Création de Voix d’encre à Dôle : les voix de la Franche-Comté
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Dôle. Eglise Saint-Jean. 17-XI-2024. Ola Gjeilo (né en 1978) : The Rose. Bob Chilcott (né en 1955) : Sing in a season (Follow the music- A gift so in tune- Sing in a season). Elaine Hagenberg (née en 1979) : Deep Peace. Erwann Chandon (né en 1985) : Voix d’encre, Suite chorale en cinq mouvements pour choeur mixte et orchestre sur des poèmes d’Annie Abriel. Le Tourdion, direction : Florence Grandclément.
Le dôlois Erwann Chandon a été convié par le choeur dôlois Le Tourdion à écrire une fresque chorale inspirée par l'écriture de trois écrivains dont les titres ont fait la part belle à une terre dont la devise fut jadis : Comtois rends-toi, nenni ma foi !
Prix Michel Legrand 2021, Erwann Chandon est jeune. Lorsqu'il l'était plus encore, il assista aux concerts du choeur dans lequel se produisait sa propre mère, ce Tourdion fondé en 1978 dans la ville où naquit Pasteur. Pas du tout prisonnier d'une image qu'on aurait volontiers colorée en sépia (le tourdion désigne une danse du moyen-âge), l'ensemble actuellement dirigé par Florence Grandclément s'adonne au contraire de plus en plus à la fréquentation des compositeurs-pas-encore-morts, ainsi que l'on peut s'en rendre compte, en première partie, avec l'irrésistible The Rose d'Ola Gjeilo, le tripartite Sing in a season de Bob Chilcott et le pénétrant Deep Peace d'Elaine Hagenberg. C'est la cheffe du Tourdion qui, lassée de ses vaines recherches d'une œuvre chorale d'envergure en langue française, a eu l'idée d'une commande à un enfant « du pays » d'une musique évoquant « le pays ».
Ne se contentant plus de simples aphorismes épars du type « Besançon n'est pas seulement une des plus jolies villes de France, elle abonde en gens de coeur et d'esprit » (Stendhal), ou « J'ai failli rester prise aux charmes des Monts-Boucons » (Colette), la littérature du XXème siècle s'est abondamment nourrie des charmes contrastés de la Franche-Comté. C'est la littérature, à travers les voix mêlées de Marcel Aymé, Bernard Clavel et André Besson, qui innerve Voix d'encre, suite chorale en cinq mouvements. Bien que l'on s'étonne en préambule que le trio élu se soit privé de la prestigieuse présence de Louis Pergaud, on plonge avec un constant ravissement dans les contrastes de cette partition programmatique d'une petite demi-heure dont chacun des mouvements n'excède pas les six minutes.
Paix s'abreuve à l'humanisme de Bernard Clavel, auquel les cinq années vécues à Château-Châlon inspirèrent un de ses plus beaux ouvrages (L'Espagnol). C'est la plus belle pièce de Voix d'encre, sa gracieuse et allante transition orchestrale donnant, après une apostrophe a cappella du choeur, le la de la séduction de la partition. Très consonante, la musique d'Erwann Chandon ne craint pas la dissonance, entretenant un flou manifeste dès la première apparition du mot « paix », comme si le compositeur voulait faire partager ses doutes quant à cet éternel vœu pieux des humains.
Total contraste avec Enfance, évoquant celle de Marcel Aymé, dont les fabuleux Contes du chat perché lui ont été inspirés par des jours d'été jadis passés à quelques lieues de Dôle dans la ferme grand-parentale de Villers-Robert. Des contes pour tous au sujet desquels Clavel lui-même a dit un jour avec humour qu'il préférait ne pas s'exprimer, maugréant qu'il aurait aimé pouvoir écrire ne fût-ce qu'une seule phrase à la hauteur du génial chef-d'oeuvre de son aîné. Enfance est effectivement la pièce la plus joueuse de Voix d'encre, Erwann Chandon s'y amusant à faire jouer au loup en compagnie de Delphine et Marinette les ex-enfants du Tourdion, la célèbre rengaine « Loup y es-tu ? Quoi fais-tu? » d'Aymé venant interrompre avec malice le portrait nostalgique que fait la poétesse Annie Gabriel de ce qu'on qualifie généralement de «verts paradis ».
Chanteuse du Tourdion, mais aussi écrivaine, humble poétesse avouant n'être « ni Baudelaire ni Rimbaud », Annie Gabriel, librettiste de Voix d'encre, met ensuite ses vers au service de Labeur et Nature, des thématiques communes aux trois auteurs. Commencé dans un murmure, Labeur (qui sera repris en bis) égrène, façon Pacific 231, un galvanisant crescendo de contraintes venant heureusement buter sur le mot « humanité » : la messe est dite d'un monde qui n'a toujours pas banni l'ordinaire de la souffrance au travail. Nouveau contraste avec Nature, qui s'autorise un survol de quelques merveilles de la région (le Lison, la Vouivre, le vin d'Arbois,…) et, partant, un beau romantisme au moyen de cordes échevelées du plus bel effet. C'est André Besson qui clôt Voix d'encre avec le cosmique Infini, introduit par le pacifisme d'une flûte qui n'aurait pas déplu à Honegger.
Habilement écrite pour dix violons, trois altos, deux violoncelles, une contrebasse, une flûte, une clarinette, un cor, un piano et une harpe extrêmement sollicitée (peut-être en souvenir de certain Requiem de Fauré qu'Erwann Chandon entendit enfant in loco), assurément cinématographique, Voix d'encre témoigne de l'indéniable savoir-faire dont Erwann Chandon a déjà fait preuve dans les salles obscures (notamment avec Stéphane Collardey, autre comtois d'origine), à la télévision, et même à la Fête des lumières lyonnaise.
Voix d'encre a été écrit pour les moyens spécifiques du Tourdion mais on devine déjà qu'il saura faire, même au-delà des limites de la Franche-Comté, le bonheur d'autres choeurs amateurs. En attendant, on ne peut que constater que, quand la ferveur amatrice rassemble aussi spectaculairement (malgré quatre concerts prévus, la vaste Eglise Saint-Jean de Dôle a littéralement été prise d'assaut), c'est forcément la musique et l'humain qui triomphent. Comtois rends-toi, que oui, ma foi !
Crédits photographiques : © Baptiste Grandclément
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