des places à dix euros pour que tout le monde puisse aller au concert, une œuvre de musique contemporaine dans chaque programme, de l'opéra contemporain en concert de façon régulière, développement du répertoire français, maintien des concerts dédiés au jeune public, un rythme de quatre à six répétitions par série pour se donner réellement les moyens de travailler, développement de la programmation du chœur dirigé par Patrick Marco… Les musiciens ont adhéré à ce projet.

RM : Comment jugez-vous l'atteinte de vos objectifs ?

LP : J'ai l'impression d'avoir réussi le fait que Colonne ait retrouvé l'ambition et l'état d'esprit qui étaient ceux de son fondateur. Je tiens à être un véritable directeur musical et non pas une sorte de premier chef d'invité. J'assume la décision qui est celle d'un homme qui ensuite soumet le résultat de ses décisions à une élection. Je suis persuadé que l'audace se dilue dans le nombre. Le deuxième point de réussite est l'image de l'orchestre, qui sera invité pour la troisième fois cette saison au festival Présences, qui a été choisi par l'ADAMI pour son opération Jeunes Talents. Nous avons également réussi à faire revenir en partie l'enregistrement de musiques de films en France, avec une quinzaine de films en peu de temps, dont deux dans lesquels l'orchestre a tourné : Fauteuils d'orchestre et Ca se soigne. C'est important car cela apporte du travail aux musiciens. Cette image positive de travail très sérieux a conforté la position de l'orchestre au sein de l'Opéra de Paris qui l'appelle de plus en plus. Il ne faut pas oublier que l'orchestre a un statut associatif et que la saison elle-même est peu rémunératrice ; ces engagements complémentaires sont donc très importants. L'attrait de l'orchestre a beaucoup augmenté et ses concours de recrutement sont de plus en plus recherchés : vingt-trois candidats dernièrement en cor anglais, vingt-sept en cor. Le niveau des derniers recrutements est très élevé. L'orchestre a de réels atouts : des solistes de haut niveau, mais aussi le travail formidable accompli par Gilles Kasic, hautbois solo et secrétaire général de l'orchestre, et Paul Rouger, violon solo et secrétaire général de l'adjoint. C'est un orchestre très fraternel et très engagé. Je suis très heureux d'en être le directeur musical.

RM : Quels sont les points que vous souhaitez encore améliorer ?

LP : Nous espérons faire l'acquisition de notre salle de répétitions pour en faire une «salle Colonne» avec tout l'aménagement nécessaire. Avoir notre propre lieu va tout changer, notamment pour attirer des sponsors. Je regrette la stagnation, voire la diminution des subventions. Les nôtres sont ridiculement basses. L'inspecteur de la musique m'a avoué que lorsqu'il a plaidé en haut lieu la cause de Colonne, qui entretient un chœur, qui fait onze concerts plus cinq dédiés au jeune public, qui donne une œuvre de musique contemporaine dans chaque programme, qui propose des places de qualité à dix euros, pour finalement obtenir moins de subventions qu'une autre association qui fait six concerts, en jouant du Mozart à cinquante euros la place, on lui a répondu : «Mais Laurent Petitgirard est un malin, il va trouver de l'argent». Cela m'a scandalisé ! Il est regrettable que le travail d'une association comme Colonne ne soit pas reconnu. Il faut par ailleurs que je reste attentif à ne pas emmener l'orchestre au-delà de ce que sa structure et son mode de fonctionnement peuvent supporter ; lorsque nous donnons de l'opéra en version de concert, nous atteignons la limite des proportions financières et humaines. N'oublions pas qu'une structure comme Colonne n'a comme employés à plein temps qu'une secrétaire et un régisseur.

RM : Votre premier opéra était Joseph Merrick, dit Elephant Man. Comment en aviez-vous choisi le sujet ?

LP : J'étais obsédé par l'idée du double. Au départ, j'avais envie de traiter Le Portrait de Dorian Gray, mais quand j'ai relu le livre j'ai compris que le symbole fantastique du tableau n'en était pas le vrai sujet. C'est plutôt la condamnation des conditions de vie très difficiles des homosexuels dans l'Angleterre victorienne, sujet très intéressant mais que je ne me voyais pas traiter. J'ai alors songé à Dr Jekyll et Mr Hide mais le sujet était un peu trop crapuleux. C'est finalement Eric Nonn qui m'a suggéré Elephant Man. Cela a tout de suite été une évidence, comme le fait de confier le rôle-titre à une contralto.

RM : Cet opéra a d'abord été enregistré en 1999, puis créé à l'Opéra de Prague en 2002, dans une mise en scène de Daniel Mesguich.

LP : J'ai envoyé le disque, qui avait eu des critiques magnifiques, partout. Aucun directeur d'opéra français ne m'a répondu, à l'exception d'Hugues Gall qui a poliment refusé. C'est Prague qui a accepté de créer l'ouvrage, en français pour six représentations plus une reprise au Printemps musical. Paule-Emile Fourny l'a ensuite fait venir à Nice, où le DVD a été enregistré. L'Opéra de Minneapolis a réalisé une nouvelle production en 2006.

RM : Cette fois, en revanche, le rôle-titre était dévolu à un contre-ténor.

LP : Minneapolis avait deux exigences pour le rôle-titre : qu'il soit chanté par un contre-ténor et qu'il n'ait pas de masque. Au départ, je ne voulais pas d'un contre-ténor mais j'ai obtenu de très bons renseignements sur David Walker, qui, de plus, renonçait à faire ses débuts au Met aux côtés de pour interpréter Joseph Merrick. Comme, par ailleurs, il ne modifiait pas une note de la partition, j'ai dit oui. Je suis allé voir le spectacle et il m'a époustouflé : il a une voix très étrange et très belle et il a formidablement travaillé. C'est la raison pour laquelle je l'ai fait venir à Pleyel.

RM : Comment vous est venue l'inspiration de la superbe prière des malades ?

LP : Nous sommes au début du deuxième acte. Merrick passe sa première nuit à l'hôpital ; il est seul et terrorisé. Et, au petit matin, la première idée était de lire le règlement de l'hôpital. Ce n'était pas formidable, d'autant que nous allions avoir au début du troisième acte le serment d'Hippocrate. J'avais toujours l'idée du rapport du personnage avec le divin, avec la prière. Nous avons fait un mélange de deux textes liturgiques et je me suis dit qu'il s'agissait d'un moment qui devait être décalé du point de vue du langage par rapport au reste de l'opéra. J'ai pensé aux magnifiques chorales qu'on trouvé chez Fauré, je me suis laissé guider et la prière est venue.

RM : Après Elephant Man, nous découvrirons le 26 novembre 2010, à l'Opéra de Nice, dans une mise en scène de Daniel Mesguich, un nouvel opéra : Guru. Qu'est-il permis d'en dire aujourd'hui ?

LP : Guru est un opéra basé sur la manipulation mentale. C'est l'histoire d'un de ces personnages charismatiques, manipulateurs, qui a su fédérer autour de lui une communauté. Il a autour de lui une petite équipe avec notamment une caution scientifique fantoche. L'histoire commence au moment où arrive un groupe de nouveaux disciples, et où le personnage principal commence à être la victime de sa propre supercherie et à s'imaginer qu'il est réellement l'élu. Le rapport avec le quotidien et le raisonnable devient dès lors de plus en plus difficile ; la machine s'emballe et n'a plus aucune réalité, c'est tout d'un coup l'exacerbation des théories du voyage et du suicide collectif. Parmi les nouveaux disciples se cache un personnage qui s'est glissé et veut l'arrêter : comme elle est la seule à ne pas sombrer dans la folie, le rôle est confié à une comédienne parlant rythmiquement, par opposition au chant qui exprime la démence. Ce sera Sonia Petrovna, mon épouse, qui est merveilleuse dans ce type d'emploi. J'ai écrit le squelette et demandé à Xavier Maurel, qui collabore régulièrement avec Daniel Mesguich et possède une très belle plume, d'écrire le livret. L'opéra sera un peu plus court qu'Elephant Man et durera environ deux heures. Il est écrit pour un orchestre légèrement plus important, et fait appel au chœur, à un ensemble vocal de six chanteurs et à six solistes : Guru, baryton-basse, sa compagne, soprano lyrique, sa mère, mezzo alto, l'assistant de Guru, ténor, la caution scientifique, basse pontifiante et le personnage parlé dont la première phrase est : «Je suis venu pour vous détruire».

RM : La distribution vocale est-elle arrêtée ?

LP : Guru sera un merveilleux baryton hollandais, Hubert Claessens, qui parle un Français parfait et qui est également un très bon saxophoniste. Son assistant sera chanté par Philippe Do, qui a chanté Tom Norman dans Elephant Man à Paris et à Prague. La soprano lyrique sera Karen Vourc'h, la basse Philippe Kahn. Il reste à distribuer le rôle de la mère, pour lequel serait idéale. Guru est une grande aventure.

RM : Vous avez été élu membre de l'Académie des Beaux-Arts en 2000. En quoi consistent aujourd'hui les missions de cette institution ?

LP : Il y a trois rôles. Le premier s'est amoindri avec le temps et auquel il est indispensable de redonner vie : c'est d'être conseil de l'Etat en matière d'enseignement artistique et de diffusion de la culture. Le deuxième est un rôle de gestion de divers musées et fondations, comme Marmottan et Giverny. Nous distribuons des prix qui peuvent être très importants, et soutenons de nombreux artistes. Le troisième rôle, très important à mes yeux, est social, en faveur d'artistes en difficulté ; c'est une activité très noble. Notre réflexion s'appuie sur des acteurs très importants de la vie culturelle que nous recevons régulièrement.

RM : Vous êtes également président de la SACEM.

LP : Oui, les temps y sont plus que compliqués, en particulier avec la loi qui arrive.

RM : Que répondez-vous à ceux qui pontent du doigt le prix du disque en France ?

LP : Personnellement, en travaillant avec Naxos, en tant que producteur de mes disques, je ne réalise aucun profit. C'est de la pure carte de visite. Autrement dit, avec un prix cassé, formidable pour le public, vous ne trouverez aucun producteur. Dans mon cas, c'est Maigret qui a payé pour Elephant Man.

RM : Considérez-vous pour autant la musique de film ou de série télévisée, comme une activité alimentaire ?

LP : Non, bien sûr, c'est très intéressant. Mais aujourd'hui l'on voit déferler des Philistins, qui imposent des méthodes très standardisées. Dans ces conditions, cela ne m'amuse plus du tout. En revanche, je garde un excellent souvenir de Maigret et je regrette l'interruption de la série.

RM : Pour en revenir à la loi sur lé téléchargement illégal, que pensez-vous du projet présenté ?

LP : Il était impossible pour la SACEM de ne pas s'associer à une concertation générale visant à sortir d'un système uniquement répressif idiot et inefficace. Depuis 2003, il y a eu seulement 50 procédures dont 17 sont allées à l'exécution pour des moyennes de 200 à 300 euros. D'un autre côté, les idées de licence globale bafouaient le droit exclusif. Ceci dit, nous constatons que nous sommes devant une loi dont la première conséquence est que les auteurs auront le droit de payer pour un exercice de police, c'est-à-dire de rémunérer des sociétés spécialisées dans la recherche sur internet. Si nous repérons 5000 contrevenants, sur une adresse IP à un instant précis, ils recevront un message d'alerte mais ne seront pas placés sous surveillance et retomberont aussitôt dans la masse des millions d'internautes. Pour recevoir le deuxième message, ils devront être «attrapés» une nouvelle fois… Quelle est la probabilité d'un recoupement à trois reprises sur l'ensemble des internautes ? Ensuite, il faut constater une dévalorisation terrible de la musique sur internet, parce que les recettes publicitaires y sont faibles du fait de difficultés à capter l'attention. Donc, même si le téléchargement légal double ou triple grâce à cette loi, les effets seront peu sensibles. Depuis cinq ans, nous répartissons annuellement cinquante millions de moins au titre du disque, et en contrepartie deux millions ou deux millions et demi de plus grâce à internet. Il va donc falloir effectuer un suivi très actif et se poser d'autres questions. A titre personnel, ce qui n'engage donc pas la SACEM, je pense que nous arriverons à une nouvelle forme de licence où les utilisateurs, moyennant une majoration de leur abonnement à laquelle aura participé le fournisseur d'accès, auront accès à des fichiers fournis par l'ensemble des producteurs avec des fichiers sains et normés, assurant une parfaite traçabilité des ayant-droits.

Crédit photographique : © Marc Chesneau

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