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Simon Rattle fête ses 70 ans avec le LSO à la Philharmonie de Paris

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Paris. Philharmonie. Grande salle Pierre Boulez.

13-I-2025. Pierre Boulez (1925-2016) : Éclat, pour quinze instruments ; George Benjamin (né en 1960) : Interlude and Aria – de Lessons in Love and Violence, sur un texte de Martin Crimp, pour soprano et orchestre ; Johannes Brahms (1833-1897) : Symphonie n°4 en mi mineur, op.98. Barbara Hannigan, soprano ; London Symphony Orchestra, direction : Simon Rattle

14-I-2025. Michael Tippett (1905-1998): Ritual Dances. Mark-Anthony Turnage (né en 1960): Sco, concerto pour guitare. Ludwig van Beethoven (1770-1827): Concerto pour piano n°4. Krystian Zimerman, piano; John Scofield, guitare; London Symphony Orchestra, direction : Simon Rattle

Les deux concerts du à la Philharmonie de Paris fêtaient les 70 ans du maestro Rattle, avec les créations françaises d'une suite orchestrale de tirée de son troisième opéra, et la création d'un concerto pour guitare de .

L'effectif du LSO est réduit, quinze instruments seulement pour Éclat de , une pièce de 1964 que le compositeur a dirigé en création à l'université de Californie Los Angeles le jour de ses 40 ans (26 mars 1965). C'est une courte partition de 8 minutes qui connaîtra son extension l'année suivante avec Éclat/Multiples. Boulez y déploie une palette de timbres raffinée, dans la résonance et le scintillement d'instruments qu'il choisit à cet effet : le piano, le vibraphone, le cymbalum et les cloches-tubes pour les solistes et les résonances longues, la harpe et le glockenspiel pour d'autres « éclats », la mandoline et la guitare dont il apprécie le charme discret tandis que cordes et cuivres assument un rôle de fond sonore. L'écriture flirte également avec l' « œuvre ouverte », à travers le jeu de permutations des motifs au sein de certaines séquences laissées à la liberté du chef.

Entre figures éruptives et étirement du temps, Rattle accuse les contrastes et prolonge les silences au risque de désorienter l'écoute ; sa direction très/trop analytique manque d'enveloppe, valorisant le détail de la constellation sonore au détriment du mouvement du son dans l'espace. Il faut attendre les dernières pages nourries par le tutti pour que la musique « décolle » vraiment.

est dans les rangs du public pour assister à la création française de Interludes and Aria créé le 9 janvier dernier au Barbican Centre de Londres par le LSO et . Les sept mouvements orchestraux tirés de son troisième opéra Lessons in Love and Violence sur un livret du fidèle s'enchaînent sans pause. La musique nous projette d'emblée dans un flux dramatique de la plus belle facture, favorisant l'emphase lyrique des cordes et l'alchimie des couleurs dont Benjamin a le secret, restituée avec une grande finesse par le chef et ses musiciens : contours ciselés, temporalité mouvante et fonction dramaturgique du timbre. La percussion est toujours très active et les sonorités rares, comme ces deux güiros sèchement grattés ou encore ce cymbalum hybridé par les cuivres graves.

L'arrivée de (perchée sur des talons d'une quinzaine de centimètres !) focalise tout à la fois l'œil et l'oreille. Elle incarne le personnage d'Isabel, la fille du roi de France Philippe IV le Bel délaissée par son mari et roi Edouard II, dans une des scènes les plus spectaculaires de l'opéra où elle s'apprête à laisser tomber une perle, « d'une valeur pure et irremplaçable », dans une tasse de vinaigre… Le magnétisme de la chanteuse opère ; la diction est parfaite, la fluidité de la ligne impressionnante (le rôle est écrit pour elle), sertie par un orchestre qui en prolonge l'expressivité sans jamais la concurrencer. L'extrait nous semble bien court (17′) en regard de ce chef d'œuvre que la Philharmonie de Paris avait accueilli dans sa version de concert en octobre 2023.

Le choix de Brahms dans la seconde partie de la soirée peine à se justifier : un troisième B après Boulez et Benjamin… ou, plus sûrement, le désir d'associer ces deux grandes figures du XXIᵉ siècle à ce « grand progressiste », comme l'a nommé Schoenberg. Celui-ci louera chez Brahms l'unité du matériau thématique et le souci de concevoir une œuvre dans sa totalité. Autant de dimensions que l'on retrouve dans sa Symphonie n°4, chef d'œuvre intemporel que Rattle dirige sans partition.

Le souffle lyrique traverse un premier mouvement bien charpenté par l'ensemble des cordes dont on apprécie la texture tout à la fois puissante et aérée et le pupitre particulièrement réactif des contrebasses : élégance des thèmes, dialogue ardent entre vents et cordes et rayonnement d'un orchestre qui donne sans compter. Le second mouvement est pris un peu vite, qui ne va pas sans une certaine confusion dans le pupitre des vents. Le développement est dûment conduit, aux sonorités profondes et chaleureuses qui laissent entendre la finesse de jeu du timbalier. L'Allegro giocoso, remplaçant le traditionnel scherzo, file droit, robuste avec ses fanfares de cuivres et les subtilités métriques qui font la saveur de cette musique. Le quatrième mouvement, célèbre passacaille construite sur un thème obstiné emprunté à une cantate de Bach, est pratiquement enchaîné au précédant, avec une urgence dans le geste du chef qui surprend. La machine orchestrale est ici bien huilée ; la musique avance à bonne allure, avec une énergie réamorcée à chaque reprise du thème, jusqu'à la péroraison magnifiquement amenée par le chef et ses musiciens dont l'assurance et le panache comblent l'auditoire… qui obtient un petit bis, brahmsien toujours, aussi raffiné qu'élégant. (MT)

Le second concert s'annonçait prometteur avec une première partie toute britannique, et une programmation originale avec deux concertos, une création française et le Quatrième de Beethoven par le grand Zimerman.

En 1947, a extrait les quatre Danses Rituelles de son opéra The Midsummer Mariage pour en faire une suite orchestrale. Cette écriture néoclassique, agréable et volubile, marquée de formules lyriques consonnantes et à la tonalité ici ou là cinématographique, paraît aujourd'hui bien datée et peine à maintenir l'intérêt.

Le concerto pour guitare Sco de , dont la création mondiale a eu lieu deux jours avant à Londres, propose un autre mariage, celui de la guitare électrique jazz, une Ibanez AS-200, de avec le grand orchestre, tour à tour jazzy, percussif, sentimental et lyrique, avec deux espaces laissés libre à l'inspiration du soliste. Si la collaboration entre Scoffield (connu et reconnu pour son travail avec notamment Miles Davis) et Turnage est aussi solidement établie que celle de Rattle et Turnage, la partie de guitare globalement en retrait – laissée à l'improvisation du musicien – prive l'œuvre d'une partie de son impact. Parions que n'a pas dit son dernier mot dans cette pièce, ou qu'un autre guitariste saura s'en emparer avec une conception plus haute en couleurs.

Le concert se poursuit avec un Concerto n°4 de Beethoven par , où l'attention mutuelle des deux musiciens est manifeste et empreinte d'amitié, Zimerman glissant les notes d'un Happy Birthday dans une cadence, pour l'émotion du chef et l'amusement de tous ! La fluidité presque liquide du jeu du pianiste est bien éloignée de l'affirmation péremptoire beethovénienne, et s'inscrit dans un siècle d'élégance classique et européenne, de Mozart à Saint-Saëns (ce qui, à nos yeux, n'est pas péjoratif). Avouons notre préférence pour les bis proposés par Zimerman, la Pagode de Debussy et le dernier mouvement de la Sonate n°3 de Chopin, au perlé magique et à la virtuosité pleine de panache, autrement incontestables. (JCLT)

Crédit photographique : © Antoine Benoit-Godet / Cheeese – © Charles d'Hérouville

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