A Strasbourg, Stéphane Degout à son meilleur invite le ténor Glen Cuninngham
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Strasbourg, Opéra National du Rhin, 7-XI-2024. Robert Schumann (1810-1856) : Liederkreis op.24, Myrthen op.24 ; Claude Debussy (1862-1918) : Fêtes Galantes Ii et II ; L’Horizon Chimérique, Nell, Le secret, Chanson d’amour, Notre amour ; Johannes Brahms (1833-1897) : Vier Ernste Gesänge op.121. Stéphane Degout, baryton, avec Alain Planès, piano, Glenn Cunningham, ténor, avec Anna Tilbrook, piano.
Parrainer un jeune collègue en lui ouvrant une partie du programme du Liederabend qui lui était réservé, c'est sans doute une intention louable. Mais si Stéphane Degout use gentiment de sa célébrité pour « booster » un ami qu'il nous présente avec chaleur, il lui met aussi la barre très haut.
A Strasbourg, on connait déjà le ténor écossais Glen Cunningham. Il a fait partie de la troupe de l'Opéra Studio, il a joué un petit rôle dans le phénoménal Guercoeur de la saison dernière, et surtout, il a brillamment sauvé des représentations du Candide de Bernstein en remplaçant au pied levé un collègue défaillant dans le rôle-titre. C'est donc avec plaisir qu'on le retrouve ce soir, même si sa participation au récital de Stéphane Degout est une surprise. Dans un programme généreux dont il assure une bonne moitié, il affronte Schumann, Debussy et Fauré. Les Myrthen op. 24 ne présentent ni difficulté, ni intérêt notable. La voix est belle, surtout dans le médium, et son allemand est passable. Le piano d'Anna Tilbrook est lui aussi très exact, mais tout cela ne dépasse pas le stade de l'honnêteté et l'ennui s'installe vite, malgré une berceuse des Highlands bien élégiaque. Tenir une ligne, jouer des nuances, cela est bel et bien, mais la voix reste blanche, monochrome et la prise en charge de l'émotion, de la poésie ne se produit pas. Le Livre I des Fêtes Galantes de Debussy n'arrange rien: si le français est intelligible, il n'est pas habité, et les syllabes sur les vocalises de Fantoches sont hachées. Les Fauré apportent une lueur avec un beau phrasé dans Secret, mais les tubes que sont Chanson d'amour et Notre amour retombent dans le seulement correct et l'ordinaire. Avec le lied, la mélodie française, chaque mot, chaque nuance, chaque inflexion est exposée à nu, et chanter en phases alternées avec Stéphane Degout, c'est s'offrir de façon répétitive à la comparaison avec un grand maître de la mélodie.
Le baryton ouvre la soirée avec les Liederkreis op.24. La voix est comme on la connait, sombre, souple, moirée, parfaitement maîtrisée et son allemand est impeccable. L'interprétation est magnifique : sobre, pleine de douleur rentrée, sans aucun pathos. Le cycle culmine dans un Berg'und Burgen d'anthologie, où Alain Planès excelle à créer le paysage ondulant et troublant du Rhin, et où Stéphane Degout nous entraine peu à peu dans les eaux noires du grand fleuve. Dans le Livre II des Fêtes Galantes de Debussy, les deux magiciens donnent un Colloque Sentimental magnifique d'impesanteur et de désespoir. Le contraste des couleurs musicales sur les mots « bleu du ciel » et « ciel noir » est une pure merveille, et il y en a beaucoup d'autres. Admirable toujours est l'Horizon Chimérique, avec ses grands déploiements d'eau marine, d'air, de lumière, de douleur intériorisée et de dignité. Le sommet de la soirée est certainement atteint avec les Quatre chants sérieux de Brahms, sorte de méditation biblique sur le sens de la mort et de la vie, écrite dans un contexte de deuil. La noirceur résignée mais sans espoir des versets de l'Ecclésiaste, du Siracide trouve avec Stéphane Degout un hérault d'une stature prophétique et d'une dignité exceptionnelles. La qualité du chant et de l'interprétation semble se nourrir du sens même des textes. Un moment suprême.
Le ténor et le baryton cèdent sans résistance à la tradition des bis, chacun avec son pianiste attitré. Glen Cunningham offre une chanson traditionnelle écossaise, qu'il interprète avec beaucoup de goût. Comme ils voulaient chanter ensemble un duo, les deux amis n'ont pas trouvé mieux que de transposer un duo de Fauré pour deux sopranos, Puisqu'ici bas toute âme. On se hâtera d'oublier cet essai malheureux. Pour finir cette soirée, Stéphane Degout et Alain Planès interprètent encore un superbe Berceaux de Fauré, qui semble avoir été écrit pour eux.
Crédits photographiques : Stéphane Degout © Jean-Baptiste Millot ; Glen Cunningham © Klara Beck
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Strasbourg, Opéra National du Rhin, 7-XI-2024. Robert Schumann (1810-1856) : Liederkreis op.24, Myrthen op.24 ; Claude Debussy (1862-1918) : Fêtes Galantes Ii et II ; L’Horizon Chimérique, Nell, Le secret, Chanson d’amour, Notre amour ; Johannes Brahms (1833-1897) : Vier Ernste Gesänge op.121. Stéphane Degout, baryton, avec Alain Planès, piano, Glenn Cunningham, ténor, avec Anna Tilbrook, piano.
Cette critique est étonnamment sévère et injuste, d’autant plus qu’elle est l’une des rares parues sur ce récital. Glenn a démontré un réel talent et un investissement remarquable dans sa prestation, ce que le public a su apprécier avec enthousiasme. Pour beaucoup d’entre nous, il a même surpassé le baryton plus âgé, pourtant encensé ici. Il est dommage de minimiser le travail d’un jeune chanteur prometteur en ne soulignant pas davantage ses qualités artistiques. Une critique plus équilibrée aurait mieux reflété la réalité de cette soirée (…).