Le festival Aujourd’hui Musiques fête ses 20 ans au nouveau Théâtre de l’Archipel
C'est dans le somptueux Théâtre de l'Archipel inauguré depuis peu (le 10 octobre dernier) que le Festival Aujourd'hui Musiques de Perpignan fêtait cette année ses vingt automnes. Conçu par Jean Nouvel et désormais scène nationale, cet ensemble protéiforme érigé à l'entrée nord de la ville offre au public deux espaces luxueusement équipés pour accueillir une saison culturelle digne de ce nom: d'une jauge de 1100 places et destiné au théâtre, concerts et opéras, le Grenat, ainsi nommé pour sa couleur – celle de la pierre précieuse emblématique de la plaine du Roussillon – laissant transparaître toutes sortes de graffitis, impose ses formes arrondies à côté du Carré (400 places), un lieu idéal et bien sonnant pour les musiques amplifiées et leur propension à faire vivre les sons dans l'espace.
Le trio P.A.J. qui faisait l'ouverture du festival pouvait aisément en témoigner. Associé à deux compositeurs et interprètes férus d'improvisation, le vétéran mais toujours audacieux Michel Portal, louvoyant entre clarinette basse, sax soprano et bandonéon, tenait le devant de la scène aux côtés du percussionniste Roland Auzet et du « DJ » Pierre Jodlowski, compositeur toulousain bien connu qui assurait la partie de guitare basse lorsqu'il n'était pas aux manettes de la console de projection pour mixer en direct. Sobre mais efficace, avec cette intensité dans le jeu qui force l'écoute, Michel Portal s'inscrit aisément dans cette configuration singulière où l'équilibre des forces est constamment maintenue. Inventif et fin dans le dosage entre sources acoustique et électronique, Pierre Jodlowski met à profit son outillage technologique pour sculpter le mouvement dans l'espace. D'un geste presque chorégraphique, Roland Auzet tire merveilleusement partie de l'imposant instrumentarium mis à sa disposition, nous régalant de quelques solos savoureux, sur la grosse caisse d'abord, puis sur le cajon où il déploie une virtuosité digitale sidérante.
Dans l'auditorium du Conservatoire à Rayonnement Régional cette fois, c'est l'ensemble Héliade (douze voix de femmes) dirigé par Elène Golgevit qui interprétait la musique vocale d'aujourd'hui. Les cinq oeuvres au programme offraient autant d'horizons divers et confirmaient, s'il est besoin, l'investissement et les ressources vocales étonnantes d'une formation qui, en 2005, recevait le premier Prix au Concours International de Tours dans la catégorie Voix égales.
Préludant avec Voices of nature, une courte pièce vocalisée d'Alfred Schnittke portée par un halo de vibraphone, Héliade révélait la sensualité de ses timbres et la clarté de l'élocution dans Naissances, cinq miniatures a capella de Patrick Burgan. Plus exigeant et porté par une écriture très ciselée pour le chœur relayé par trois instruments (harpe, vibraphone et cloches tube), le Magnificat d'Yves-Marie Pasquet a été écrit sur mesure pour les voix lumineuses d'Héliade qui l'ont crée en 2009 et en communiquaient ce soir l'intense ferveur. La seconde partie, affichant des œuvres d'Arvo Pärt et d'Einojuhani Rautavaara, était dominée par la pièce de l'iconoclaste Claude Vivier: Chants pour 7 voix de femmes formant un « double chœur » autour de la percussion est un rituel de la mort qui enchaîne des actions vocales théâtralisées mettant en valeur les talents solistiques des chanteuses. Avec un geste économe et précis, Hélène Golgevit conférait à chaque univers sonore une énergie et un relief singuliers.
C'est un pacte de fidélité et d'amitié qui lie le Festival Aujourd'hui Musique au duo Pulsaxion (vol.6!), un binôme d'excellence formé par le saxophoniste Radek Knop et le percussionniste Philippe Spiesser. Ils abordaient cette année le spectacle multi-média avec une création très attendue de Bruno Letort, compositeur et producteur bien connu sur les ondes de France Musique.
La soirée débutait avec Mixtion, une pièce que le compositeur Pierre Jodlowski situe à la frontière des musiques écrites et improvisées. Toujours en quête d'authenticité, Radek Knop arborait un superbe sax ténor Mark 6 – une série des plus légendaire dans le jazz précise-t-il – conférant à la sonorité cet indicible « sfumato » qui fait la différence. Avec une énergie galvanisante à la mesure de ses capacités virtuoses, il donnait à la pièce une envergure sonore éblouissante, déclenchant lui-même, et de manière très réactive, la partie électronique. C'est cette réactivité qui manquait sans doute à la pièce mixte du compositeur polonais Jacub Sarwas, Auditif points qui répondait à une commande du festival. Le flux continu d'une partie électroacoustique très/trop dense tend à émousser le détail de l'écriture instrumentale (saxophones et percussions) dont les incrustations toujours fines mais sans relief finissent par se diluer dans le temps uniforme de la bande sonore.
Philippe Spiesser mettait ensuite à l'œuvre la maîtrise et la fulgurance de son geste qui transcendait l'écriture de Trace pour marimba et live électronique de Martin Matalon, une pièce d'une grande séduction sonore jouant sur la métamorphose du timbre de l'instrument démultiplié dans l'espace par le biais de l'électronique.
La seconde création mondiale de la soirée, Après le tremblement de terre de Bruno Letort sollicitait la vidéo (Cécile Bracq) et mobilisait sur scène le compositeur – à la guitare électrique et console de mixage – et les deux instrumentistes. Ils nous conviaient à une « ballade rhapsode » très jazzy, renouvelant les énergies et les climats de manière toujours inventive: un parcours intimiste et sensible auquel le traitement des images de la vidéo offrait un contrepoint original.