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Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonies n° 4 op. 43, n° 5 op. 47 et n° 6 op. 54. Orchestre philharmonique d’Oslo, Klaus Mäkelä, direction. 2 CD Decca. Enregistrés entre janvier 2022 et mai 2023 au Konserthus d’Oslo en Norvège. Notice de présentation en anglais, français et allemand. Durée totale : 2h25
DeccaChicago, Amsterdam, Paris et Oslo… A 28 ans, Klaus Mäkelä cumule les postes les plus enviés de la scène internationale. Plus tôt encore que ses illustres aînés, il aborde des séries d'intégrales avec un premier jalon convainquant consacré aux symphonies de Chostakovitch.
Certains chroniqueurs l'affirment : il est impossible de louper une symphonie de Chostakovitch ! En effet, il suffirait de battre correctement et tout est dit… Pour autant, la discographie pléthorique des quinze opus révèle, a contrario, un nombre restreint de versions marquantes, y compris pour l'incontournable Symphonie n° 5. Dans diverses interviews, Mäkelä a confié sa fascination pour la musique de Chostakovitch. Dans le livret, il rend hommage au travail réalisé par Mariss Jansons quand il fut en poste à Oslo et qu'il fit découvrir l'œuvre du compositeur russe aux musiciens norvégiens.
La Symphonie n° 4 est une partition dont les audaces d'écriture sont encore sous-estimées. Une œuvre révolutionnaire dans laquelle Chostakovitch porte le flambeau de l'anti-romantisme et du motorisme des années trente, ne ménageant pas l'emploi de diverses techniques dont l'usage de clusters. Mäkelä se délecte de la théâtralisation des effets sur les masses sonores, d'une forme d'expressionnisme pressenti par l'orchestration mahlérienne. Paradoxalement, la dureté des timbres du Philharmonique d'Oslo et une prise de son assez froide renforcent la dimension filmique 30de l'interprétation. Très habile dans l'organisation des idées musicales, évitant toute baisse de tension, le chef joue avec les couleurs, une immense gamme de timbres et d'intensités. Il compose avec les élans lyriques, ceux d'une valse esquissées et, par contraste, l'agressivité des rythmes de marche impeccables. Mäkelä saisit la dimension héroïque de la partition qu'il relie à juste titre aux symphonies n° 2, 5 et 6 de Mahler. Mais comme chez la plupart des interprètes virtuoses, il manque parfois un élément qui nous paraît essentiel dans cette musique : l'expression de la douleur et cela malgré des pupitres de bois et cuivres aussi violemment engagés que subtils notamment dans le finale. Faut-il ressentir le poids de celle-ci pour dépasser le simple gigantisme de l'œuvre ? Haitink / Philharmonique de Londres, Gergiev / Orchestre du Mariinsky, Kondrachine / Philharmonique de Moscou, Previn / Symphonique de Chicago, Rojdestvensky / Ministère de la Culture d'URSS et Rostropovitch / Symphonique de Londres l'ont prouvé.
A la tête du Philharmonique d'Oslo, Mariss Jansons grava une très belle version de la Symphonie n° 5 (supérieure à celles captées à Vienne et Munich). Dans cette musique, le rapprochement avec les univers de Beethoven et de Mahler se justifient dans le développement de la forme soumise aux expressions : mélange de grandeur et d'ironie, d'abattement et de marches militaires… Mäkelä célèbre bien davantage la beauté des phrases que la dimension épique et la violence de la société soviétique mise en scène. La prise de son assez cotonneuse dans les cordes de l'orchestre amoindrit les tensions quand les vents (cuivres légèrement surexposés) poursuivent un remarquable travail d'illustration. Chaque épisode est impeccablement restitué à l'exemple de l'Allegretto à l'ironie calculée à défaut d'être persiflante. Le vibrato des cordes du Largo et en même temps, la délicatesse du phrasé séduisent. Sans pathos et dans un lyrisme contenu, Mäkelä réussit l'un des plus beaux mouvements lents des ces dernières années. Quelques coups de projecteur un peu excessifs (harpes, célesta) ne minorent pas le plaisir d'entendre un engagement aussi puissant et maîtrisé dans les moindres dynamiques. Le finale force, à juste titre, le trait de l'ironie triomphante. La vitalité du rythme tient autant de la fête populaire que de l'acte de contrition. Lecture directe et sans état d'âme… Mäkelä joue à pleine ouverture des potentiomètres. Un soupçon d'amertume (Bernstein, Ancerl, Jansons et, évidemment, Mravinski) eut été bienvenu.
“Oubliée” pendant presque trois décennies après sa création, la Symphonie n° 6 ne fut que rarement diffusée en URSS avant la gravure officielle réalisée en 1967 par Kirill Kondrachine à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Moscou. Créée le 5 novembre 1939 sous la baguette d'Evgueni Mravinski, l'œuvre remit en cause l'aura retrouvée et chèrement reconquise par le compositeur grâce à la Symphonie n° 5. Imaginons un instant l'effet produit par les couleurs tragiques pour ne pas dire pessimistes irriguant un long premier mouvement, suivi de deux parties rapides et ironiques… Venus entendre une “Ode à Lénine” – imprudemment, le compositeur avait annoncé la création d'une partition grandiose avec chœurs – les officiels découvrirent une symphonie “sans tête”, rendant un hommage indirect aux harmonies de Sibelius et de Mahler. Le format miniaturisé et déséquilibré de la nouvelle partition fut sévèrement jugé.
Dans son premier mouvement, la version de Mäkelä dure trois minutes de plus que dans la gravure de Jansons avec Oslo (1991). Il appuie sur les harmonies instables, laissant les longs soli désincarnés créer un espace de désolation. L'influence mahlérienne (premier mouvement de la Symphonie n° 7 du Viennois) est à nouveau poussée à son maximum. Les courbes sont creusées avec une perception longue des phrases, une respiration dense, un legato sans faille. L'Allegro en lieu et place d'un hypothétique mouvement lent se veut exubérant. Son agressivité caustique portée de la flûte solo à la clarinette-basse et qui ne divertit guère les censeurs de l'époque, brille magnifiquement. L'orchestre de Mäkelä surpasse clairement sa propre version avec Jansons. Davantage grimace que pastiche, le finale évoque l'univers rossinien transposé à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Les cordes graves auraient pu être encore plus agressives afin de restituer un monde sonore peuplé de fantômes effrayants. La pulsation un peu raide rend plus intéressantes les approches plus souples sinon chorégraphiques des Bernstein, Gergiev et Haitink.
Le bilan final de ces trois écoutes donne envie d'entendre la suite d'un cycle qui a débuté sous les meilleurs auspices.
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Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonies n° 4 op. 43, n° 5 op. 47 et n° 6 op. 54. Orchestre philharmonique d’Oslo, Klaus Mäkelä, direction. 2 CD Decca. Enregistrés entre janvier 2022 et mai 2023 au Konserthus d’Oslo en Norvège. Notice de présentation en anglais, français et allemand. Durée totale : 2h25
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