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Paris. Notre-Dame de Paris. 18-XII-2024. Grand Salve Regina (tradition parisienne du XIIe s.). O virgo splendens (Livre Vermeil de Montserrat). Eric Whitacre (né en 1970) : Lux Aurumque. Lise Borel (née en 1993) : Regina Caeli. Olivier Messiaen (1908-1992) : Apparition de l’église éternelle.
Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Magnificat BWV 243. Sandrine Piau, soprano ; Eva Zaïcik, mezzo-soprano ; Lucile Richardot, mezzo-soprano ; Julien Behr, ténor ; Guilhem Worms, basse. Vincent Dubois, grand orgue. Le Concert d’Astrée, Maîtrise Notre-Dame de Paris ; direction : Henri Chalet et Émilie Fleury
Après cinq ans à se vivre orpheline, la Maîtrise Notre-Dame de Paris a retrouvé sa cathédrale fraichement réouverte, avec un programme panoramique parcourant neuf siècles de musique et plus encore de configurations spatiales et de combinaisons d'effectifs.
Après le miracle du général Jean-Claude Gallet et de ses soldat.e.s du feu qui le 15 avril 2019 ont sauvé la cathédrale de l'effondrement en concentrant leurs moyens sur l'extinction du beffroi nord, et après celui des architectes, charpentiers et artisans qui ont restitué la cathédrale dans son intégrité (du moins celle de Viollet-le-Duc), la foi (en musique) a repris ses droits depuis les cérémonies des 7-8 décembre. Et le 17 décembre, c'est la musique (expression de la foi) qui a résonné avec la reprise des concerts du mardi de la Maîtrise Notre-Dame de Paris.
Pour ce concert de réouverture, le programme proposé, sa mise en espace et sa mise en lumière ont été un modèle en matière de cheminement spirituel, émotionnel et esthétique. À l'image de la Sainte Trinité, il était découpé en trois parties, la première purement chorale, la deuxième avec l'orgue en majesté, enfin la dernière œcuménique réunissant tous les effectifs des chœurs, solistes et orchestre et dans la joie de Bach le luthérien célébrant Marie si aimée des catholiques.
Après les courts discours du président de la Maîtrise saluant « la renaissance embellie » de la cathédrale et du recteur se réjouissant du concert « sublime » donnant à réentendre « la délicatesse infinie » des sonorités, l'assistance a été saisie par la pureté intemporelle du chant grégorien du Grande Salve Regina donné en ouverture. Lumière froide tombant des voûtes, chanteurs invisibles placés à l'entrée de la cathédrale dans le dos du public tandis que la scène placée sous la croisée de la nef était sombre et vide, le public était condamné à écouter et à méditer cette musique composée à Paris vers 1150 pour la cathédrale qui précédait Notre-Dame. Pour le O virgo splendens de 1399 venu de Montserrat en Catalogne, les triforiums s'éclairent d'une belle lumière chaude, tandis que les voix s'éclaircissent – et pour cause, c'est le Chœur d'enfants qu'on entend, toujours invisible mais placé cette fois devant, dans le chœur. L'ascension continue avec le Lux Aurumque d'Eric Whitacre, bond de six siècles (la pièce est composée en 2000) mais évolution plus que révolution. Les chœurs se sont déplacés pour se positionner le long des collatéraux, de part et d'autre du vaisseau central de la nef. La partie chorale se clôt avec Regina Caeli de la jeune compositrice Lise Borel (elle avait moins de 30 ans quand elle l'a composé en 2020 pour la Maîtrise Notre-Dame). Les chanteurs sont bien visibles et pour la première fois, tous réunis sur le podium sous la croisée. Les mots Regina Caeli (Reine du ciel) sont répétés presque sans fin, sur des mélodies et un caractère joyeux et lancinant inspirés du Moyen Âge. Une conclusion en apothéose réussie pour cette première partie chorale, où la compositrice démontre que le passé inspire le présent et que cette continuité d'inspiration marque la permanence de l'élévation spirituelle à Notre-Dame.
Pour le deuxième volet du programme, Vincent Dubois est au grand orgue pour Apparition de l'église éternelle d'Olivier Messiaen. Quelle pièce magnifique d'un compositeur de 24 ans, qui n'a peur ni de faire simple (une structure en arche), ni de faire grand, voire grandiose (le climax central). Par une sorte de sortilège, la partition suscite les sentiments les plus contradictoires au cours souvent du même accord indéfiniment prolongé : on bascule de l'extase à l'effroi d'une seconde à l'autre, la lumière suscitée par les sons nous excite, inquiète, galvanise sans transition. Finalement tout s'achève dans la paix. Le compositeur, l'orgue et leur interprète ne manquent pas de souffle !
Le dernier volet, qui donne son titre à tout le concert, donne à entendre le Magnificat de Bach. En douze parties, il propose presque autant de combinaisons différentes avec le chœur et les cinq solistes (et autant de tessitures). Les vastes proportions de la cathédrale rendent délicate la maîtrise d'un large effectif, surtout en comparaison des chœurs a capella et du grand orgue soliste qui avaient précédé et étaient parfaitement adaptés au lieu. Mais le final réunissant la Maîtrise et l'orchestre du Concert d'Astrée est joyeux à souhait, d'une joie sincère et libre. Au sein d'un ensemble de solistes de haut niveau, saluons la prestation d'Eva Zaïcik qui a la rude tache d'être la première soliste et dont le chant emplit la nef, pleinement, sans l'ombre d'une dureté, avec une assurance rayonnante dénuée d'orgueil. Lucile Richardot et Julien Behr, l'alto et le ténor, nous donnent quant à eux des frissons dans leur Et misericordia ejus, où les entrelacs des registres tour à tour graves et aigus en jeu renversé voient leurs effets renforcés par leur timbre de voix particulier. Magique.
Si l'office inaugural du 7 décembre avait semblé avancer avec des semelles de plomb, ce premier programme musical, donné sur deux soirs, a été un enchantement.
Crédit photographique : © Msndp
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Paris. Notre-Dame de Paris. 18-XII-2024. Grand Salve Regina (tradition parisienne du XIIe s.). O virgo splendens (Livre Vermeil de Montserrat). Eric Whitacre (né en 1970) : Lux Aurumque. Lise Borel (née en 1993) : Regina Caeli. Olivier Messiaen (1908-1992) : Apparition de l’église éternelle.
Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Magnificat BWV 243. Sandrine Piau, soprano ; Eva Zaïcik, mezzo-soprano ; Lucile Richardot, mezzo-soprano ; Julien Behr, ténor ; Guilhem Worms, basse. Vincent Dubois, grand orgue. Le Concert d’Astrée, Maîtrise Notre-Dame de Paris ; direction : Henri Chalet et Émilie Fleury