La Scène, Opéra, Opéras

Pour la fin d’année, un spectacle total avec Les Fêtes d’Hébé

Plus de détails

Paris. Opéra-Comique. 15-XII-2024. Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Les Fêtes d’Hébé, opéra-ballet en un prologue et trois entrées sur un livret d’Antoine-César Gautier de Montdorge. Mise en scène : Robert Carsen. Décors et costumes : Gideon Davey. Lumières : Robert Carsen et Peter van Praet. Chorégraphie : Nicolas Paul. Vidéo : Renaud Rubiano. Avec Emmanuelle de Negri, soprano (Hébé, La Naïade) ; Lea Desandre, mezzo-soprano (Sapho, Iphise, Églé) ; Ana Vieira Leite, soprano (Amour, Le Ruisseau, Une Bergère) ; Marc Mauillon, ténor (Momus, Mercure) ; Renato Dolcini, baryton-basse (Hymas, Tyrtée) ; Cyril Auvity, ténor (Le Ruisseau, Lycurgue) ; Lisandro Abadie, baryton-basse (Eurilas, Alcée) ; Antonin Rondepierre, ténor (Thélème) ; Matthieu Walendzik (Le Fleuve) ; danseurs et figurants. Les Arts Florissants, direction : William Christie

Après Platée et Les Fêtes vénitiennes, troisième collaboration entre et dans le cadre de l'Opéra-Comique. Une réussite autant théâtrale que musicale pour un ouvrage à l'histoire scénique quasiment inexistante.

On ne peut pas dire que Les Fêtes d'Hébé, un des opéras-ballets les plus donnés du vivant de Rameau, aient encombré les scènes lyriques françaises ces dernières années. Jugé immontable par la plupart des metteurs en scène, cet ouvrage composé d'un prologue et de trois entrées sans véritable lien organique l'une avec l'autre a certes connu les honneurs du disque, mais on ne lui connaît pas à notre époque de production scénique majeure. C'est donc en terrain pratiquement vierge que a décidé de relever le gant, s'attaquant à un ouvrage composé sur un livret connu depuis sa création à la fois pour la faiblesse de ses vers et pour son indigence théâtrale. De quoi s'agit-il exactement ? La déesse de la jeunesse Hébé, échanson des dieux chargée de leur verser le nectar, a été chassée de l'Olympe pour une faute non spécifiée. Le dieu de la raillerie Momus, aidé du dieu Amour accompagné de ses Grâces, la convainc de s'établir sur les rives de la Seine. De manière à célébrer la jeunesse et les plaisirs, Hébé propose aux muses de mettre en scène, lors de trois fêtes successives, les trois « talens lyriques » que sont la poésie, la musique et la danse. Le livret donne donc à se lire comme une célébration méta-théâtrale des principaux composants du genre même de l'opéra-ballet, voire du genre lyrique dans sa globalité. Difficile, on en convient, de monter un spectacle autour de ce qui n'est finalement que la théorisation d'un projet esthétique lequel ne saurait en rien constituer une intrigue dramatique. Il est vrai toutefois que chacune des trois entrées est construite sur une histoire d'amour vite expédiée au demeurant, prétexte en réalité à ce qui est depuis le départ conçu comme une simple démonstration de chant, de danse et de virtuosité musicale.

Comme souvent chez , c'est par le principe de la transposition et de la recontextualisation que le spectacle trouve son unité et sa cohérence, aboutissant à une proposition globalement convaincante, le plus souvent stimulante, voire occasionnellement hilarante. Du livret initial de Gautier de Mondorge, Carsen semble avoir retenu deux maîtres-mots : « Seine » et « Jupiter ». Dans la version transposée l'intrigue démarre ainsi lors d'une réception dans les salons de l'Élysée où l'on voit Hébé, jeune employée chargée de servir les boissons, renverser maladroitement un verre de vin rouge sur la robe blanche de Brigitte Macron. Chassée illico par « Jupiter » en personne, elle décide de vivre pleinement sa vie en allant, chevauchant sa bicyclette, arpenter les bords de la Seine. D'une entrée à l'autre on la voit ainsi frayer, indirectement, avec les trois groupes de personnages réunis pour l'intrigue de circonstance, eux-mêmes constitutifs des joies et des aléas de la vie parisienne. L'unité du spectacle tient ainsi à cette figure d'observatrice emblématique de l'effervescence et de la créativité de la ville de Paris, véritable héroïne du spectacle. La scénographie de Gideon Davey, la vidéo de Renaud Rubiano concourent à montrer la beauté et la fluidité des bords de Seine, partiellement influencés par les récents événements qu'ont été ces dernières années Paris-Plage, Paris 2024 et la reconstruction de Notre Dame. C'est donc sur les voies sur berges du fleuve que se déroulent les trois entrées célébrant successivement la poésie, la musique et la danse.

La première des trois entrées est sans doute la moins réussie, la mise-en-abyme que constituent les retrouvailles de la Naïade et du Ruisseau peinant à évoquer le sujet apparent de l'acte, les amours de Sappho et d'Alcée contrariées par les choix malheureux d'Hymas. La deuxième, avec la superbe chorégraphie du match de football censé évoquer les combats entre les Messéniens et les Lacédémoniens, est d'un grand raffinement esthétique, même si la célébration de la musique militaire ne répond pas forcément à ce qu'on aurait attendu d'un discours annoncé comme devant porter sur la musique. L'acte final, celui consacré aux amours d'Églé et de Mercure, est une véritable jubilation vocale et chorégraphique, le hip hop généralisé à tous s'accommodant parfaitement de la musique de Rameau, qui résonne dans toute sa modernité. Superbement chorégraphiés par Nicolas Paul, solistes, choristes et figurants se mêlent avec ferveur et engagement aux dix danseurs professionnels pour aboutir à un spectacle total, festif dans sa fluidité, décapant dans son irrévérence et excitant dans sa déjante.

Félicités également sur le plan musical car et n'ont rien perdu de la fraîcheur et de l'enthousiasme qui caractérisaient déjà leur version discographique de 1997, avec même plus d'imagination encore au niveau des timbres, notamment pour l'utilisation des percussions pour la deuxième entrée et pour les délicieuses musettes accompagnant les scènes pastorales, en rien hors de propos dans cette recontextualisation. Tout au plus pourra-t-on déplorer quelques décalages avec le plateau, bien excusables au vu de l'effervescence et de l'agitation régnant sur la scène pour certaines parties du spectacle.

Vocalement, la distribution est très nettement dominée par , qui ajoute à ses talents de chanteuse et à la beauté irréelle de ses phrasés de réelles capacités pour la danse. Dans plusieurs rôles, dont celui de l'Amour, fait preuve d'une belle efficacité scénique sans pour autant négliger la partie vocale de sa prestation, de bonne tenue. On lui préfère cependant pour son exquise musicalité , très convaincante en Hébé ainsi que dans le rôle de la Naïade, dans lequel elle parvient à émouvoir par la finesse et la délicatesse de son chant. On s'étonne que soit distribué dans deux rôles aussi courts, le Ruisseau et Lycurgue, quand on aurait rêvé de l'entendre en Momus ou en Mercure. Non pas que ces deux rôles soit desservis par , pas forcément très à l'aise dans une tessiture aussi tendue, mais comme toujours d'un abattage scénique à toute épreuve. De solides prestations également du côté des voix graves, avec notamment la participation très remarquée de en Tyrtée/Officier de gendarmerie, l'Alcée de restant bien chantant mais relativement pâle sur le plan scénique. Chez les rôles secondaires, on remarquera le Fleuve de , le ténor incarnant avec goût et efficacité le personnage peu sympathique de Thélème. Très impliqué dans cette évocation pour le moins directe du peuple de la ville de Paris, le public a réservé à la production un accueil enthousiaste, bien mérité pour ce qui restera un passionnant exercice de style. Ces fêtes de la joie et de la jeunesse, orchestrées à l'occasion du 80e anniversaire de , devraient compter pour beaucoup dans l'histoire de la riche collaboration du chef et de son ensemble au sein du théâtre de l'Opéra-Comique.

Crédit photographique © Vincent Pontet

(Visited 22 times, 1 visits today)

Plus de détails

Paris. Opéra-Comique. 15-XII-2024. Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Les Fêtes d’Hébé, opéra-ballet en un prologue et trois entrées sur un livret d’Antoine-César Gautier de Montdorge. Mise en scène : Robert Carsen. Décors et costumes : Gideon Davey. Lumières : Robert Carsen et Peter van Praet. Chorégraphie : Nicolas Paul. Vidéo : Renaud Rubiano. Avec Emmanuelle de Negri, soprano (Hébé, La Naïade) ; Lea Desandre, mezzo-soprano (Sapho, Iphise, Églé) ; Ana Vieira Leite, soprano (Amour, Le Ruisseau, Une Bergère) ; Marc Mauillon, ténor (Momus, Mercure) ; Renato Dolcini, baryton-basse (Hymas, Tyrtée) ; Cyril Auvity, ténor (Le Ruisseau, Lycurgue) ; Lisandro Abadie, baryton-basse (Eurilas, Alcée) ; Antonin Rondepierre, ténor (Thélème) ; Matthieu Walendzik (Le Fleuve) ; danseurs et figurants. Les Arts Florissants, direction : William Christie

Mots-clefs de cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Reproduire cet article : Vous avez aimé cet article ? N’hésitez pas à le faire savoir sur votre site, votre blog, etc. ! Le site de ResMusica est protégé par la propriété intellectuelle, mais vous pouvez reproduire de courtes citations de cet article, à condition de faire un lien vers cette page. Pour toute demande de reproduction du texte, écrivez-nous en citant la source que vous voulez reproduire ainsi que le site sur lequel il sera éventuellement autorisé à être reproduit.