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Montpellier. Opéra Comédie. 17-XII-2024. Jacques Offenbach (1813-1901) : Le Voyage dans la lune, opéra féérie en quatre actes et 23 tableaux sur un livret d’Albert Van Loo, Eugène Leterrier et Arnold Mortier d’après Jules Verne. Mise en scène : Olivier Fredj. Décors et costumes : Malika Chauveau. Lumières : Nathalie Perrier. Chorégraphie : Anouk Viale. Avec : Marie Perbost, soprano (Caprice) ; Sheva Tehoval, soprano (Fantasia) ; Jennifer Michel, soprano (Flamma/Adja) ; Marie Lenormand, mezzo-soprano (Popotte) ; Florent Karrer, baryton-basse (Vlan) ; Thibaut Desplantes, baryton (Cosmos) ; Yoann Le Lan, ténor (Quipasseparla) ; Carl Ghazarossian, ténor (Microscope) ; Christophe Poncet de Solages, ténor (Cactus). Chœur Opéra national de Montpellier (chef de choeur : Noëlle Gény) et Orchestre national Montpellier Occitanie, direction : Victor Jacob
En 2020, les turbulences d'une épidémie mondiale avaient reporté Le Voyage dans la Lune organisé par Olivier Fredj. Un voyage sidéral et sidérant de presque quatre ans s'est ensuivi, qui s'achève là où il aurait dû commencé : à l'Opéra Comédie de Montpellier.
« Le Père Noël lyrique n'est pas passé à Montpellier », écrivions-nous en décembre 2020, après avoir été convié, en compagnie d'une poignée de journalistes, au pied de la rampe de lancement du Voyage dans la Lune répété in loco. Après que son alunissage a bien eu lieu, de Marseille à Neuchâtel, dans une quinzaine de villes, après avoir été adoubé par un enregistrement du Palazzetto Bru Zane, Le Voyage dans la Lune, comme c'est l'usage, revient à son point de départ. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les voyages ne forment pas que la jeunesse, mais aussi les metteurs en scène d'opéra.
Quelle différence entre la première, sans public, contrainte par la distanciation entre les chanteurs (le chœur était même relégué pour moitié dans les loges de côte de la salle) et cette dernière qui voit le retour des héros fêté triomphalement… Le génie du spectacle était pourtant déjà bien là mais bridé, comme on l'imagine, par l'urgence d'une situation inédite. Quatre ans après, Olivier Fredj prend sa revanche, qui paraît avoir fait un atout de l'invraisemblable lourdeur d'un cahier des charges sanitaire intimant de faire tenir en deux heures sans entracte une œuvre qui en durait quatre en 1875. Très inventif, le metteur en scène avait adapté le livret originel, animé du désir d'inverser le ratio parlé-chanté, en donnant la préséance à celui-ci, celui-là étant même parfois transformé en mélodrame afin de perdre le moins de musique possible. Par rapport à l'enregistrement du PBZ, il manque toujours une demi-heure de la merveilleuse partition d'Offenbach : quelques numéros de ballet notamment qui n'entraînent pas trop la frustration, mais aussi, c'est plus incompréhensible, des numéros aussi irrésistibles que la scène des artilleurs et celle hautement désopilante des gardes. Le seul vrai point noir concerne néanmoins la précipitation des dialogues parlés. Le débit de mitraillette de chacun des protagonistes n'est pas sans nuire à la compréhension d'un opéra-féerie riche en péripéties : Le Voyage dans la Lune, ce sont tout à trac les détails minutieux d'une aventure scientifique inspirée des romans de Jules Verne (canon-fusée pour l'aller, volcan en fusion pour le retour), une réflexion sur la place des femmes (sur la Lune elles servent d'objet d'art, que l'on peut vendre), des considérations sur l'Humanité (de moins en moins humaine), et bien sûr un questionnement sur l'Amour (un sentiment dont ne s'embarrassent pas les Sélénites) et ses combinaisons (qui permettent à Fredj une fine gestion du travesti du prince Caprice au tomber de costumes final).
La pléthore de représentations a vu défiler nombre de jeunes chanteurs français. Sheva Tehoval est une Fantasia à qui semble avoir le mieux profité le long voyage, comme le montrent les quasi-arrêts sur image auxquels elle convie le public à admirer sa voix sur les passages les plus virtuoses de sa partie : une interprétation d'encore plus haut vol que sur le disque. Elle forme un très attachant duo avec l'énergique Caprice de Marie Perbost. Le Cosmos de Thibaut Desplantes l'emporte sur son rival terrestre, le Vlan de Florent Karrer manquant un brin de projection. Carl Ghazarossian et Christophe Poncet de Solages sont respectivement de réjouissants Microscope et Cactus. La Popotte de Marie Lenormand ne passe inaperçue ni vocalement, ni physiquement, vêtue par la production… en éponge, les autres costumes, étant, plus encore que ceux de la récente production de Laurent Pelly, soumis à l'avenant d'un imaginaire débridé. Jennifer Michel se dédouble en Fiamma et Adja avec beaucoup de tempérament. Réalisateur survolté friand d'apparitions hitchcockiennes (dont Marie-Anouk, inénarrable hôtesse de l'air), Yoann Le Lan fait un sort à l'air de Quipasseparla au moyen d'une puissance assez inédite dans un rôle une fois encore bien bref pour lui, si l'on considère le potentiel depuis quelque temps décelé chez ce jeune ténor. Jeunesse aussi pour Victor Jacob, qui, dans le sillage de Pierre Dumoussaud et Chloé Dufresne, prolonge les qualités que l'on avait pu goûter dans sa belle direction du Poil de Carotte de Zabou Breitman.
Tout les noms de ce petit monde musical défilent avec ceux de leurs alter egos scéniques dans le générique-début du film façon Méliès qu'Olivier Fredj a entrepris de faire tourner à toute son équipe artistique, l'excellent chœur maison compris. Sous le regard bienveillant d'un Offenbach transformé en astre lunaire (ne lui manque que certain canon de cinéma au coin de l'œil), chacun des protagonistes (machinistes compris) est appelé à donner de sa personne pour que le film, fourmillant de détails (il y a même le dromadaire qui émerveilla Paris à la création, un vrai Stentor de chien), et lorgnant parfois sur le style Ed Wood, fasse illusion. Objectif Lune réussi via un décor sans cesse en mouvement (Fredj assume crânement les 23 tableaux prévus par Offenbach), muni d'un oculus qui rétrécit ou rallonge l'image, une suite d'étonnants clichés futuristes en guise de cyclorama, et des chorégraphies « lunaires » assez réjouissantes servant de cadre à une succession de tableaux étourdissants: un gracieux duo d'amour en apesanteur, un ballet sous la neige en sous-vêtements, une spectaculaire scène d'éruption volcanique mettant à mal l'ensemble du décor sur laquelle se déversent une ultime trombe de flocons (superbe conclusion née, dixit le metteur en scène, d'un aléa technique lors de l'alunissage du Voyage à l'Opéra de Nice).
Le Voyage dans la Lune par Olivier Fredj pourra assurément faire jurisprudence lorsqu'il s'agira de contester l'idée qu'un spectacle destiné à une longue tournée se doit d'observer une relative économie de moyens techniques. Lorsque se lève le clair de Terre final dans le parterre de Opéra Comédie aux lumières rallumées pour le retour des héros, et lorsque le réalisateur muni du traditionnel porte-voix crie « coupez ! », on se dit qu'en 2024, le Père Noël lyrique est cette fois bel et bien passé à Montpellier.
Crédits photographiques : © Marc Ginot
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Montpellier. Opéra Comédie. 17-XII-2024. Jacques Offenbach (1813-1901) : Le Voyage dans la lune, opéra féérie en quatre actes et 23 tableaux sur un livret d’Albert Van Loo, Eugène Leterrier et Arnold Mortier d’après Jules Verne. Mise en scène : Olivier Fredj. Décors et costumes : Malika Chauveau. Lumières : Nathalie Perrier. Chorégraphie : Anouk Viale. Avec : Marie Perbost, soprano (Caprice) ; Sheva Tehoval, soprano (Fantasia) ; Jennifer Michel, soprano (Flamma/Adja) ; Marie Lenormand, mezzo-soprano (Popotte) ; Florent Karrer, baryton-basse (Vlan) ; Thibaut Desplantes, baryton (Cosmos) ; Yoann Le Lan, ténor (Quipasseparla) ; Carl Ghazarossian, ténor (Microscope) ; Christophe Poncet de Solages, ténor (Cactus). Chœur Opéra national de Montpellier (chef de choeur : Noëlle Gény) et Orchestre national Montpellier Occitanie, direction : Victor Jacob