De la Baltique à l’Adriatique, de Vilnius à Venise avec Muza Rubackyté
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Villefranche d’Astarac. Le Préau. 13-X-2024. De la Baltique à l’Adriatique, de Vilnius à Venise. Mikalojus Contantinas Čiurlionis (1875-1911) : 3 préludes VL 239, 294,197 ; 2 nocturnes VL 183, 178 ; Leopold Godowsky (1870-1938) : Sonate en mi mineur 2e mouvement ; Raminta Šerkšnytė (née en 1975) : Passaglia pour piano. Franz Liszt (1811-1886) : Extraits des années de pèlerinage II l’Italie et Rome III : Jeux d’eaux de la Villa d’Este ; Sposalizio ; Venezia e Napoli ; Gondoleria ; Canzone ; Tarantella ; Sonata quasi fantasia « Après la lecture de Dante ». Mūza Rubackyté, piano
Bien qu'elle vienne jouer dans le Gers depuis longtemps, la venue de la pianiste franco-lituanienne, Mūza Rubackyté, le 13 octobre dernier à Villefranche-d'Astarac, dans le cadre de la saison de la Lituanie en France, fut un événement.
Depuis sa création il y a vingt ans, le festival des Musicales en Coteaux de Gimone a toujours reçu de grands artistes dans des petits villages du Sud Astarac, qui comptent parfois moins d'une centaine d'habitants.
Il s'agissait sans doute d'une des plus petites salles où elle se soit produite, mais cela n'altère en rien l'engagement de Mūza Rubackyté la musique, qu'elle vit profondément et interprète avec une virtuosité et une fougue absolue qui lui sont propres.
Née sous le joug soviétique, qui avait inféodé les trois pays baltes, de la seconde guerre mondiale à 1991, Mūza Rubackyté bénéficia d'une éducation musicale de premier ordre et elle fut issue de la fameuse école russe de piano au conservatoire Tchaïkovski de Moscou. N'ayant jamais renié sa culture et aspirant à la liberté de son pays, cette égérie de la révolution lituanienne, aux côtés de son maître et collègue le musicologue Vytautas Landsbergis, qui en devint le premier président de la république libérée, a payé son engagement par des années de concerts imposés au plus profond des provinces soviétiques, privée de passeport pour aller jouer à l'étranger.
Lituanie, ô ma patrie !
Vilnius, la capitale de la Lituanie, possédait une importante communauté juive, dont furent issues d'éminentes personnalités de la pensée spirituelle, des arts et des lettres. Elijah ben Solomon Salman (1720-1797) contribua à la formation du judaïsme litvakien et à la renommée de la ville appelée dès lors la « Jérusalem du nord ». Le compositeur Leopodd Godowsky, le violoniste Jascha Heifetz, le pianiste Vlado Perlemuter, le peintre et sculpteur Lasar Segall, le philosophe Emmanuel Levinas, l'écrivain Romain Gary et bien sûr Mikalojus Contantinas Čiurlionis sont originaires de Vilnius ou d'autres villes de ce petit pays. Ce dernier qui était à la fois un compositeur de talent et un peintre d'une grande originalité, fut un des fondateurs de l'école musicale lituanienne et son fer de lance. Comme Sibelius en Finlande, il est devenu le véritable symbole de l'identité nationale lituanienne, même s'il reste presque totalement ignoré en dehors de son pays. Il est on ne peut plus naturel qu'un récital dédié à la Lituanie commence par lui.
Si ses œuvres majeures sont indiscutablement deux poèmes symphoniques Dans la forêt et La mer, auxquels s'ajoutent un Quatuor à cordes de toute beauté, Čiurlionis a également composé de nombreuses pièces pour piano, pour orgue et pour chœur, qui recèlent des pages admirables. La musique de ce contemporain de Ravel possède un cachet particulier et envoûtant, servi par un sens de la mélodie et du timbre et surtout par l'art de créer, comme dans ses quelque quatre-cent tableaux, une atmosphère de rêve. Vytautas Landsbergis écrira : « Il avait le don rare de concentrer des idées multiples et très variées dans très peu d'espace pictural et très peu de temps musical ».
Avec trois Préludes et deux Nocturnes, Mūza Rubackyté rend à merveille toute la saveur de cette musique, qui a pour nous un goût venu d'ailleurs. Selon une écriture très achevée, les Préludes conservent un côté romantique, tandis que les Nocturnes se souviennent de Chopin, mais avec une autre atmosphère dans les nuances et les couleurs. Le Nocturne VL 178 présente un côté plus sombre sur les basses, comme s'il y avait de l'orage dans l'air. On y retrouve le tempérament de feu de Mūza Rubackyté, dont la puissance de jeu est légendaire.
La monumentale Sonate en mi mineur en cinq mouvements « Meiner lieben Frau gewidmet » de Leopold Godowsky est dédiée à sa femme Frida Sachse. D'un langage musical post-romantique, sa durée avoisine les cinquante minutes. Le second mouvement qu'interprète Mūza Rubackyté dans ce récital, est une élégie de caractère américain qui pourrait illustrer une scène sentimentale d'un film muet de l'époque. Une élégie où la tendresse laisse percer de l'amertume lorsque le thème d'apparence simple se charge de nuages harmoniques rappelant la fragilité du bonheur. Godowsky effectuera plus tard un arrangement pour violon et piano de ce mouvement à l'intention de Fritz Kreizler.
Dans la foulée, elle a interprété une pièce de Raminta Šerkšnytė, une compositrice née en 1975, au style très coloré et expressif, que l'on peut qualifier de néo romantique. À tel point que fondue dans ce récital ininterrompu, cette Passaglia se distingue à peine des pièces qui l'entourent et on la confondrait aisément avec une œuvre de Liszt.
Retour à son cher Franz Liszt
C'est d'ailleurs à son compositeur fétiche que Mūza Rubackyté consacre la seconde partie du récital, avec de larges extraits de son recueil majeur Les Années de pèlerinage II L'Italie et Rome III. L'ayant évidemment enregistré, elle joue souvent l'intégralité du cycle en concert et s'y trouve totalement chez elle. On pourrait même dire qu'il s'agit de son ADN musical. Elle déclare être tombée amoureuse de Liszt dès l'âge de 11 ans, pour la qualité de sa musique, évidemment, mais aussi pour son idéal européen et cosmopolite.
On déguste avec une fine gourmandise la fluidité des Jeux d'eaux de la Villa d'Este avec des couleurs d'une belle subtilité et un chant incomparable. La précision du toucher est extrême dans Gondoleria et Tarentella, tandis que la poésie nous emporte dans Sposalizio.
Elle conclut ce récital époustouflant par la Sonata quasi Fantasia « Après une lecture de Dante » où elle laisse exploser toute sa fougue, soulignant les élans passionnés et la puissance de cette musique par laquelle Liszt enflammait les foules dans toute l'Europe.
Lorsque le dernier accord résonnant encore, Mūza Rubackyté lève le bras en un geste d'une grande élégance, qui lui est propre, le public reprend son souffle, comme éberlué et se réveillant d'une expérience exceptionnelle. À l'issue du récital, un mélomane confirmé, organiste amateur, qui ne l'avait jamais entendue en concert, lui a avoué avoir pleuré d'émotion face à la perfection et à la puissance de son jeu.
Crédits photographiques : © DR © Alain Huc de Vaubert
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Villefranche d’Astarac. Le Préau. 13-X-2024. De la Baltique à l’Adriatique, de Vilnius à Venise. Mikalojus Contantinas Čiurlionis (1875-1911) : 3 préludes VL 239, 294,197 ; 2 nocturnes VL 183, 178 ; Leopold Godowsky (1870-1938) : Sonate en mi mineur 2e mouvement ; Raminta Šerkšnytė (née en 1975) : Passaglia pour piano. Franz Liszt (1811-1886) : Extraits des années de pèlerinage II l’Italie et Rome III : Jeux d’eaux de la Villa d’Este ; Sposalizio ; Venezia e Napoli ; Gondoleria ; Canzone ; Tarantella ; Sonata quasi fantasia « Après la lecture de Dante ». Mūza Rubackyté, piano