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À La Monnaie, Fanny and Alexander de Mikaël Karlsson et Royce Vavrek : pour tout, sauf la musique

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Bruxelles La Monnaie.1-XII-2024. Mikael Karlsson (né en 1975) : Fanny and Alexander, opéra en deux actes, Livret de Royce Vavrek, d’après le film Fanny och Alexander d’Ingmar Bergman, sous licence Josef Weinberger Ltd. Orchestration : Michaël P. Atkinson et Mikael Karlsson. Mise en scène : Ivo van Hove. Décors et éclairages : Jan Verweyveld. Costumes : An d’Huys. Vidéo : Christopher Ash. Préparation dramaturgique : Peter van Kraaij. Avec : Susan Bullock : Helena Ekdahl ; Peter Tantsits : Oscar Ekdahl ; Sasha Cooke : Emile Ekdahl ; Jay Weiner : Alexander ; Thomas Hampson : l’évêque Edvard Vergerus ; Anne Sofie von Otter : Justina ; Loa Falkman : Isak Jacobi ; Aryeh Nussbaum Cohen : Ismaël ; Alexander Sprague : Aron ; Justin Hopkins : Carl Ekdahl ; Polly Leich : Lydia Ekdahl ; Gavan Ring : Gustav Adolf Ekdahl ; Margaux de Valensart : Alma Ekdahl ; Marion Bauwens : Paulina ; Blandine Coulon : Esmeralda. Orchestre symphonique de La Monnaie, Ariane Matiakh, direction musicale générale

La Monnaie propose comme production de fin d'année, la création mondiale de Fanny and Alexander d'après le scénario de l'ultime film d'

Fanny och Alexander film semi-autobiographique aux multiples grilles de lecture, et oscarisé en 1983, constitue le testament cinématographique d', même s'il réalisera encore par la suite tel ou tel long métrage pour la télévision et surtout écrira son autobiographie Laterna Magica et plusieurs scénarios confiés à d'autres réalisateurs. junior a proposé à la Monnaie d'adapter en opéra cette ultime réalisation emblématique, ce que, dit-il, son père, fou d'opéra, aurait probablement cautionné.

Le librettiste canadien , a déjà pratiqué l'exercice de transposition de l'écran à la scène lyrique, pour deux films majeurs de Lars von Trier (Breaking the waves en 2016 mis en musique par Missy Mazzoli et Melancholia l'an dernier, fruit déjà d'une collaboration avec le compositeur Michael Karlsson). Cette nouvelle réalisation du strict point de vue dramaturgique est une pleine réussite, entre crue réalité et projection fantasmagorique.


La famille Ekdahl, très liée à l'univers de la scène se réunit pour la Noël, sous l'égide de la matriarche Helena. Figurent en cette veillée le fils aîné Oscar – actuel patron de la compagnie théâtrale -, son épouse Emilie, leurs enfants Fanny et Alexandre, outre les deux frères cadets et leurs épouses. Il faut y ajouter un ami de la famille Isak Jacobi, jadis amant d'Héléna. Peu après, en pleine répétition d'Hamlet, Oscar meurt d'une brutale crise cardiaque. Emilie confie, un an plus tard, la régie du théâtres à d'autres, et se remarie avec l'austère évêque protestant, le veuf Edvard Vergerus – lequel impose à son épouse une totale rupture ascétique avec son passé et aux enfants d'insoutenables corrections en cas de désobéissance, ou de récit mensonger, sous la surveillance complice et cruelle de la  rigide gouvernante Justina. Alexander fantasme ainsi la disparition et revit à sa manière la noyade de la première épouse du sieur et de leurs deux filles, avant d'être rudement tansé par son beau-père… Dans ce climat de violence , et le divorce semblant impossible, c'est grâce aux sortilèges de la malle magique d'Isak que les deux adolescents pourront s'échapper de ce sinistre lieu.

Au-delà de cette saga familiale, il faut voir là une métaphore des Arts de la scène, avec le long monologue sans équivoque d'Oscar à la quatrième scène du premier acte, la répétition d'Hamlet, ou cette réduction d'un théâtre-jouet et plus tard une  lanterne magique déposée à même le proscenium central.

On peut compter sur pour mettre en valeur ce livret très habile, ayant déjà transposé de manière magistrale plusieurs œuvres bergmaniennes au théâtre. Le brillant metteur en scène belge joue à merveille la carte tantôt de la mise en abyme, tantôt du huis clos étouffant. Le décor oscille entre un immense espace scénique flanqué latéralement de murs-miroirs, et, en toile de fond, un vaste espace de projection où défileront d'efficaces vidéos de Christopher Ash. Ailleurs, une habile économie de moyen, dans les scènes sises en la demeure de Vergerus, laisse l'impression d'une intimité spartiate et d'autoritaire dénuement.

Le casting a été particulièrement soigné et distribue de manière idoine les seize (!) rôles exigés par la partition. Pour figurer le couple d'adolescents, La Monnaie a puisé dans son propre vivier, et son chœur d'enfants et de jeunes. Alexander est incarné par le très talentueux , déjà apprécié entre autres lors de son apparition dans Der Rosenkavalier voici deux saisons. Sa mue un peu tardive, sa belle technique vocale – notamment une belle couverture des aigus et une justesse quasi infaillible -, sa capacité à se couler dans la mise en scène et son intelligence du texte lui  permettent de toucher au sublime. La Fanny de n'est pas en reste, mais son rôle est réduit à la portion congrue. Pour évoquer brièvement les mânes des deux filles Paulina et Esmeralda issues du premier mariage de Vergerus, l'on peut compter sur et Blandine Coulon, voix lustrales et piquantes, doublées d'une indiscutable présence scénique au fil des leurs apparitions tenant presque du mimodrame. La mezzo-soprano , par sa voix souple et ductile, mais aussi puissante et corsée, s'impose en émouvante et rompue Émilie. Elle constitue un couple vocal quasi parfait avec l'Oscar du ténor , au timbre idéalement corsé pour restituer tant la truculence du monologue de Noël que la térébrante agonie de son personnage. Face à ce couple parental défait, pour incarner le duo psychorigide du Pasteur Vergerus et de sa perfide gouvernante Justina, l'on trouve un duo de stars : , au timbre toujours royal, incarne toutes les fêlures et la violence débordante de son personnage avec une autorité intacte. Anne Sofie von Otter voit avec le temps son registre sensiblement s'ouvrir vers le grave et par une raucité presque perfide donne toute l'épaisseur psychologique requise à ce rôle antipathique relativement secondaire. incarne remarquablement, la maturité venue, les rôles de matriarches : le rôle mi-tendre mi-autoritaire de la grand-mère Helena Ekdahl, lui va à merveille, à la fois par la véracité du timbre que par l'humanité de l'incarnation : elle se joue avec une incroyable facilité des nombreux passages a capella qui lui sont confiés. L'ami de la famille Isak Jacobi est incarné par à , le baryton toujours convaincant, nanti d'un phénoménal talent d'acteur : il se joue de son rôle avec  la douce ironie et toute la distance nostalgique requise.

Des deux fils d'Isak, on retiendra surtout la brillante et courte apparition du contre-ténor , incroyable de présence et d'étrangeté vocales par son timbre vif argent, le ténor dans le rôle de son frère Aron, tirant habilement son épingle du jeu au fil de ses brèves répliques. Il convient enfin de saluer les deux couples de frères et belles-sœurs qui donnent tout le relief aux premières et ultimes scènes. Carl et Lydia, déchirés par la stérilité de leur union et par l'infidélité maritale, trouvent en et de parfaits interprètes, là où Cavan Ring et jouent davantage la carte de la neutralité car réduits à un indifférent rôle de couple-potiche.

Tout serait donc parfait si la partition de était à la hauteur de l'enjeu. Ce compositeur suédois installé à New-York a composé la musique de la plupart des spectacles de danse d'Alexander Ekman, ou de nombreuses musiques pour des jeux-vidéo à succès. Il n'en est pas à son premier opéra, et entend par un jeu de cache-cache stylistique permanent se jouer des trois niveaux d'intrication spatio-temporelle du présent drame. Mais est-ce bien suffisant ? Cette partition nous a semblé longue – deux heures quarante !- et souvent pauvre rythmiquement (les interminables premières scènes du second acte), se jouant juste de quelques habiles leitmotive pour unifier le propos dans un univers polystyliste somme toute assez banal. D'un langage minimaliste dans le tableau de Noël, tout juste ose-t-il quelques dissonances pointues lors du duo très tendu entre Carl et Lydia. Les scènes grises et intimes chez l'évêque Vergerus ou les visions fantasmagoriques d'Alexander semblent un mauvais copié-collé du Turn of the screw de Britten. Ailleurs encore, on trouve une réalisation électronique encombrante et pléonastique face aux gimmicks instrumentaux déployés façon Hans Zimmer. Il faut d'ailleurs bien lire le programme pour constater – entre les lignes – que  l'orchestration de l'ouvrage a été confiée en partie (mais en quelle proportion ?)  à Michael P. Atkinson. La réalisation technique finale entend légèrement sonoriser les voix des solistes (soit !) mais aussi créer pour l'auditeur une impression de surround englobant toute la salle, ce qui nous a semblé relever d'une insignifiante gadgétisation. Mais le public de cette première, sensiblement plus jeune qu'à l'habitude, a été conquis par ce mélange polystyliste, grevé de technologie high-tech, jusqu'à lui réserver une standing ovation.

Ariane Matiakh doit donc s'armer d'un indispensable casque pour suivre à la lettre la réalisation technique de la partition. La talentueuse cheffe française, au très large répertoire, a déjà plusieurs créations opératiques contemporaines a son actif, et s'avère d'une redoutable efficacité. Par son sens de la dramaturgie et de la nuance, elle sauve ce qui peut l'être et assure un parfait équilibre entre fosse, plateau, et salle. L' la suit avec force nuances et conviction, au fil de ce spectacle opératique total et visuellement ensorcelant, mais à notre sens, mille fois hélas, déserté par l'inspiration compositionnelle.

Crédits photographiques ©  Maus / LA Monnaie

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