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Klaus Huber 100 : un premier concert hommage au Foyer de l’Âme

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Paris. Temple du Foyer de l’âme. 4-XII-2024. Klaus Huber (1924-2017) : … Plainte… à Luigi Nono, pour viole d’amour ; Vida y muerte no son mundos contrarios, pour mezzo-soprano et viole d’amour, sur un texte d’Octavio Paz ; Der Mensch, pour voix et mandoloncelle ; Nous? La raison du cœur, in memoriam Jacques Derrida, pour mezzo-soprano et alto (version 2007) ; Luminescenza, piccola musica enigmistica per Brian Ferneyhough, pour mandoline, guitare et harpe. John Dowland (1563-1626) : Flow, my tears ; Can she excuse my wrongs ; Frédéric Martin (1958-2016) : Dowland’s Box, pour guitare, harpe et mandoloncelle ; Younghi Pagh-Paan (née en 1945) : ma-am, in memorim Luigi Nono pour sa femme Nuria, pour voix de femme ; Noch…, pour mezzo-soprano et alto sur des textes de Rose Ausländer, Louise Labé et Anna Akhmatova. Trio Polycordes : Florentino Calvo, mandolines ; Sandrine Chatron, harpe ; Jean-Marc Zvellenreuther, guitare ; Mareike Schellenberger, mezzo-soprano ; Garth Knox, alto et viole d’amour. Daniel Sultan, lecture

Né le 30 novembre 1924 à Berne, le compositeur suisse aurait eu cent ans en cette fin d'année. Le lui rend hommage, invitant à ses côtés l'altiste et violiste et la mezzo-soprano .

Plus secret que ses contemporains (Boulez, Berio, Nono, Stockhausen…), et affranchi de toute chapelle esthétique, n'en est pas moins influent, fêté à l'international durant sa longue carrière. Pédagogue recherché, il succède, en 1969, à Wolfgang Fortner à la Hochschule für Musik de Fribourg en Brisgau où viendront se former, à ses côtes, Kaija Saariaho, Wolfgang Rihm, Brian Ferneyough et Michael Jarrell. Dans sa présentation aussi riche que synthétique, Omer Corlaix met l'accent sur l'aspect religieux voire mystique de sa personnalité et son attachement en profondeur aux choses spirituelles dont il fait le levier de son engagement. Essentiel également est l'intérêt qu'il porte au monde arabo-persan et à l'univers microtonal qui s'entend dans toute son écriture.

Au programme, des œuvres du compositeur écrites pour la voix et les instruments de la soirée (cordes pincées et frottés) ; elles croisent celles de son élève et compagne sud-coréenne ainsi que des pages de musique ancienne qui résonnent sous les cordes de la viole d'amour.

Des textes engagés

Dans …Plainte… (1990) de , la viole d'amour de (instrument doté d'un jeu de cordes sympathiques) est accordée en tiers de ton. La sonorité est fluctuante et la ligne fragile, ponctuée par des pizzicati sonnant dans le grave qui semblent fixer un cadre harmonique à cette musique fugace dédiée à Luigi Nono. la redonne, quasi à l'identique, sous les mots du poète Octavio Paz (Vida y muerto no son mundos contrarios) chantés par . Dans Der Mensch (1968, version 2006), sur un texte de Friedrich Hölderlin, la mezzo-soprano est accompagnée par le mandoloncelle (l'instrument grave de la famille des mandolines) de . Il s'agit d'une courte mélodie dont les écarts de registre sculptent une ligne de chant très mouvante. Comme Luigi Nono, Klaus Huber fait souvent appel à des textes engagés : ainsi ce message, d'une actualité brûlante, de Jacques Derrida, Nous ? La raison du cœur dont Daniel Sultan nous lit des extraits. Il est adressé par le philosophe français à l'occasion du voyage en Palestine de la délégation du Parlement international des écrivains à l'invitation de Mahmoud Darwish en 2002. Dans sa version de 2007, Klaus Huber le fait chanter () avec l'accompagnement de l'alto (Garth Knox), ligne secondaire aux fluctuations microtonales qui suit la voix comme son ombre tandis que la mezzo se met à percuter un petit tambour oriental.

ou le dialogue des cultures

Mareike Schellenberger est à voie nue, avec des claves dans les mains, dans ma-an (1990) chanté en coréen : in memorian Luigi Nono pour sa femme Nuria, note en sous-titre la compositrice . Si le sens nous échappe, la vitalité du récit et l'amplitude du registre vocal impressionnent. La chanteuse est en duo avec l'alto de Garth Knox dans une deuxième mélodie de Pagh-Paan Noch (Encore) sur un texte allemand très ciselé qui emprunte à trois poétesses, Rose Ausländer, Louise Labé et Anna Akhmatova. L'écriture vocale y est épurée, accueillant les effets bruités d'un chimes de coquillages et les commentaires de l'alto au profil microtonal.

Des couleurs inédites

Sous l'accompagnement habilement « fleuri » de Garth Knox qui a légèrement amplifié sa viole d'amour, Mareike Schellenberger, rondeur et chaleur dans le timbre, chante deux songs de Dowland, le mélancolique Flow, my tears et Can she excuse my wrongs, plus alerte : une manière d'introduire Dowland's Box (2004) du regretté interprété par le (harpe, mandoline et guitare) à qui l'œuvre est adressée : la harpiste expose seule le modèle originel avant que les trois instrumentistes ( à la guitare) ne se lancent dans la variation et la métamorphose du matériau. Le contrepoint est fougueux, qui oscille entre modalité ancienne et atonalité libre, la musique pulsée et tendue appelant la virtuosité instrumentale.

Le trio termine le concert avec Luninescenza, une perle écrite pour guitare, harpe et mandoline par Huber en 1992, avant même l'existence du . L'écriture procède par petits éclats successifs, mélodie de timbres très économe associée aux chocs mats sur la caisse des instruments, qui contraste avec les courtes séquences de brouillage microtonal d'une couleur inédite : « piccola musica enigmistica per Brian Ferneyhough », sous-titre le compositeur, alliant complexité et étrange beauté.

Crédit photographique : © Trio PolyCordes

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