La Scène, Opéra, Opéras

Adonis au théâtre baroque de Schwetzingen, une œuvre plurielle

Plus de détails

Schwetzingen. Schlosstheater. 15-XII-2024. Johann Sigismund Kusser (1660-1727), Giuseppe Fedrizzi (dates inconnues) : Adonis, opéra en trois actes d’après un livret de Flaminio Parisetti, traduction par Friedrich Christian Bressand et un poète anonyme. Mise en scène : Guillermo Amaya ; décors et costumes : Stefan Rieckhoff. Avec Theresa Immerz (Venus), Jonas Müller (Adonis), Sreten Manojlović (Vulcanus), Rémy Brès-Feuillet (Apollo), Zuzana Petrasová (Pallas), Indre Pelakauskaite (Daphne), João Terleira (Cupido). Philharmonisches Orchester Heidelberg, direction : Jörg Halubek

Conçue par le très international en 1699, l'œuvre n'est au mieux qu'à moitié de lui : sa redécouverte récente a tout d'une enquête policière…

Il y a encore du travail pour les musicologues : totalement inconnue jusqu'en 2005, l'œuvre jouée cette année au festival hivernal du château de Schwetzingen a été découverte par la musicologue Samantha Owens à la Bibliothèque d'Etat du Wurtemberg à Stuttgart, sous forme d'une réduction voix/continuo d'une part, d'une série de parties instrumentales d'autre part, sans aucune indication sur le nom du compositeur ou les circonstances de création. Elle a pu déterminer que l'œuvre était due à la plume de , figure secondaire de la vie musicale européenne, mais fascinant par sa biographie en perpétuel mouvement : né en 1660 à Bratislava, passé par Stuttgart, il séjourne huit ans (1674-1682) à Paris dans l'entourage de Lully. Actif ensuite à Ansbach, Brunswick et Hambourg, il compose et dirige cet Adonis en 1699 pour la cour ducale de Stuttgart. La suite de son existence le conduit à Londres, puis plusieurs années à Dublin où il s'éteint en 1727 : une vie romanesque, où sa réputation de personnalité difficile tarde rarement à le rejoindre. Compositeur, arrangeur, mais surtout alternativement musicien de cour et chef de troupe, ce Kusser est décidément une figure romanesque.

Mais les surprises ne s'arrêtent pas là : ce que le Théâtre de Heidelberg qui produit le spectacle présente comme l'Adonis de Kusser n'est en fait, au moins en partie, pas de lui. Kusser a dirigé à Brunswick un opéra (en italien) d'un certain . Sa musique n'est pas conservée, mais le livret, signé par Flaminio Parisetti, est la source directe de celui, allemand, d'Adonis, au point qu'il est certain que Kusser s'est aussi servi dans la musique de son prédécesseur, comme l'a montré Andreas Münzmay : tous les airs viennent sans doute directement de ce Fedrizzi inconnu.

Cette histoire singulière est, à vrai dire, plus passionnante que l'œuvre elle-même, qu'un public un peu plus large a pu récemment découvrir grâce à la publication d'un enregistrement du concert de recréation par CPO, l'éditeur le plus actif en matière d'opéra baroque allemand. À Schwetzingen, l'œuvre est présentée par le même chef, , cette fois à la tête de musiciens de l'orchestre de Heidelberg, et avec une distribution entièrement nouvelle. Le détour par la scène a bénéficié à l'ensemble : le disque nous avait paru un peu terne et franchement monotone ; la représentation a un peu plus de vigueur, et la mise en scène vivante et pragmatique de donne une bonne vision de l'œuvre, en jouant sur le contraste entre toiles peintes et costumes contemporains, en faisant des chanteurs des explorateurs qui manipulent les éléments du décor, en une forme allégée de théâtre dans le théâtre. Mais cela ne réussit pas pour autant à racheter les faiblesses criantes du livret.

L'histoire de Vénus et Adonis et celle d'Apollon et Daphné occupent l'essentiel de l'œuvre sans jamais vraiment se rencontrer, seul Cupidon allant un peu de l'une à l'autre, tandis que Pallas, autrement dit Athéna, fait de la figuration : on est loin de la vitalité enthousiasmante des livrets vénitiens de l'époque de Cavalli, ou de ceux utilisés à la même époque par Keiser à Hambourg, la grande scène montante de l'opéra allemand, où Kusser n'a fait qu'un bref séjour. La promesse de théâtralité n'y est pas très riche, mais le spectacle aurait tout de même gagné à exploiter le potentiel comique du pauvre Vulcain et surtout de l'insupportable Cupidon, chanté avec élégance, mais aussi avec un imperturbable sérieux par João Terleira.

De son séjour en France, Kusser a retenu l'art des textures orchestrales, avec pas moins de quatre hautbois et un basson pour compléter les cordes ; il n'a pas appris de Lully, et c'est bien dommage, son art du récitatif dramatique, à la fois souple et expressif, alors même qu'il a adapté Acis et Galatée pour la scène allemande – malgré les efforts de pour colorer le continuo, la force rhétorique et émotionnelle de ces récitatifs est très loin de ce que savent faire Lully ou Keiser. La distribution n'est ici pas en cause : elle est même préférable à celle du disque, notamment en virtuose et émouvante Vénus et la sombre Pallas de ; , chargé du rôle-titre, livre quant à lui du très beau chant, mais le personnage reste peu caractérisé. Le pôle Apollon/Daphné est un peu moins convaincant, surtout du côté masculin : le contre-ténor donne par la voix une vision trop douce de son personnage, alors que son jeu de playboy en restitue mieux les mauvaises intentions. Les trois heures de spectacle passent sans ennui, sans nous livrer la résurrection d'un chef-d'œuvre oublié, mais on saisit avec intérêt l'occasion de se confronter à une culture lyrique oubliée où le métissage apparaît comme un principe fondamental de production artistique.

Crédits photographiques : © Susanne Reichardt

(Visited 3 times, 1 visits today)

Plus de détails

Schwetzingen. Schlosstheater. 15-XII-2024. Johann Sigismund Kusser (1660-1727), Giuseppe Fedrizzi (dates inconnues) : Adonis, opéra en trois actes d’après un livret de Flaminio Parisetti, traduction par Friedrich Christian Bressand et un poète anonyme. Mise en scène : Guillermo Amaya ; décors et costumes : Stefan Rieckhoff. Avec Theresa Immerz (Venus), Jonas Müller (Adonis), Sreten Manojlović (Vulcanus), Rémy Brès-Feuillet (Apollo), Zuzana Petrasová (Pallas), Indre Pelakauskaite (Daphne), João Terleira (Cupido). Philharmonisches Orchester Heidelberg, direction : Jörg Halubek

Mots-clefs de cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Reproduire cet article : Vous avez aimé cet article ? N’hésitez pas à le faire savoir sur votre site, votre blog, etc. ! Le site de ResMusica est protégé par la propriété intellectuelle, mais vous pouvez reproduire de courtes citations de cet article, à condition de faire un lien vers cette page. Pour toute demande de reproduction du texte, écrivez-nous en citant la source que vous voulez reproduire ainsi que le site sur lequel il sera éventuellement autorisé à être reproduit.