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Seasons à La Cité Bleue de Genève : Ultra Moderne Solitude

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Genève. La Cité Bleue. 25-X-2024. Seasons, une création de cinéma-théâtre musical. Musiques : Panambì Yovhé, de Ramón Ayala ; Vuelvo al Sur, Astor Piazzolla ; Good Night My Angel, Billy Joël ; In my life, The Beatles ; The winner takes it all, ABBA ; Je crois entendre, Georges Bizet ; Tarantella del Gargano, Anonyme ; Dido’s Lament, Henry Purcell ; Love in the brain, Rihanna ; Che si puó fare, Barbara Strozzi ; Let’s get it started, Black Eyed Peas ; En lo alto del cerro de Palomares, Estrella Morente ; Lascia ch’io pianga, Georg Friedrich Haendel. Mise en scène et texte: Fabrice Murgia. Vidéo et scénographie : Giacinto Caponio. Lumières : Emily Brassier. Son : Sébastien Courtoy. Avec : Mariana Flores, soprano (Mariana) ; Arezki Aït-Hamou, chanteur (Arezki) ; Russell Kadima Tk, chanteur (TK). Piano : Jacopo Raffaele. Cappella Mediterranea, direction et arrangements : Quito Gato

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Au printemps 2024, La Cité Bleue a ouvert ses portes en fanfare avec celles de L'Orfeo donné par et sa . Pourtant c'était Seasons, mis en scène par , qui aurait dû faire l'ouverture de ce nouvel écrin musical avec lequel il va falloir compter.


Leonardo García Alarcón et Fabrice Murgia se sont rencontrés en 2020, en plein confinement, à Dijon où, splendide point final de l'ère Joyeux, la résurrection du Palais enchanté de Luigi Rossi (Il Palazzo Incantato) marquait aussi les débuts à l'opéra de l'artiste, jusque là acteur, auteur, metteur en scène de théâtre, réalisateur et fondateur de la Compagnie Artara. Toutes casquettes que l'on retrouve dans Seasons, dont la carrière aura été elle aussi victime de la pandémie puisque sa création a été repoussée jusqu'à ce jour de l'automne 2024.

Basé sur une idée musicale originale du chef de (et directeur artistique de La Cité Bleue), baptisé « une création de cinéma-théâtre musical », Seasons confirme le style Murgia, attaché à enfoncer le clou, déjà bien martelé au fil des quatre heures du Palazzo Incantato, d'une certaine Ultra Moderne Solitude. La pitoyable année 2020 a infiltré le destin des deux spectacles, l'alibi pandémique ne servant que de symptôme émergé d'un état des lieux de l'humanité, où le collectif a progressivement marqué le pas devant l'individualisme, l'ultra-connexion à laquelle les dernières décennies ont conduit, au lieu de relier les hommes et les femmes de la planète, n'ayant fait que les contraindre au repli sur soi, et même à l'enfermement.

Excentrée, la Cité Bleue jouxte la Cité Universitaire de Genève. C'est en contemplant les fenêtres d'icelle, après celles de tant d'autres, que , fasciné comme le Tati de Playtime par les films individuels qui s'y tournent minute après minute, a décidé de tourner le sien autour de trois solitudes : Areski, livreur à vélo en réinsertion ; TK, addict au métavers ; Mariana, fraîchement libérée d'une relation toxique. Seasons apparaît comme le négatif du Bigre de Pierre Guillois, qui faisait rire avec les quotidiens de trois appartements conjoints : , beaucoup plus grave, orchestre plutôt la fin d'un monde.

Sur un plateau aux dimensions délimitées par un fil de lumière, l'action scénique, les pieds dans la cendre (celle, on l'apprendra en fin de parcours, d'un immeuble effondré), dialogue avec l'action cinématographique diffractée sur trois écrans, chacun d'eux très esthétiquement cerné d'un liséré éblouissant la rétine à l'orée et à la conclusion de chaque séquence du film. Le dispositif n'est pas sans élégance, qui fait usage de sphères orangées aux allures de micros sur perches et même de micro-planètes. Les chanteurs au plateau sont aussi les acteurs du film en surplomb : le procédé, des plus troublants (comme dans les versions de concert de La Belle et la Bête de Philip Glass), donne l'impression que le film en 2D projeté en surplomb prend du relief avec les passages de relais entre la chair et l'os des chanteurs et celle de leurs doubles de celluloïd filmés en amont selon un scénario qui les aura fait voyager dans Genève et sa fameuse Cité Universitaire… Comme chez Kieslowski, comme chez Demy, les trois solitudes seront parfois amenées à se croiser, suivies de près par l'empathie du spectateur, auquel Murgia laisse une place assez conséquente. Presque trop, parfois : c'est la note d'intention qui nous apprend par exemple après coup que chacun des personnages, comme dans le film Perfect Sense de David Mackenzie, souffre, très belle idée, de la perte d'un sens : on avait bien remarqué que l'ouïe posait quelques problèmes à Arezki, la parole à Mariana mais on cherche encore les traces de la perte de la vue pour TK.


De fait le seul lien à même de réunir ces trois solitudes est bien sûr… la musique, en fer de lance de l'Art en général, dernier rempart contre la technologie et les chapelles par trop ardentes. Adaptée aux personnalités des chanteurs, et finement sonorisée, la bande-son de Seasons réunit Piazzolla, les Beatles, ABBA, Bizet, Purcell, Rihanna, , Haendel… Mariana vient de , c'est . Areski et TK viennent de The Voice. Contrairement à ce à quoi l'on pourrait s'attendre, chacun ne va pas, comme trop souvent dans la vraie vie, rester dans sa spécificité. Comme à travers les murs d'un immeuble, une musique voisine peut s'adapter à une histoire qui n'est pas celle de son auditeur originel, la douzaine de morceaux élus navigue d'un gosier à l'autre, balisant Seasons de moments déchaînés (la soprano fétiche de Cappella Mediterranea ne « donnant pas sa robe au chat » lorsqu'il s'agit de faire la fête dans l'Orfeo Bar Karaoké !) mais surtout de trois sommets émotionnels (ce que sont surtout ces Seasons conçues par Murgia) vraiment mémorables : comme si elle jouait là sa vie, sopranise le Je crois entendre de Nadir des Pêcheurs de perles en duo chansigné avec le formidable apport de Christian Gremaud, avant de rappeler avec génie celui du Che si può fare de en équivalent baroque du Qu'est-ce que j'peux faire, j'sais pas quoi faire de Pierrot le fou ; Areski fait longuement frissonner l'assistance en déviant le cours lyrique de la Mort de Didon classiquement entamée par Mariana, vers une version déchirante en kabyle, due à la plume de son propre  père qui fut compagnon de route d'Idir ; TK referme Seasons demi-nu avec un Lascia ch'io piango de Haendel conclu avec des aigus s'évanouissant dans le silence qu'on était loin d'attendre dans la bouche de ce spécialiste de pop, de funk, de disco et d'afrobeat…

Trois solitudes et trois sensibilités musicales qui s'ébattent sur le superbe tapis tissé par les orchestrations de (un des fondateurs de Cappella Mediterranea), par le quatuor (Cappella Mediterranea, encore) et par le piano de , par ailleurs maître de soirée et récitant (en italien) dont les interventions sont tout sauf anodines, à l'image de la dernière : « À l'apogée de la lumière, la nuit hésite, mais toujours son murmure l'emporte, même dans les histoires sans histoire où les musiques se rejouent encore et encore. »

D'une durée d'1h35, Seasons, idéal étendard du projet artistique que entend faire vivre in loco, monte en puissance jusqu'à un finale plein de suspense. En attendant de retrouver ce spectacle ailleurs, et en s'épanchant sur les quelques sièges laissés libres en ce soir de première, on fait le voeu que son imparable prégnance saura susciter, notamment chez les pensionnaires de la Cité Universitaire, l'envie de pousser les portes du Palais désenchanté de Fabrice Murgia, puisque les leurs, qui donnent accès aux chambres dans lesquelles nombre de scènes du film ont été tournées, jouxtent littéralement celles de La Cité Bleue !

Crédits photographiques : © François de Maleissye-Cappella Mediterranea/Giulia Charbit-La Cité Bleue

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