François Couperin à la Cité de la Musique, une étrange complicité
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Paris. Cité de la Musique. 7-XI-2003. François Couperin (1668-1733), Leçons de Ténèbres du Mercredi saint, Les Talents Lyriques, Monique Zanetti, Gaële Le Roi, soprani, Atsushi Sakaï, viole de gambe, Christophe Rousset, continuo et direction. Brice Pauset, Symphonie II « La Liseuse », pour voix, récitante et ensemble spatialisé, Marianne Pousseur, voix, Caroline Chaniolleau, récitante, Ensemble intercontemporain, Jonathan Nott, direction.
Fidèle à l'orientation menée depuis le début de la saison 2003, La Cité de la Musique proposait ce Vendredi 7 Novembre un concert-confrontation, mettant en regard deux œuvres d'époque et de style bien différents dont la rencontre pouvait, a priori, susciter des questionnements. Ceux qui connaissent la personnalité de Brice Pauset ne s'en étonneront pas. Claveciniste lui-même, sollicitant à plusieurs reprises des interprètes du monde baroque – tels Gérard Lesne et « Il Seminario musicale » pour la création des Vanités ainsi qu' Andreas Staier à qui il dédie sa Kontra-Sonate -, ce compositeur de trente-huit ans ne cesse d'établir des liens avec le répertoire musical français des XVII° et XVIII° siècles. « Le rapprochement de ma deuxième symphonie, La Liseuse, et des Leçons de Ténèbres de François Couperin a été conditionné par la thématique de ma pièce : la lumière, la lecture silencieuse ; le problème de la voix comme véhicule d'une possible invocation », précise-t-il lors d'un entretien avec Laurent Feneyrou.
François Couperin est organiste à la Chapelle du Roy lorsqu'il compose, en 1714, les trois Leçons de ténèbres du Mercredi saint, à une et deux voix. Trouvant une voie personnelle qui, toujours, mêle à la grâce et les agréments du chant français, la force d'expression du style italien, Couperin donne ici la pleine mesure de son art. Cet office particulièrement sombre, extrait des Lamentations de Jérémie sur la destruction du temple de Jérusalem, doit, à l'origine, se tenir après minuit. On a pris l'habitude, surtout en France, de le célébrer au cours de l'après-midi du jour précédent. Il est accompagné d'un rituel symbolisant l'abandon du Christ avant sa mort : ainsi, à la fin de chaque psaume, éteint-on l'un des quinze cierges fichés sur un candélabre triangulaire : la lumière laisse place à l'obscurité.
Sur le grand plateau de la Cité de la Musique environné de percussions, les deux continuistes – Christophe Rousset à l'orgue, Atsushi Sakaï à la viole de gambe – peuvent difficilement offrir aux deux chanteuses le cadre intimiste et recueilli qu'exige la psalmodie religieuse. Une fois encore dans le répertoire baroque, se pose la difficulté de l'adéquation du lieu au répertoire, et l'on regrette l'absence d'une voûte réverbérante qui confère une résonance à ces longs mélismes suivant les lettres de l'alphabet hébraïque, qui débutent chaque verset des psaumes. Sans doute gênée par l'acoustique trop sèche de la salle, la voix de Monique Zanetti ne trouve ni la couleur ni la justesse de ton souhaitée, cédant à un maniérisme que n'engageaient nullement la sobriété et l'éloquence de la basse continue. Gaëlle le Roi s'impose davantage dans la deuxième Leçon et réussit, malgré le contexte, à nous plonger dans ce climat nocturne et recueilli de la plainte religieuse. Dans la troisième leçon à deux voix, exploitant avec bonheur l'écriture en écho – un écho nourri de retards et de dissonances à l'italienne -, les deux solistes savent enfin communiquer l'intensité expressive qui doit naître des accents pathétiques du texte.
La deuxième partie du concert nous fait basculer sans transition aucune dans l'univers original et si personnel de Brice Pauset. Sa Symphonie II « La Liseuse », commande de l'Ensemble Intercontemporain et du festival d'Automne à Paris, est ainsi donnée en création mondiale, sous la direction de Jonathan Nott. Né à Besançon en 1965, Brice Pauset étudie d'abord le piano, le violon et le clavecin avant d'aborder l'écriture, puis la composition, au CNSM de Paris. Michel Philippot, Gérard Grisey et Alain Bancquart y ont été ses maîtres. Il interprète très souvent ses propres œuvres, au piano comme au clavecin. Passionné par la Rhétorique dont il continue d'étudier les divers développements historiques, il s'est engagé dans une recherche spéculative qui nourrit son écriture musicale d'une étonnante complexité. Sans doute est-il aujourd'hui le représentant d'un certain « ars subtilior » dont il a seul le secret !
Le titre de « Liseuse » fait référence à une toile de Vermeer, La jeune femme en bleu, peinte vers 1662-1664, et conservée au Rijksmuseum d'Amsterdam. Dans ce tableau, le calme intérieur, la lumière irisant le visage, les objets et les étoffes sont autant de suggestions pour traduire par des sons un monde immobile et sans bruit : voici l'enjeu, en apparence paradoxal, de la deuxième symphonie du compositeur. Les textes lus (très distinctement) par la récitante, sont extraits du Phèdre de Platon et du « Théâtre de la mémoire » – les Quarante neuf icônes de mémoire – de Giulio Camillo. Cependant que la voix chantée, en atomisant le texte, en inscrit la substance résiduelle. Si Brice Pauset collabore très souvent avec l'IRCAM pour ses recherches sur la spatialisation du son, aucun moyen électronique n'est ici sollicité. L'Ensemble Intercontemporain en grande formation est réparti sur quatre endroits différents, démultipliant les sources sonores. Saluons la performance virtuose de Jonathan Nott, dont on regrette vivement le départ, puisqu'il quitte son poste de chef permanent de l'ensemble.
« L'espace de concert est conçu comme orchestre de lieux distincts », ajoute le compositeur ; « ce travail sur l'espace a débuté par une réflexion de fond sur l'articulation du temps et du lieu comme phénomène purement musical… Le corps des structures musicales implique un corps sonore qui ne peut plus se contenter de la frontalité pour se développer ». La Symphonie II est une étonnante expérience d'étrangeté – d'une portée philosophique et utopique certaine – où la spéculation et l'hyper-déterminisme du langage semblent bien assister les délires de l'ouïe ; pour enfin se muer en une Poétique sonore captivante, rendant l'oreille plus attentive encore à ces constellations lumineuses et soudains déferlements. Ce sont les propos mêmes de Couperin qui reviennent à l'esprit : lorsque celui-ci évoque la magie des sons « s'emparant de nos âmes et les tenant suspendues dans la situation la plus singulière »…
Crédit photographique : © Philippe Gontier
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