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Paris. Opéra Bastille. 29-IX-2003. Richard Strauss, Salomé. Karita Mattila, Chris Merritt, Anja Silja, Falk Struckmann, William Burden, Michelle Breedt, etc. Orchestre de l’Opéra National de Paris. Direction : James Conlon. Mise en scène : Lev Dodin. Décors et costumes : David Borovsky. Lumières : Jean Kalman. Chorégraphie : Jourii Vassilkov.
Pour cette seconde production de Salomé de Richard Strauss à l'Opéra Bastille, après celle d'André Engel en 1994 reprise en 1996, Hugues Gall a fait appel au metteur en scène Lev Dodin, qui avait déjà signé en ce même théâtre en 1999 une Dame de pique de Tchaïkovski décapante et iconoclaste, et, la saison dernière, au Châtelet, un Démon d'Anton Rubinstein terriblement statique et kitsch.
Avec Salomé, le Russe s'impose comme un grand directeur d'acteur et un fin analyste de la psychologie humaine. Dans son approche de l'ouvrage, la princesse de Judée est un être mi-enfant mi-femme qui casse son jouet, objet de ses désirs charnels dont elle n'a pas encore pleinement conscience tout en découvrant l'amour. Jochanaan, prophète empli de l'illumination divine et apôtre de la pureté, est la victime expiatoire de ce passage de l'enfance vers le premier âge adulte. Hérode est un être falot, lubrique, couard et froid, Hérodiade, femme incestueuse, un personnage cruel et vengeur, Narraboth, l'homme aimant et protecteur éperdu… Tous les personnages sont repliés sur eux-mêmes, indifférents aux événements et au monde qui les entoure – à l'exception d'Hérode, que les rumeurs de l'épopée messianique inquiètent pour lui-même. Le tout se déroule sur la terrasse du palais du Tétrarque de Judée sous la lumière blafarde de la pleine lune, voilée par une éclipse au moment de la décapitation du Baptiste, les beaux décors et costumes de David Borovsky étant remarquablement éclairés par Jean Kalman.
Dans ce splendide écrin, les chanteurs expriment sans réserve leur talent. Chris Merritt est un Hérode impressionnant, tant par sa voix qu'il sait enlaidir à volonté tout en se montrant solide et souple sur toute la largeur de la tessiture, y compris dans ses aigus les plus extrêmes, puissants et sûrs, que par son jeu nerveux et tourmenté. Anja Silja, inoubliable Salomé de Wieland Wagner, est une Hérodiade à la fois noble et décadente à souhait, et si la voix est brisée, elle n'en est pas moins vigoureuse et remarquablement timbrée. En dépit de petits problèmes avec les accessoires de son costume et une légère défaillance dans l'extrême aigu, Falk Struckmann est un Jochanaan majestueux mais engoncé dans ses convictions, insensible aux exhortations de Salomé, elle-même indifférente aux élans du séduisant Narraboth de William Burden, voix chaude et fluide. En fait, l'ensemble de la distribution est à célébrer, du page d'Hérodias (Michelle Breedt), au quintette des Juifs (Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, Martin Finke, Scott Wyatt, Robert Wörle et Ulrich Hielscher)), en passant par les Nazaréens (Mihajlo Arsenski et Kristof Klorek), le soldat (Scott Wilde), et le Cappadocien (Jean-Loup Pagesy)…
Mais c'est sur les magnifiques épaules de Karita Mattila que repose l'ensemble de la production. Port impérial, actrice remarquable, la soprano finlandaise, qui fait ici une extraordinaire prise de rôle, est simplement la jeune princesse de Judée qu'elle habite littéralement. Femme, elle l'est par excellence, par sa stature physique et par sa félinité, mais elle est avant tout enfant, par ses petits gestes poupins, sa nervosité insistante qui soulignent le côté irrationnel de sa fascination de jeune fille pubère pour un homme inaccessible, depuis ses acrobaties sur les grilles de la cage où est enfermé Jochanaan jusqu'à la danse des sept voiles plus gauche que véritablement érotique, chorégraphiée avec à propos par Jourii Vassilkov, pour conclure dans une scène finale exceptionnelle de tension et de désir inassouvi. La voix est charnue, les aigus prodigieux, le timbre enivrant, la technique irréprochable, bien qu'il faille regretter une justesse parfois aléatoire. A quarante-trois ans, la belle cantatrice nordique a de beaux jours devant elle, ainsi que le public mélomane, qui tient en elle l'une des grandes chanteuses de ce début de siècle.
Reste la performance de l'Orchestre National de l'Opéra de Paris, qui, dans cette partition supérieurement écrite et instrumentée, scintille de tous ses feux, tant dans les tutti que dans les soli (somptueux pupitres de cors, clarinette et contrebasson solos, etc.). Une sensualité, une luminosité tout orientale malheureusement ternie par la vision de James Conlon, qui a constamment dirigé entre les nuances forte et fortississimo, au risque de couvrir les voix et de les pousser jusqu'au point de rupture, ce dont a été victime Falk Struckmann dans sa dernière intervention.
Crédit photographique : © Eric Mahoudeau
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Paris. Opéra Bastille. 29-IX-2003. Richard Strauss, Salomé. Karita Mattila, Chris Merritt, Anja Silja, Falk Struckmann, William Burden, Michelle Breedt, etc. Orchestre de l’Opéra National de Paris. Direction : James Conlon. Mise en scène : Lev Dodin. Décors et costumes : David Borovsky. Lumières : Jean Kalman. Chorégraphie : Jourii Vassilkov.