Antonio Pappano et le LSO titanesques à la Philharmonie de Paris
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Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. 16-IX-2024. Karol Szymanowski (1882-1937) : Ouverture de concert en mi majeur op. 12 ; Frédéric Chopin (1810-1849) : Concerto pour piano n° 2 en fa mineur op. 21 ; Gustav Mahler (1870-1911) : Symphonie n° 1 en ré majeur dite « Titan ». Yuja Wang, piano. London Symphony Orchestra, direction : Antonio Pappano
De passage à Paris le temps d'un concert, Antonio Pappano et son London Symphony Orchestra, offrent une captivante leçon de musique qui voit se succéder l'Ouverture de concert de Szymanowski, le Concerto pour piano n° 2 de Chopin avec Yuga Wang et la Symphonie n° 1 de Gustav Mahler.
Une Ouverture de concert (1907) au son des fanfares tonitruantes de Karol Szymanowski : courte pièce symphonique pour grand orchestre fortement inspirée de Richard Strauss par son orchestration pléthorique et flamboyante, doublée d'une certaine grandiloquence qui n'est pas sans rappeler les poèmes symphoniques comme Don Juan ou Une vie de héros. Les épisodes de tension cuivrée et percussive y alternent avec des sections chargées d'un lyrisme enflammé (cordes) sur un phrasé chargé d'urgence mâtiné d'une pointe de dramatisme dont on admire, tout à la fois, les couleurs, les contrastes marqués, les beaux contrechants de cuivre au sein d'une texture orchestrale dense mais sans lourdeur et les performances solistiques (cordes graves, duo alto-harpe) de haute tenue du LSO porté par la formidable énergie de la direction très volubile d'Antonio Pappano.
D'un tout autre climat, le Concerto pour piano n° 2 de Chopin (1830) complète la première partie. Ce n'est pas faire injure à Frédéric Chopin, mais force est de reconnaitre que l'orchestration assez indigente laisse une large place au soliste, Yuga Wang pour l'occasion, qui saura s'engouffrer dans la faille laissée ouverte pour faire cavalier seul tout au long des deux premiers mouvements, semblant même par instant diriger l'orchestre depuis son piano… Si le Maestoso initial fait la part belle aux cordes et à la petite harmonie dans l'entame du premier mouvement, c'est le piano, plein d'autorité qui s'impose rapidement dans l'énoncé du premier thème tour à tour ardent ou sentimental, mais toujours virtuose. On y admire la délicatesse, la fluidité du jeu de Yuga Wang, soutenue par un bel accompagnement orchestral complice. Le Larghetto constitue, sans nul doute, le sommet poétique et émotionnel de l'œuvre dont Yuga Wang donne une lecture très décantée, perlée, pleine de grâce et de charme dans une longue cantilène limpide, exaltée par cor et basson, se déployant sur le ton de la confidence avec force rubato. L'Allegro vivace final, retrouve soliste et orchestre investis dans une suite de danses folkloriques dont la virtuosité pianistique répond à la beauté et à l'engagement de l'accompagnement orchestral (petite harmonie et cor). Le Precipitato de la Sonate pour piano n° 7 de Prokofiev donnée en bis, d'une vitesse fulgurante et d'une virtuosité époustouflante, vient couronner avec brio cette superbe interprétation.
Récemment donnée au festival de Gstaadt par les mêmes acteurs, la Symphonie n° 1 de Gustav Mahler occupe à elle seule la seconde partie. Plusieurs fois remaniée, premier jalon de la longue quête mahlérienne visant à fusionner la musique symphonique et le Lied dont elle s'inspire, elle fut composée en 1888-1896 avec un titre, « Titan », faisant référence au héros du roman romantique de Jean Paul Richter. Quatre mouvements s'y succèdent dont Antonio Pappano donne une interprétation très analytique, constamment attentive aux détails de la partition sans pour autant perdre le fil conducteur d'une narration sous-tendue par un sens aigu de la construction et de l'architecture qui parvient à rassembler tout ce qui est épars dans cette orchestration d'une particulière richesse afin de faire valoir, d'une part l'excellent LSO, superlatif de bout en bout, et d'autre part, les différents climats et couleurs chers à Mahler : marche militaire, danse populaire, réminiscences mitteleuropa, éveil de la Nature consolatrice, ironie douce-amère, dramatisme…
Le premier mouvement s'ouvre dans une ambiance mystérieuse, très statique, donnant à entendre des fanfares lointaines de trompettes et le chant du coucou, imprégné d'un intense sentiment d'attente entretenue par le violoncelle, la harpe et la flûte, avant que le phrasé ne s'anime pour laisser place à une mélodie caressante des violoncelles, toute inspirée des Chants du compagnon errant. Le second mouvement, plus rustique, en forme de Ländler un rien vulgaire fait la part belle aux sonorités graves (cordes et vents), interrompu en son mitan par une valse gracieuse, incongrue et quelque peu décadente (cordes et petite harmonie). Le troisième mouvement introduit par la contrebasse solo sur la célèbre mélodie de Frère Jacques développe une marche funèbre, lugubre à souhait, scandée par tuba et timbales, que vient bientôt troubler dans une succession totalement décalée, ironique et contrastée les échos d'une fête juive aux accents klezmer affirmés (flûte, clarinette, cordes). Le quatrième mouvement, après une entame violemment cuivrée, exaltée par des cordes mordantes et des complaintes déchirantes de la petite harmonie, se construit sur une alternance d'épisodes de de drame, de retombées tragiques et de fanfares conquérantes avant que la coda triomphante et récapitulative ne parachève cette brillante interprétation juste dans le ton comme dans la note.
Crédit photographique : © Charles d'Hérouville
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Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. 16-IX-2024. Karol Szymanowski (1882-1937) : Ouverture de concert en mi majeur op. 12 ; Frédéric Chopin (1810-1849) : Concerto pour piano n° 2 en fa mineur op. 21 ; Gustav Mahler (1870-1911) : Symphonie n° 1 en ré majeur dite « Titan ». Yuja Wang, piano. London Symphony Orchestra, direction : Antonio Pappano
la valse jouée en premier bis oar Uja Wang fut un vrai bijou de délicatesse et d’expression.