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Toulouse. Théâtre du Capitole. 24-XI-2024. Bruno Mantovani (né en 1974) : Voyage d’Automne, opéra en trois actes sur un livret de Dorian Astor. Mise en scène : Marie Lambert-Le Bihan. Décors : Emanuele Sinisi. Costumes : Haria Ariemme. Lumières et vidéo : Yaron Abulafia. Avec : Pierre-Yves Pruvot, Marcel Jouhandeau ; Stephan Genz, Gerhard Heller ; Emiliano Gonzalez Toro, Ramon Fernandez ; Vincent Le Texier ; Jacques Chardonne ; Yann Beuron, Pierre Drieu La Rochelle ; Jean-Christophe Lanièce, Robert Brasillach ; William Shelton, Wolfgang Göbst ; Enguerrand De Hys, Hans Baumann ; Gabrielle Philiponet, La Songeuse. Chœur de l’Opéra national du Capitole (chef de chœur : Gabriel Bourgoin). Orchestre national du Capitole, direction musicale : Pascal Rophé
À Toulouse, le témoignage abject de ce Voyage d'Automne, bénéficie de toutes les forces en présence pour un moment historique d'opéra.
Voyage glaçant, mais essentiel pour nos oreilles contemporaines, au retour d'un antisémitisme décomplexé que les combats à l'étranger alimentent plus que jamais. Pari audacieux et périlleux pour une maison d'opéra, bien au fait que tout événement peut être aujourd'hui un terreau fertile de polémiques difficiles à brider. Une création risquée pour ses auteurs avec l'association de ce voyage de propagande d'intellectuels français sous l'Occupation avec le genre musical de l'opéra… Cette troisième œuvre opératique de Bruno Mantovani, Voyage d'Automne, créée ce mois-ci au Capitole, dans la mise en scène de Marie Lambert Le Bihan, est une véritable victoire une fois que l'on a pris conscience de tous les pièges franchis par l'ensemble des protagonistes de ce projet ; une œuvre qui sera capitale dans l'histoire de l'opéra contemporain.
Bruno Mantovani le dit lui-même : c'est l'orchestre qui a débloqué son processus compositionnel pour cet ouvrage lyrique. Grâce à cela, sous la direction de Pascal Rophé, l'Orchestre national du Capitole est devenu l'un des personnages principaux de ce fait historique retranscrit initialement dans le roman de François Dufay, portant à lui seul le lyrisme de cet opéra. Orchestre par deux post-mozartien agrémenté de percussions, d'un accordéon, d'un piano et d'une harpe, il déploie de gros effets sonores et des moments tout en transparence en faveur de l'intelligibilité du texte. Brute, voire brutale, la phalange maintient tout au long de ces deux heures de musique une tension insistante où les cordes se lamentent, le piano étouffe, les instruments à vent hurlent… L'omniprésence des percussions tel le son âpre d'un périple en chemin de fer résonne autant selon l'angle de l'immonde voyage vers le Congrès international des écrivains de Weimar auquel les cinq protagonistes de l'opéra se destinent, que celui du voyage vers l'enfer de milliers de juifs durant la période nazi. Les lumières froides de Yaron Abulafia retranscrivent à la perfection l'atmosphère déployée par la fosse et l'âpreté de la dramaturgie.
La prosodie est particulièrement travaillée, Bruno Mantovani relevant un autre défi que celui de l'écriture vocale en langue française, et notamment la complexité du « e » muet, ici accentué. Avec l'intelligibilité du texte pour maître mot, le compositeur choisit régulièrement un style vocal proche de la conversation, avec la volonté d'agrémenter cette prosodie d'une touche de réel. Il faut souligner ce choix judicieux à l'écoute du remarquable travail du librettiste qui choisit de s'appuyer sur une documentation particulièrement fournie : citations abjectes de Marcel Jouhandeau et Pierre Drieu La Rochelle (deux des écrivains qui ont fait ce voyage en Allemagne nazie) ; chant nazi glaçant du poète et compositeur hitlérien Hans Baumann… Dorian Astor, dramaturge au Théâtre du Capitole, ne s'est pas cantonné à une restitution fidèle de cette histoire tragique qui n'est pas si éloignée de notre époque, il en a fait jaillir toute la noirceur et l'horreur sans emphase ni excès, avec des pages chorales particulièrement riches. Il peut compter sur le soutien du chœur maison qui excelle une fois encore dans son incarnation d'une foule soumise.
Compositeur et librettiste s'unissent particulièrement dans les moments a cappella renforcée par une direction d'acteurs soulignant le déni des héros hébétés face à l'infamie de la mort, au moment par exemple où la réalité saute aux yeux des collaborateurs qui assistent à une fusillade. Ils s'unissent encore pour faire apparaître, tel un rêve éveillé, la seule voix féminine de cet opéra, Gabrielle Philiponet (La Songeuse), délivrant avec sa voix de soprano la poésie de Gertrude Kolmar, gazée à Auschwitz en 1943. Le lied déployé par la chanteuse, tout comme ses deux autres interventions, se révèle un véritable moment de respiration dans cette ambiance étouffante, telle une vive lumière au fond d'un long tunnel. Sur des échasses, la soprano maintient avec puissance et assise, une humanité hagarde mais vivante.
Du côté des huit hommes, c'est une distribution vocale en parfaite adéquation avec les rôles défendus qu'a construite le Théâtre du Capitole. Chacun des artistes, Pierre-Yves Pruvot (Marcel Jouhandeau), Stephan Genz (Gerhard Heller), Emiliano Gonzalez Toro (Ramon Fernandez), Vincent Le Texier (Jacques Chardonne), Yann Beuron (Pierre Drieu La Rochelle), Jean-Christophe Lanièce (Robert Brasillach), et Enguerrand De Hys (Hans Baumann), parvient à dépeindre la bassesse de ceux qu'ils incarnent avec crédibilité. Mais celui dont l'effet dramatique est le plus insoutenable, c'est William Shelton qui le porte, grâce à sa tessiture de contreténor. La force ambiguë de cette voix se mêle à la personnalité particulièrement noire qu'il incarne. Son maquillage très prononcé, la démarche boiteuse de son Wolfgang Göbst (alias Goebbels), et sa virtuosité vocale portée par une ligne de chant déstructurée, amènent le chanteur à proposer une interprétation digne de films d'horreur.
Crédits photographiques : © Mirco Magliocca
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Toulouse. Théâtre du Capitole. 24-XI-2024. Bruno Mantovani (né en 1974) : Voyage d’Automne, opéra en trois actes sur un livret de Dorian Astor. Mise en scène : Marie Lambert-Le Bihan. Décors : Emanuele Sinisi. Costumes : Haria Ariemme. Lumières et vidéo : Yaron Abulafia. Avec : Pierre-Yves Pruvot, Marcel Jouhandeau ; Stephan Genz, Gerhard Heller ; Emiliano Gonzalez Toro, Ramon Fernandez ; Vincent Le Texier ; Jacques Chardonne ; Yann Beuron, Pierre Drieu La Rochelle ; Jean-Christophe Lanièce, Robert Brasillach ; William Shelton, Wolfgang Göbst ; Enguerrand De Hys, Hans Baumann ; Gabrielle Philiponet, La Songeuse. Chœur de l’Opéra national du Capitole (chef de chœur : Gabriel Bourgoin). Orchestre national du Capitole, direction musicale : Pascal Rophé