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Quelques aspects des 55e Nuits Musicales en Armagnac

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Terraube. Église Notre-Dame de la Nativité. 2-VIII -2024. Folies baroques. Œuvres de Tarquinio Merula (v. 1595-1665) ; Giovanni Picchi (1571-1643) ; Henry Purcell (1659-1695) : John Eccles (1668-1735) ; Jean-Baptiste Lully (1632-1687) ; Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Marin Marais (1656-1728) ; Georg Freidrich Hændel (1685-1759) ; Tomas de Torrejon y Velasco (1644-1728) ; Antonio Soler (1729-1783) ; Murcia (1673-1739) ; Sebastian Duron (1660-1716). Ensemble Les Surprises : Eugénie Lefebvre, soprano ; Juliette Guignard, viole de gambe ; Gabriel Rignol, théorbe et guitare baroque ; Louis-Noël Bestion de Camboulas, clavecin et direction.
Condom. Cloîtres de la cathédrale. 5 VIII 2024. Pirame et Tisbé. Nicolas Clérambault (1676-1749) : Apollon, cantate pour voix aiguë et symphonie ; Le Jaloux, cantate pour haute-contre et symphonie ; Pirame et Thisbé, cantate pour haute-contre et symphonie ; Elisabeth Jacquet de la Guerre (1665-1729) : Sonate en trio en si bémol. A Nocte Temporis : Anna Besson, flûte traversière baroque ; Joanna Huszcza, violon baroque ; Ronan Kernoa, viole de gambe ; Benjamin Alard, clavecin ; Reinoud van Mechelen, haute-contre et direction.
Lectoure. Salle de la Comédie. 6 VIII 2024. Chemise(s) de nuit, Poulenc chanté et dansé. Compagnie lyrique des Cadets ; Margot Fillol, soprano ; Faustine Gardeil, danse ; Étienne Manchon, piano.

Dans le nord du Gers, la 55e édition des Nuits Musicales en Armagnac a connu son succès habituel avec des jauges pleines à chaque événement. Avec une dizaine de concerts dont une soirée jazz, une de tango, un opéra bouffe, deux récitals, un lyrique et un autre de Lieder et mélodies par les jeunes chanteurs de l'académie du festival, deux concerts baroques par des ensembles prestigieux et un spectacle audacieux de danse et mélodies, ce festival historique élargit son offre et rajeunit son public.

En petite formation à quatre comprenant une soprano et un continuo formé d'un clavecin, une viole de gambe et un théorbe, Les Surprises ont proposé un voyage de folies baroques à travers l'Espagne, l'Italie, l'Angleterre et la France à l'église de Terraube. Avec des pièces emblématiques du genre, plus ou moins connues du public, ce concert est un ravissement.

Pour la canzona spirituale introductive Hor ch'é tempo di dormire de , entre du fond de l'église et remonte la nef sur deux accords ostinato du théorbe de , soutenus par la viole et l'entrée du clavecin, qui s'amplifient pour amener un grand récitatif en forme de berceuse. L'acoustique de l'église aidant, ce modeste continuo à trois, donne toutefois une belle amplitude sonore.

Quelques masques de Purcell et John Eccles représentent en quelque sorte des folies d'une époque mouvementée en Angleterre à la fin du XVIIe siècle avec des diminutions très virtuoses.

Dans les airs, s'avère très expressive, jouant de façon très convaincante, autant qu'elle chante. Elle fait merveille dans l'ait Rochers vous êtes sourds extrait du ballet La Naissance de Vénus de Lully qui fut dansé par le jeune roi en 1665.

Les suites de danses de Rameau (Menuets, Air pour Zéphyr, Les Tendres plaintes, Musette, Les Sauvages) sont toujours un enchantement, d'autant plus que Louis-Noël Bestion de Camboulas monte à la tribune pour en interpréter quelques-unes au grand orgue, qu'il ne connaissait pas. Il eut été dommage qu'un concert de musique baroque à Terraube ne fasse pas entendre le fameux orgue d'esthétique baroque, qui est le chef-d'œuvre du facteur Alain Leclère, trop tôt disparu à l'âge de 40 ans. Avec sa sonorité particulière et ses puissants jeux de trompette, Louis-Noël Bestion de Camboulas prend un grand plaisir à le toucher.

S'agissant de « folies baroques », il n'est pas question de se passer du « tube des tubes » depuis plus de cinq siècles, les célébrissimes Folies d'Espagne et c'est naturellement celles de , à la viole et au théorbe, que Les Surprises ont choisi. On y apprécie la virtuosité folle de à la viole, sans oublier la grande agilité de au théorbe, qu'il alterne naturellement avec la guitare baroque.

interprète ensuite avec panache deux airs extraits de la cantate Lucrezia de Hændel où la vertueuse Lucrèce exprime sa colère et appelle la vengeance des dieux à l'égard de Tarquin, qui l'avait lâchement violée.

 Enfin, Les Surprises concluent le concert par une villancico de Tomas de Torrejon y Velasco, puis des danses de Soler, Murcia et Sebastian Duron. Les villancicos, plutôt d'essence religieuse, sont familières des fandangos, sachant que sacré et profane se mêlaient à l'époque.

Quelques jours plus tard, la soirée lyrique au jardin des Marronniers de Lectoure propose cette année La Périchole d'Offenbach dans une production des Chants de Garonne et une mise en scène d'Emmanuel Gardeil. Cette production avait déjà été donnée l'hiver dernier à Agen et Condom, mais la Périchole de Lucile Rentz, terrassée par une rougeole, est remplacée au pied levé et avec grand talent par la mezzo Emmanuelle Zoldan.

La gloire de la cantate française avec

Les cloîtres de la cathédrale de Condom accueillent l'ensemble du haute-contre belge , entouré de la fine fleur des musiciens baroques actuels, avec rien moins que au traverso, Joanna Huszcza au violon baroque, à la viole de gambe et Benjamin Alard au Clavecin, pour une soirée intime à Versailles au début du XVIIIe siècle. Ce jeune ensemble cherche à faire découvrir au public des joyaux méconnus de la musique baroque française et européenne à travers des programmes audacieux et originaux et c'est bien le cas avec ces cantates solistes de et cette superbe sonate en trio d'Elisabeth Jacquet de La Guerre.

 

Contemporain de Rameau, Louis est peu connu de nos jours et pourtant il est l'un des principaux compositeurs des Lumières. Organiste et composteur, il apprit très jeune le violon et le clavecin. Il étudia la composition et le chant avec Jean-Baptiste Moreau et l'orgue avec André Raison. Il entre au service de la maison royale et devient surintendant de la musique et organiste de Madame de Maintenon. C'est en tant que responsable de la musique de la Maison royale de Saint-Cyr, qu'il développe le genre de la cantate française, dont il composa cinq livres.

À la différence des cantates allemandes, au début du XVIIIe siècle, les cantates françaises sont des œuvres profanes, considérées comme de vrais « feuilletons ». Écrites pour une ou plusieurs voix accompagnées d'un continuo et souvent d'instruments de dessus formant la « symphonie », on peut les voir comme des petits opéras en format de chambre.

Publiée dans le Livre IIIe de cantates en 1716, la cantate Apollon « pour le roy » évoque la paix, alors que la fin du règne de Louis XIV fut endeuillée par des guerres et des famines, tandis que la paix tardive était souhaitée par tous. Un berger assis au bord de la Seine chante une complainte et s'endort. Apollon apparaît dans son sommeil et lui annonce l'arrivée de la paix et de ses bienfaits avec le triomphe du puissant maître de la France avant de l'enlever. Il entend alors les muses chanter la gloire de Louis XIV, souvent représentée sous les traits d'Apollon.

La cantate Le Jaloux provient du Premier livre publié en 1710 et dépeint un tableau de la jalousie en un unique récitatif. Le jaloux aime Iris, qui est aussi courtisée par un guerrier que le printemps ramène aux combats. Craignant que la séparation n'attise l'amour d'Iris pour son rival, il espère que cette absence lui ramènera celle qu'il aime. L'air Amour venge-toi, venge-moi est accompagné d'une très belle ritournelle au violon, quand l'air final Dieu des amants, à plusieurs parties se conclut par la reprise de l'air initial Revien printems.

Issue du Livre IIe publié à Paris en 1713, le sujet de la cantate Pirame et Thisbé est tiré des Métamorphoses d'Ovide et l'on ne peut s'empêcher de penser à l'histoire de Roméo et Juliette. Pirame et Thisbé s'aiment tandis que leurs parents s'opposent à leur union. Arrivant la première à un rendez-vous secret au tombeau de Ninos à Thèbes, Thisbé s'enfuit effrayée par une lionne à la gueule ensanglantée. Elle perd son voile que la lionne déchire en le maculant de sang. En arrivant, Pirame découvre le voile, croit que Thisbé est morte et se suicide. Thisbé revient et se suicide à son tour en voyant le cadavre de Pirame. Leurs parents mêleront leurs cendres dans la même urne. Entre le prélude instrumental précédant le premier récitatif et l'air conclusif en forme de morale, Clérambault enchaîne récitatifs, airs, simphonies, à la façon d'une tragédie lyrique. On y entend quelques accents annonçant Rameau. Un air mélancolique fait penser au célèbre Tristes apprêts, pâles flambeaux de Castor et Pollux.

Ces trois cantates méconnues content des histoires de bergers ainsi qu'on en raffolait dans les soirées des salons de Versailles à la fin du XVIIe et au XVIIIe siècle. On y apprécie sans réserve la clarté vocale, la diction précise et la prosodie des plus agréables de , qui chante avec un grand naturel.

La superbe Sonate en trio en si bémol pour deux dessus (violon, flûte) et continuo d'Elisabeth Jacquet de La Guerre fait partie d'un ensemble de six Sonates pour le violon et pour le clavecin, publiées en 1707. Elles furent jouées à la cour au petit couvert du roi. Le Mercure galants rapporte qu'à la fin du dîner « Sa Majesté parla à Mlle de La Guerre d'une manière très obligeante & après avoir donné beaucoup de loüanges à ses Sonnates, elle luy dit qu'elles ne ressembloient à rien. On ne pouvoit mieux loüer Mlle de La Guerre puisque, ces paroles font connoistre que le Roy avait non seulement trouvé sa Musique très belle ; mais qu'elle est originale, ce qui se trouve aujourd'huy fort rarement ».

Au-delà du seul continuo, la viole de se fait aussi concertante pour dialoguer avec la magnifique flûte d' et le violon volubile de Joanna Huszcza, tandis que malgré sa discrétion, le clavecin (un instrument recherché de Philippe Humeau) de Benjamin Alard assure l'assise rythmique et mélodique de l'ensemble. Le public est assurément ravi de découvrir cette musique si rarement jouée aujourd'hui.

Chemise(s) de nuit ou Poulenc chanté et dansé

Enfin à la salle de la Comédie à Lectoure, la jeune compagnie des Cadets, propose un spectacle de chambre à la fois lyrique, scénique et chorégraphique, aussi novateur qu'audacieux où danse et chant se mêlent autour de mélodies de Poulenc sur des poèmes de Cocteau, Apollinaire, Eluard, Vilmorin et quelques autres.

Une nuit, une femme est seule avec ses pensées, entre ennui, jeux, fantasmes, rêves et souvenirs, qui circulent et s'animent en un voyage immobile et intime. En ce monologue intérieur, la voix danse et le mouvement chante. La soprano Margot Fillol chante, tandis que son double, traduit ses émotions par la danse et le mouvement. Cette danse contemporaine très expressive se base naturellement sur le vocabulaire classique pour ne plus faire qu'une personne.

Nous évoluons dans une atmosphère onirique libertine et sulfureuse des années 30 du XXe siècle où la femme, amante esseulée, parfois soumise, s'émancipe et retombe en enfance jusqu'à une transformation de genre (bien actuelle) à la façon des Mamelles de Tirésias. Elle est tour à tour perdue, frustrée, hébétée, joueuse, créative, rêveuse, penseuse, libre enfin. Elle vit une étrange guerre intérieure et cette tempête intime laisse parfois la place à de profonds retours en soi, de reconnexion, de pardon, de calme et de paix intérieure. Margot Fillol donne vie à ces mélodies avec une belle sensibilité et traduit les sentiments profonds du personnage avec tact et un profond engagement, tandis qu'au piano Étienne Manchon délivre une partition complexe, au-delà du simple accompagnement, qui représente quelque part un autre personnage. Le côté statique du récital de mélodies est rompu, lui donnant une nouvelle dimension.

Crédit photographiques : NMA © Arthur Grosos, © A.HdV

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Terraube. Église Notre-Dame de la Nativité. 2-VIII -2024. Folies baroques. Œuvres de Tarquinio Merula (v. 1595-1665) ; Giovanni Picchi (1571-1643) ; Henry Purcell (1659-1695) : John Eccles (1668-1735) ; Jean-Baptiste Lully (1632-1687) ; Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Marin Marais (1656-1728) ; Georg Freidrich Hændel (1685-1759) ; Tomas de Torrejon y Velasco (1644-1728) ; Antonio Soler (1729-1783) ; Murcia (1673-1739) ; Sebastian Duron (1660-1716). Ensemble Les Surprises : Eugénie Lefebvre, soprano ; Juliette Guignard, viole de gambe ; Gabriel Rignol, théorbe et guitare baroque ; Louis-Noël Bestion de Camboulas, clavecin et direction.
Condom. Cloîtres de la cathédrale. 5 VIII 2024. Pirame et Tisbé. Nicolas Clérambault (1676-1749) : Apollon, cantate pour voix aiguë et symphonie ; Le Jaloux, cantate pour haute-contre et symphonie ; Pirame et Thisbé, cantate pour haute-contre et symphonie ; Elisabeth Jacquet de la Guerre (1665-1729) : Sonate en trio en si bémol. A Nocte Temporis : Anna Besson, flûte traversière baroque ; Joanna Huszcza, violon baroque ; Ronan Kernoa, viole de gambe ; Benjamin Alard, clavecin ; Reinoud van Mechelen, haute-contre et direction.
Lectoure. Salle de la Comédie. 6 VIII 2024. Chemise(s) de nuit, Poulenc chanté et dansé. Compagnie lyrique des Cadets ; Margot Fillol, soprano ; Faustine Gardeil, danse ; Étienne Manchon, piano.

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