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La Falaise des lendemains, un opéra puisé aux sources de la Bretagne

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Rennes. Opéra. 10-XI-2024. Jean-Marie Machado (né en 1961) : La Falaise des lendemains, Diskan jazz opéra en trois époques sur un livret de Jean-Jacques Fdida en français, anglais, breton. Mise en scène : Jean Lacornerie. Scénographie : Lisa Navarro. Costumes : Marion Benagès. Lumières : Kevin Briard. Chorégraphe : Raphaël Cotin. Assistant à la mise en scène : Renaud Boutin. Cheffe de chant : Hélène Peyrat. Traduction breton : Loïc Jadé et Aziliz Kerouanton. Avec : Karine Sérafin, Alys ; Gilles Bugeaud, Don ; Florian Bisbrouck, Dragon ; Nolwenn Korbell, Maureen ; Florent Baffi, Malo ; Cécile Achille, Yuna et la nurse ; Yete Queiroz, Lisbeth ; Vincent Heden, Chris ; Orchestre Danzas, direction : Jean-Charles Richard

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Ce premier opéra de , en création à Rennes, réserve de belles émotions sonores au carrefour du jazz, de la musique traditionnelle, de la comédie musicale et du drame lyrique. La musique et la vocalité y touchent plus que l'histoire et la mise en scène.

Les dix-sept musiciens de l' sont placés en arc-de-cercle sur scène. , lui-même au piano, exploite avec brio cette palette instrumentale variée tout au long du spectacle. L'orchestre se reconfigure sous la conduite assurée de , du tutti au solo, les associations timbrales se tissent à l'infini et chaque pupitre, chaque soliste, trouve son moment de gloire au fil des tableaux qui se succèdent : un sextuor à cordes, centré sur la suavité des graves et des médiums (trois altos, deux violoncelles et une contrebasse), la flûte, le tuba (un superbe solo de François Thuillier précède puis accompagne la rencontre amoureuse des personnages principaux), le saxhorn, la guitare, le piano… D'un bout à l'autre de l'opéra, Machado prouve ses talents de coloriste, depuis l'ouverture mystérieuse et ondulante aux sons irisés, rappelant les somptueux tableaux marins de Benjamin Britten dans Peter Grimes, jusqu'à la conclusion au piano solo, lumineuse.

Par les déploiements orchestraux et par le métissage des sources d'inspiration qui se tuilent avec naturel (jazz, musique traditionnelle bretonne, rock, musique savante), le compositeur parvient à évoquer des ambiances aussi diversifiées que l'agitation de la grand' place de Roscoff, le vent qui souffle sur la falaise, l'arrivée de la guerre ou la lourde atmosphère des chambres des hôpitaux respectifs d'un patient et d'une patiente aux corps meurtris. Machado revendique un « diskan jazz opéra » dans lequel les styles se chevauchent à la manière des voix dans les chants traditionnels bretons (kan ah diskan). On ressent par ce brassage cosmopolite un souffle de comédie musicale : c'est une réussite.

Ces sonorités sont au service d'une vocalité fondée aussi sur une grande diversité de moyens, depuis la langue parlée jusqu'au chant lyrique (déclamation, parlé-chanté). La distribution vocale est à l'image de ce large panel expressif, chanteurs et chanteuses nous viennent tant du répertoire de l'opérette que de la comédie musicale, de la chanson bretonne ou de l'opéra. Certaines voix nous convainquent particulièrement au fil de ces déclinaisons, en premier lieu le velouté et l'assurance du ténor (Chris, le montreur de marionnette). On se laisse emporter aussi par la profondeur lyrique de (Lisbeth, son amoureuse). Deux personnages secondaires nous séduisent encore, le baryton (Don, partenaire de Chris) et la soprano , dont la gouaille fonctionne bien avec son personnage de prostituée, Maureen, amoureuse de son proxénète, Dragon, et jalouse de Lisbeth. Le passage des langues se fait avec naturel, français, breton, anglais. Le mélodiste se révèle tout particulièrement sur les duos d'amour.

C'est le livret et la mise en scène du spectacle qui sont moins convaincantes. Certes, la présence de l'orchestre sur scène, qui prend une place considérable sur le plateau, sous-entend un théâtre où l'illusion et la projection ne sont pas les leviers premiers : le spectateur sait par avance qu'il va devoir fournir un effort pour se plonger dans le récit. Les acteurs nous racontent une histoire plus qu'ils ne l'incarnent, dans l'esprit d'un conte, un genre dont le librettiste, , est un spécialiste aguerri.

Tout se passe comme une immense mise en abîme, dans le prolongement de celle du spectacle de marionnettes au début de l'opéra, nous sommes comme placés devant les tréteaux sommaires d'une troupe de foire : on en voit les fils, les décors, les artifices, les ustensiles. Le metteur en scène nous laisse interpréter, à l'image des échafaudages bruts que le public doit habiller d'imaginaire. Deux de ses récentes mises en scène d'opéra, vues également à Rennes (La Chauve-souris de Johann Strauss II et La Sérénade de Sophie Gail), proposaient ce même pas de côté dont le principe fonctionnait très bien. C'est plus difficile ici : on peine à se laisser prendre par le récit et son commentaire continu. Lors des changements de tableaux, si certaines visions du metteur en scène emportent l'adhésion (le passage de la grand' place aux hôpitaux de Guernesey et de Roscoff, le début de la Grande guerre), d'autres nous laissent dubitatifs (le retour à la paix, le dernier spectacle de marionnettes).

Jalousie, patriarcat, masculinité toxique et violence sont au cœur de ce conte réaliste. A Roscoff, Dragon, un docker puissant, proxénète et trafiquant, refuse l'amour que Lisbeth noue pour Chris, un montreur de marionnettes anglais. Il détruit physiquement ce dernier, et elle se jette dans le vide pour éviter de se faire abuser, devenant paraplégique. La violence du récit devrait révolter, mais on peine à éprouver de la compassion et de l'empathie pour ces héros qui ne s'incarnent pas vraiment et dans lesquels on ne se projette jamais. L'émotion narrative ne prend pas. Le livret s'attarde trop sur certains détails et rate le principal, comme la naissance de l'amour entre Chris et Lisbeth, tellement bref qu'il ne nous touche pas. Les dialogues peu naturels n'aident pas à la théâtralisation des échanges. C'est là peut-être la difficulté de passer des tournures littéraires d'un conte, dont la force passe par le récit, aux impératifs dramatiques d'une œuvre scénique.

Restent des scènes splendides, belles trouvailles esthétiques, comme, au tout début du spectacle, la visite de la tombe de Chris, cinquante ans plus tard, à la lumière d'une lampe-torche, sur fond de légende bretonne, ou encore la grande robe suspendue dans les airs à la manière d'une marionnette, au moment où Chris retrouve la mémoire sur ce qui lui est arrivé. Ces images qui restent en tête au sortir de l'opéra.

Crédit photographiques © Laurent Guizard

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Rennes. Opéra. 10-XI-2024. Jean-Marie Machado (né en 1961) : La Falaise des lendemains, Diskan jazz opéra en trois époques sur un livret de Jean-Jacques Fdida en français, anglais, breton. Mise en scène : Jean Lacornerie. Scénographie : Lisa Navarro. Costumes : Marion Benagès. Lumières : Kevin Briard. Chorégraphe : Raphaël Cotin. Assistant à la mise en scène : Renaud Boutin. Cheffe de chant : Hélène Peyrat. Traduction breton : Loïc Jadé et Aziliz Kerouanton. Avec : Karine Sérafin, Alys ; Gilles Bugeaud, Don ; Florian Bisbrouck, Dragon ; Nolwenn Korbell, Maureen ; Florent Baffi, Malo ; Cécile Achille, Yuna et la nurse ; Yete Queiroz, Lisbeth ; Vincent Heden, Chris ; Orchestre Danzas, direction : Jean-Charles Richard

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