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Héroïne à Nancy : les trois âges de la vie d’une femme

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Nancy. Opéra national de Lorraine. 8-X-2024.
Paul Hindemith (1895-1963) : Sancta Susanna, opéra en un acte sur un livret d’August Stramm. Avec : Anaïk Morel, Sancta Susanna ; Rosie Aldridge, Klementia ; Apolline Raï-Westphal, une Servante ; Yannis François, un Valet ; Séverine Maquaire, une vieille Nonne.
Béla Bartók (1881-1945) : A Kékszakállú Herceg Vára (Le Château de Barbe-Bleue), opéra en un acte sur un livret de Béla Balázs, d’après le conte de Charles Perrault. Avec : Joshua Bloom, Barbe-Bleue ; Rosie Aldridge, Judith.
Arthur Honegger (1892-1955) : La Danse des Morts, oratorio sur un livret de Paul Claudel, d’après des textes bibliques. Avec : Anaïk Morel, alto ; Apolline Raï-Westphal, soprano ; Yannis François, baryton ; Claire Wauthion, Catherine.
Mise en scène : Anthony Almeida. Scénographie et costumes : Basia Bińkowska. Lumières : Franck Evin. Coaching linguistique : Borbála Szuromi. Chœur de l’Opéra national de Lorraine (Chef de chœur : Guillaume Fauchère), Orchestre de l’Opéra national de Lorraine, direction : Sora Elisabeth Lee

L'Opéra national de Lorraine ouvre sa saison avec un audacieux triptyque. Trois œuvres courtes, sombres et rares du XXe siècle, trois manières d'explorer la transgression de nos limites. Tandis qu' à la mise en scène tente d'unifier le propos, la direction flamboyante de porte la soirée à l'incandescence.

Des trois ouvrages présentés, Le Château de Barbe-Bleue (créé en 1918) de est encore parcimonieusement représenté, et La Danse des morts d' est le plus rare. La soirée commence cependant par Sancta Susanna (1922) de , histoire sulfureuse d'une religieuse qui se dénude pour enlacer le crucifix et finit emmurée comme celle qui l'a précédée quarante ans auparavant ; et œuvre qu'on a pu déjà voir couplée avec Le château de Barbe-Bleue à Montpellier en 2009, ou avec Cavalleria Rusticana en 2016. Le spectacle se conclut par l'oratorio La Danse des Morts (1940) d'Honegger inspiré par les danses macabres médiévales, où le texte non dénué d'humour de Paul Claudel mêle la Bible et les chansons populaires.

Pour Matthieu Dussouillez, directeur général de l'Opéra national de Lorraine, ces trois gestes transgressifs dépassent nos limitations humaines, qu'il s'agisse de la foi, de l'amour ou de la mort. Le metteur en scène en revanche y voit les étapes clés de la vie d'une femme : naissance (à la sensualité), union à l'âme sœur, vieillesse et mort. Dans le décor unique de Basia Bińkowska, sorte de boîte parallélépipédique en perspective qui s'ouvrira spectaculairement pour le dernier volet, une fillette introduit tout d'abord le spectacle. Sancta Susanna se met à nu simplement en dévoilant son abondante et lascive chevelure rousse. Barbe-Bleue et Judith se cherchent sans parvenir à s'unir dans les rotations du décor (trop systématiques et bruyantes cependant) et sous les éclairages tranchants et expressionnistes de Franck Evin. Enfin, parvenue à l'heure de la vieillesse, c'est la comédienne qui est la narratrice de l'oratorio d'Honegger. L'usage des mêmes chanteurs pour différents rôles et leur retour au tableau final assurent la cohérence de ce fil conducteur, et la permanente variation des perspectives stimule l'imagination. Avec des œuvres aussi austères, c'est une franche réussite.

Après avoir été une sœur Klementia tour à tour maternelle et psychorigide chez Hindemith, assume chez Bartók toutes les facettes du rôle de Judith : amour sincère, curiosité et détermination, inquiétude puis effroi. La voix est large, puissante, intense, avec des registres légèrement disjoints. Face à elle, est un Barbe-Bleue au timbre de baryton somptueux, rond et chaud dans le médium, noir et menaçant dans le grave et d'une homogénéité parfaite. Il parvient de plus à mettre en évidence les fêlures, les doutes et même la détresse du personnage, le rendant presque sympathique. Avant de tenir la partie d'alto dans La Danse des Morts, est une Sancta Susanna exaltée et vibrante. Après une brève apparition en servante et valet dans Sancta Susanna, et reviennent de manière plus conséquente pour les parties de soprano et baryton dans l'oratorio d'Honegger, elle avec ses aigus tout de lumière et de pureté, lui doté d'un timbre séduisant et clair à la diction impeccable. Issue du chœur, Séverine Maquaire marque sa courte apparition dans Sancta Susanna.

La réussite de la soirée ne serait pas complète sans la direction éblouissante de , remarquée déjà à Strasbourg pour Les Oiseaux de Braunfels. D'un geste précis et ferme, toujours attentive et en éveil, elle assure à la fois cohésion parfaite et luxuriance orchestrale. Sous sa baguette, l' sonne magnifiquement, dans les irisations subtiles des timbres instrumentaux (la fameuse Klangfarbenmelodie) comme dans la vigoureuse intensité des climax (le geste blasphématoire de Sancta Susanna, l'ouverture de la cinquième porte dans Le Château de Barbe-Bleue). Agrémenté de chorégraphies pour l'oratorio d'Honegger, le parvient à la même réussite.

Ce spectacle ambitieux, exigeant mais pleinement abouti, emporte l'adhésion.

Crédits photographiques : (Sancta Susanna) / (Judith) et (Barbe-Bleue) / (Narratrice) et le Choeur de l'Opéra national de Lorraine © Jean-Louis Fernandez

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Nancy. Opéra national de Lorraine. 8-X-2024.
Paul Hindemith (1895-1963) : Sancta Susanna, opéra en un acte sur un livret d’August Stramm. Avec : Anaïk Morel, Sancta Susanna ; Rosie Aldridge, Klementia ; Apolline Raï-Westphal, une Servante ; Yannis François, un Valet ; Séverine Maquaire, une vieille Nonne.
Béla Bartók (1881-1945) : A Kékszakállú Herceg Vára (Le Château de Barbe-Bleue), opéra en un acte sur un livret de Béla Balázs, d’après le conte de Charles Perrault. Avec : Joshua Bloom, Barbe-Bleue ; Rosie Aldridge, Judith.
Arthur Honegger (1892-1955) : La Danse des Morts, oratorio sur un livret de Paul Claudel, d’après des textes bibliques. Avec : Anaïk Morel, alto ; Apolline Raï-Westphal, soprano ; Yannis François, baryton ; Claire Wauthion, Catherine.
Mise en scène : Anthony Almeida. Scénographie et costumes : Basia Bińkowska. Lumières : Franck Evin. Coaching linguistique : Borbála Szuromi. Chœur de l’Opéra national de Lorraine (Chef de chœur : Guillaume Fauchère), Orchestre de l’Opéra national de Lorraine, direction : Sora Elisabeth Lee

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