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Polifemo de Porpora : plaisirs coupables à l’Opéra royal de Versailles

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Versailles. Opéra royal. 6-XII-2024. Nicola Porpora (1686-1768) : Polifemo, Opéra en 3 actes sur un livret de Paolo Rolli. Mise en scène : Justin Way. Chorégraphie : Pierre-François Dollé. Décors : Roland Fontaine. Costumes : Christian Lacroix. Lumières : Stéphane Le Bel. Maquillage et coiffure : Laurence Couture. Perruques : Cécile Kretschmar. Masques et costumes de Polifemo : Rachel Quarmby-Spadaccini et Jean-Christophe Spadaccini.
Avec : Franco Fagioli (Acis) ; Julia Lezhneva (Galatée) ; Paul-Antoine Bénos-Djian (Ulysse) ; José Coca Loza (Polifemo) ; Eléonore Pancrazi (Calypso). Académie de danse baroque de l’Opéra Royal. Orchestre de l’opéra royal dirigé par Stefan Plewniak.

« Alto Giove » de Porpora est devenu un tube baroque, peu fréquentes sont les occasions d'entendre son Polifemo en intégralité. A travers ces représentations, l'Opéra royal de Versailles nous propose une forme d'immersion « fantasmée » dans ce que devaient être les divertissements royaux au XVIIIe siècle. Plaisirs coupables du vain et du sublime !
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Le film de Gérard Corbiau consacré à Farinelli avait émerveillé le grand public par l'évocation des castrats et des divertissements lyriques dans l'Europe du XVIIIe siècle. L'accent était mis sur la rivalité entre l'opéra du roi, dirigé par Haendel et celui de la noblesse, dirigé par Porpora qui y donna son fameux Polifemo en 1735.

C'est cet univers que semble convoquer l'Opéra Royal et le metteur en scène Justin Way. Soyons honnête, aucune véritable idée notable n'irrigue cette mise en scène d'une œuvre dont elle semble souligner le pur objectif de luxueux divertissement. Les chanteurs chantent à droite, puis à gauche, en haut puis en bas, prennent des airs outrés et font de coquettes œillades au milieu de danses baroques qui viennent dynamiser tout cela avec des couleurs, des plumes et des paillettes. D'où vient alors le plaisir indicible ressenti à un tel spectacle ? La réponse pourrait se trouver dans l'idée que tout est ici très « premier degré », dans l'évocation « simple » et directe d'un esprit, d'un écrin, d'un temps révolu. On est là, comme la noblesse du Siècle des Lumières, pour en prendre plein les yeux et les oreilles avec des chanteurs droit face à la rampe (très belles lumières) déclamant leur texte et exposant leurs trilles dans des costumes toujours aussi chatoyants, luxueux, et pour tout dire sublimes, de Christian Lacroix. L'impression d'un voyage dans le temps qui nous fait revenir à nos yeux d'enfants émerveillés !

Et puis, quels chanteurs ! La basse bolivienne expose un beau bronze et confère autant de monstruosité que d'humanité au personnage de Polifemo. Sa prestation est techniquement moins spectaculaire que celle de ses partenaires mais il ne démérite jamais et émeut au final avec un personnage pas si facile à défendre.

La Calypso d'Eléonore Pancrazi est savoureuse, piquante. La mezzo est peut-être celle qui est la plus à l'aise scéniquement et sa voix égale, sur l'ensemble des registres, expose des vocalises qui ne manquent jamais d'agilité.

est un impressionnant Ulysse. Le contre-ténor au timbre affirmé passe très facilement la rampe et s'impose par une vraie signature vocale. Virtuose sans esbrouffe, ductile sans manquer de virilité, son Ulysse crée la surprise et réussit à s'imposer face aux deux têtes d'affiche.

Quelle Galatée que celle de ! La soprano a gagné en aisance scénique sans délaisser sa marque de fabrique : une virtuosité à toute épreuve qui, par la propreté et la vélocité absolue de ses vocalises et de ses trilles, émaillées de notes piquées jamais gratuites, pourrait très largement être mise au profit de master classes sur l'art du bel canto. La voix est de plus particulièrement puissante ce qui devient appréciable dans ce répertoire. Un plaisir de chaque instant.

Et puis il y a ! Les années passent mais, si la projection est moins insolente et les trilles peut-être légèrement plus « mécaniques », on reste pantois, admiratif et pour tout dire hypnotisé par une telle prestation. Une voix singulière avec des aigus stratosphériques, des graves impressionnants, des sauts de registres abyssaux, une sculpture du son unique et une intention derrière chaque note. Voilà ce qui pourrait résumer cette incarnation spectaculaire à tout point de vue et qui laisse la salle en délire.

Entre plusieurs grands morceaux de bravoure, soulignons l'« Alto Giove » à l'émotion progressivement amenée tant par les variations du chanteur que par la tonalité « gazeuse », évanescente et magique voulue par le chef qui livre ce soir avec l'orchestre de l'opéra royal, une prestation remarquable de tension, de variations et de couleurs qui n'est pas pour rien dans l'effet « waouh » de ces représentations.

Alors oui, tout cela est un peu vain et dérisoire, mais quels plaisirs « coupables » avons-nous ressentis ce soir !

Crédit photographique : © Franck Putigny

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Avec : Franco Fagioli (Acis) ; Julia Lezhneva (Galatée) ; Paul-Antoine Bénos-Djian (Ulysse) ; José Coca Loza (Polifemo) ; Eléonore Pancrazi (Calypso). Académie de danse baroque de l’Opéra Royal. Orchestre de l’opéra royal dirigé par Stefan Plewniak.

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